Entretien avec Marcel Duboué, Directeur Général des Ciments Antillais (Groupe Lafarge)

A l’instar de la Sara ou d’EDF, la présence de Lafarge à la Guadeloupe et à la Martinique est née de la volonté du général de Gaulle d’industrialiser les Antilles françaises. Quarante ans après, quel regard portez-vous sur le rôle qu’a joué le groupe dans le développement et la structuration de l’économie locale ?

Lors de leur arrivée aux Antilles françaises au début des années 1970, Lafarge, la Sara, EDF ou les Grands Moulins de Paris à l’époque se sont retrouvés confrontés au même problème : l’importation de matières premières, d’où l’obligation pour toutes ces industries de se situer à proximité d’un port.

Mais au début du peuplement de la zone de Jarry à Baie-Mahault ou de la Pointe des Carrières à Fort-de-France, il n’y avait pas grand-chose autour. C’est dans ce contexte que Lafarge est arrivé, afin de participer au développement de l’activité industrielle sur les deux îles.

Avant 1971, le ciment arrivait exclusivement par sacs, ce qui était peut-être adapté aux constructions d’habitations traditionnelles mais en inéquation avec un véritable essor industriel. L’arrivée de Lafarge a entraîné l’installation de centrales à béton et le secteur de la construction a pu bénéficier de ciment en vrac. Elle a permis de faire passer la Martinique et la Guadeloupe dans la modernité.

Et quelle est la situation à l’heure actuelle ?

L’activité de Lafarge aujourd’hui reste en lien direct avec sa vocation : produire et vendre du ciment même si le gros du développement des Antilles françaises a été réalisé et que nous avons atteint un niveau de développement comparable à celui des pays européens.

Lafarge produit chaque année entre 450 et 600.000 tonnes de ciment sur les deux îles, alors qu’aujourd’hui, dans le monde, il ne se construit pas de cimenterie pour une production inférieure au million de tonnes. De plus, dans les Antilles françaises, la consommation de ciment est en constante baisse, de l’ordre de 600 kg par habitant et par an. Nous sommes très loin des 1000 kg de ciment consommés par un Chinois chaque année. Il y a toujours des pics liés aux intempéries malheureusement, mais la consommation diminue lentement. Il faut dire aussi que les Antilles françaises ne constituent qu’un petit marché d’un million de personnes.

Justement, le Groupe Lafarge exporte-t-il du ciment dans les autres îles de la Caraïbe ?

Il est impossible pour l’instant d’exporter dans la Caraïbe en raison du cours désavantageux du dollar d’une part et des barrières douanières d’autre part, même si le Caricom et l’UE travaillent à l’ouverture des frontières dans un grand marché caribéen. Et puis nous sommes trop chers par rapport au niveau de vie et de développement des autres îles.

Quelle est l’ambition du Groupe Lafarge pour les années à venir ?

Notre objectif est avant tout d’être un acteur bien intégré dans son milieu, qui ne perturbe pas les marchés en place. Il peut y avoir des opportunités de développement en Guadeloupe ou en Martinique mais nous ne les saisirons que si certains acteurs souhaitent vendre. Notre objectif est aussi d’aider au progrès de nos filières même si nous garderons toujours notre vocation qui est de faire du ciment.

On parle beaucoup de développement durable depuis quelques temps. Le béton est-il vraiment durable ?

Notre rôle est d’expliquer que l’empreinte écologique du béton se défend parfaitement. Hormis pour ceux qui ont des idées un peu romantiques sur la question, le béton est plus durable que le bois sous bien des aspects. Le bois de construction aux Antilles est importé, il faut donc penser à son transport, à la main d’œuvre, etc. De plus, le béton demande par exemple bien moins d’entretien que le bois. C’est ce que nous tentons d’expliquer aux donneurs d’ordres et aux architectes.

Il y aura toujours un futur pour le béton et donc pour le ciment. Nous n’avons donc aucun complexe à avoir quant à notre place dans une politique de développement durable.

En tant qu’acteur privilégié, comment imaginez-vous le secteur industriel de demain à la Martinique et à la Guadeloupe ?

L’industrie n’est pas l’élément dominant de l’économie aux Antilles. C’est même un élément fragile, compte tenu de l’étroitesse des marchés. Installer une industrie lourde, qui nécessite de la main d’œuvre, ce n’est pas évident. Il s’agit avant tout d’un problème de taille qui fait que nous ne luttons pas à armes égales avec nos voisins. Certaines îles sont bien plus peuplées et bénéficient d’un marché interne plus important.

Il faut donc aujourd’hui que les industries martiniquaises et guadeloupéennes se diversifient, qu’elles soient à forte valeur ajoutée si elles veulent durer, qu’elles produisent des éléments complexes. Sinon, comment pourraient-elles résister ?

 

Lafarge aux Antilles françaises :

une production annuelle comprise entre 450 et 600.000 tonnes de ciment
env. 55 millions d’euros de CA
100 emplois directs
• 200 emplois indirects (hors sous-traitance)

 

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