En 2018, Guadeloupe et Martinique reçoivent plus d’un million de visiteurs, un chiffre en constante évolution depuis un demi-siècle. Nos territoires peuvent-ils y faire face sans perdre leur âme et leurs paysages ? Eléments de réponse avec Joël Raboteur, docteur en économie du tourisme et de l’environnement à l’Université des Antilles.

Depuis les années 1960, les Antilles ont basculé du tourisme haut de gamme vers un tourisme de masse. Comment expliquer cette mutation ?  

Lorsqu’il apparait sur nos îles dans les années 1970, le tourisme est réservé à une élite, une clientèle nord-américaine au fort pouvoir d’achat. Le phénomène de massification du tourisme arrive dans les années 1980.

Il faut alors lutter contre le chômage de masse qui sévit en Guadeloupe et Martinique. Occuper une frange vulnérable de la population, surtout les jeunes et les femmes, doit favoriser cette nouvelle « industrie du tourisme » tournée sur le balnéaire

Les slogans touristiques de l’époque ne parlent surtout pas de culture. Ils mettent en avant les plages, les infrastructures – hôtels, ports, aéroports, téléphone -, le confort et la sécurité des voyageurs.

Cette conception aujourd’hui désuète est, à l’époque, une priorité en matière de politique touristique. 

Mangrove Antilles

Le tourisme soulève-t-il des enjeux propres aux Antilles françaises ? 

D’après l’Organisation Mondiale du Tourisme, « le développement touristique durable satisfait les besoins actuels des touristes et des régions d’accueil tout en protégeant et en améliorant les perspectives pour l’avenir.

Il est vu comme menant à la gestion de toutes les ressources de telle sorte que les besoins économiques, sociaux et esthétiques puissent être satisfaits tout en maintenant l’intégrité culturelle, les processus écologiques essentiels, la diversité biologique, et les systèmes vivants. »

Sur le terrain, l’écotourisme implique un fort volontarisme : il nécessite la création de formes de partenariats nouvelles entre voyagistes, agences réceptives, communautés locales, gestionnaires d’espaces protégés, associations environnementales et communautés scientifiques. 

« Oui, la nécessité du tourisme durable est encore plus forte dans les pays de la Caraïbe. »

Ils ont pour la plupart de très faibles superficies et ils sont vulnérables d’un point de vue environnemental. Ajoutons que les tentations d’un développement touristique démesuré peuvent avoir sur nos îles des conséquences environnementales et sociales irréversibles.

On comprend l’intérêt salutaire d’une démarche touristique durable. Il faut mesurer les capacités de charges (nombre maximum de visiteurs pouvant être supportés par l’environnement naturel, ndlr) de chaque région afin de profiter du tourisme sans hypothéquer ses dotations factorielles – ses ressources naturelles en d’autres termes.

« Nous devons changer de paradigme et proposer aux touristes notre originalité, notre savoir-faire et, surtout, valoriser notre production locale. »

Les littoraux antillais, fragiles et exposés à de multiples usages, sont au cœur de la réflexion autour du tourisme durable. Leur aménagement, urbain, portuaire, industriel et touristique et les dégradations qui en résultent mettent en exergue leur nécessaire protection. Comment faire cohabiter tortues et touristes ? 

Il faut protéger la ressource, c’est certain. Citons les îlets blancs, dans le Grand-Cul-de-Sac marin, en Guadeloupe. En période de nidification des sternes, le Parc national interdit l’accostage sous peine d’amende.

Voilà le type d’actions à mener pour réussir à concilier économie, social et environnement.

Quelle initiative de tourisme durable est particulièrement réussie aux Antilles françaises ?

Le projet de l’association Verte Vallée, sur le site de La Grivelière, à Vieux-Habitant (Basse-Terre, Guadeloupe) vise à préserver les patrimoines naturels et culturels d’une vallée qui s’étend sur plus de cinq hectares avec, en ligne de mire, la constitution d’un écomusée.

L’attrait touristique du site est énorme. La présence d’une habitation caféière classée monument historique, sa situation au cœur du Parc national de Guadeloupe, le cachet d’un paysage fleuri, les eaux limpides et tumultueuses de sa rivière, les manifestations (fête de la vallée, fête du café, Vallée lumière), les possibilités de découverte du patrimoine naturel à travers des sentiers aménagés, la survivance du savoir-faire local (fabrication de liqueurs, punchs, confiseries et mets traditionnels) et enfin la création d’une table d’hôte en font un lieu d’écotourisme d’une grande qualité.

Pêcheur de lambis

Vos conseils à un porteur de projet qui se lance dans l’écotourisme ? 

« Le tourisme durable ne s’improvise pas. Il est impératif de se diplômer. »

Un animateur en canoë-kayak par exemple doit connaître les plantes des lieux qu’il fait découvrir, tels que la mangrove. Il doit disposer d’un bagage scientifique suffisant pour transmettre des informations précises sur le milieu. 

Côté voyageurs, on note de nouvelles sensibilités en faveur des éco-destinations. Néanmoins ces clientèles enthousiastes révèlent certains freins, en particulier de la défiance vis-à-vis d’un marketing trompeur.  

Le « bronzé idiot » a vécu, le touriste est à la recherche d’expériences inédites et enrichissantes. Il veut rencontrer l’autre dans sa culture, dans sa façon de manger, de danser, de vivre. Il désire découvrir des environnements inconnus, la mangrove, la forêt, le récif coralien.

On peut penser qu’à l’avenir tous les produits touristiques axés sur la culture et l’éco-tourisme seront privilégiés par les consommateurs touristes. 

Surfant sur cette vague, certains tour-opérateurs peu scrupuleux maquillent un tourisme traditionnel avec une couche superficielle de culture et d’environnement. Ils discréditent la destination.

D’où la nécessité de mettre en place, sous l’égide de nos institutions locales, un vrai label de tourisme durable.  

La savane des esclaves - musée à ciel ouvert - Martinique

Le tourisme durable est-il l’avenir du tourisme antillais ?

J’irai même plus loin : l’avenir économique de toute la Caraïbe dépend de l’avènement du développement durable. Car, je le rappelle : le développement durable d’un territoire vise une gestion globale et vertueuse des ressources afin d’en assurer la durabilité.

« Seul le développement durable nous permettra de préserver notre capital naturel et culturel. »

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