Alors que le mot “crise” est sur toutes les lèvres, le Directeur de l’IEDOM Martinique, Philippe La Cognata, répond à nos questions pour savoir de quoi cette nouvelle année sera faite. Et, surprise, le tableau n’est pas si noir.

Quel bilan peut-on faire de l’année 2011 en Martinique ? La situation en octobre/novembre ?

Il est encore un peu tôt pour tirer le bilan économique de l’année 2011. La période des fêtes peut modifier dans un sens ou dans l’autre le niveau de la consommation qui constitue le moteur de l’économie de la Martinique.

On peut quand même déjà tracer quelques grandes tendances : la consommation parvient à se maintenir malgré un niveau de chômage élevé. L’investissement privé progresse, mais faiblement, dans un climat des affaires toujours incertain. La commande publique paraît plus nourrie dans le bâtiment et les travaux publics en raison de la montée en charge des constructions dans le logement social, des effets du plan de relance régional et du lancement de travaux routiers.

Par ailleurs, les importations sont en hausse, surtout pour les biens d’équipement nécessaires aux grands chantiers (centrale électrique de Bellefontaine), ce qui permet une amélioration des recettes d’octroi de mer (+ 6,5 % en cumul à fin septembre). La collecte de TVA progresse également de 6,7 % par rapport à la même période de l’année 2010. Enfin, les crédits à l’habitat et dans une moindre mesure à l’équipement des entreprises sont assez bien orientés.

Au total, l’activité a donc finalement bien résisté même si elle est encore insuffisante pour inverser la courbe du chômage qui reste une préoccupation majeure. Sur le plan sectoriel, nous observons une éclaircie dans le BTP et le tourisme, le maintien à un niveau moyen dans le commerce et l’industrie, avec toutefois des prévisions plus optimistes pour la fin de l’année.

A quoi peut-on s’attendre pour 2012 ? Quels sont les signaux positifs ? 

L’activité devrait se poursuivre au rythme actuel avec une question centrale tout de même, qui est celle de l’impact que le ralentissement de la croissance en Europe aura sur l’économie de la Martinique. Nous avons généralement un décalage dans le temps par rapport à la situation de l’hexagone. Les engagements de réduction du déficit public à travers des mesures de baisses des dépenses pourraient impacter notre économie.

N’oublions pas que nous entrons également dans une période électorale, généralement peu propice aux investissements à travers un phénomène d’attentisme bien connu.

Paradoxalement, malgré ce contexte, il y a plusieurs signaux positifs : des chantiers importants ont été lancés ou annoncés et devraient générer de l’activité pendant plusieurs années (plateau technique de l’hôpital, relance du TCSP, extension du terminal portuaire, aménagement du terminal croisière de Fort de France, projets hôteliers, poursuite des travaux de Bellefontaine, etc.); la construction de logements sociaux a redémarré (plus de 1.000 logements /an dans le locatif) et bénéficie de la défiscalisation pour améliorer son financement. Les perspectives du secteur touristique sont également meilleures avec une saison qui s’annonce bien, dans la croisière où les choses s’améliorent (plus de 100.000 croisiéristes sont attendus contre 35.000 l’an passé) comme dans le transport aérien (ouverture d’une nouvelle ligne avec CDG-Roissy), l’hébergement, la location de véhicules où les réservations sont en hausse.

Quels secteurs sont susceptibles de créer de la croissance ? De l’emploi ?

Le BTP reste bien sûr potentiellement un gros pourvoyeur d’emplois et les chantiers annoncés devraient permettre de dynamiser l’activité, d’augmenter l’emploi et la croissance. Le tourisme est aussi un axe stratégique fondamental de développement. C’est un secteur qui est très intégré dans l’économie et dont l’activité a des retombées sur de nombreux autres secteurs (agriculture, pêche, commerces et services, transports, etc.).

Quel est le climat des affaires ? Des créations d’entreprises ?

Contrairement à l’hexagone où le climat des affaires se replie nettement dans la plupart des grands secteurs économiques depuis la fin du 1er semestre 2011, l’indicateur du climat des affaires en Martinique s’améliore légèrement au troisième trimestre 2011.

Ce qui est encourageant, c’est que cette amélioration repose sur les anticipations positives des chefs d’entreprises, notamment sur l’activité du quatrième trimestre qu’ils attendent plus soutenue.

La création d’entreprises est dynamique, mais la mortalité est également forte. Le taux de défaillance demeure élevé en Martinique avec 455 entreprises placées en procédures collectives à fin octobre, soit une augmentation de + 7,6 % par rapport à 2010.

Cette évolution qui affecte principalement des TPE montre qu’elles continuent de rencontrer des difficultés dans cette période d’incertitude.

Quid du tourisme ? 

Les actions en faveur de la relance de la destination commencent à porter leurs fruits. La fréquentation aérienne est en progression par rapport à l’année précédente.

Les réservations pour la saison qui s’ouvre sont en amélioration. Une nouvelle ligne reliant le hub de Roissy-CDG à l’aéroport Aimé Césaire a été ouverte par Air France le 5 novembre dernier et devrait permettre d’augmenter la part de la clientèle d’origine étrangère et européenne. La croisière redémarre après une saison 2010-2011 médiocre.

Plusieurs programmes de rénovations d’hôtels ont été engagés, des investissements nouveaux sont annoncés dans l’hôtellerie.

Bref, beaucoup de signes positifs pour ce secteur mais qui demandent encore à être confirmés. On le sait, la situation financière de nombreux établissements est difficile, comme l’a montré la récente mission du médiateur des dettes fiscales et sociales de l’hôtellerie aux Antilles. Il faut trouver des solutions de court terme et surtout un modèle économique qui fonctionne dans le plus long terme.

Quelle est la “température” au niveau du climat social ?

En tant que simple observateur je note un climat social plutôt apaisé par rapport à la 1ère partie de l’année, et une volonté de dialogue entre les partenaires sociaux. C’est une bonne chose car la Martinique a besoin d’un consensus pour avancer, pour faire des projets, pour construire l’avenir en donnant de la perspective et de la confiance.

Quelles peuvent être les conséquences en Martinique de la crise mondiale et de la crise dite “de la dette” ?

Je vois plusieurs types de conséquences : la première, c’est celle qui résulte des engagements de réduction des dépenses publiques pris par la France – et les pays de l’Union européenne –  pour revenir progressivement à l’équilibre budgétaire et retrouver des marges de manœuvre.

Concrètement, cela se traduit par une réduction de la dépense et la recherche d’une meilleure efficacité de l’argent public.

La Martinique n’y échappe pas et contribue déjà à l’effort national à travers la rationalisation des dépenses publiques et la réduction de certains dispositifs incitatifs (loi Girardin, Scellier, coup de rabot sur l’investissement productif).

Dans ce cadre, la défiscalisation du logement social est préservée.

La seconde conséquence, qui est plus difficile à mesurer aujourd’hui, concerne l’impact que pourrait avoir le ralentissement économique en Europe sur la relance de l’activité touristique de la Martinique.

Enfin, la 3ème conséquence concerne l’attentisme et la prudence des acteurs économiques face aux conséquences de la crise mondiale qui se traduisent par une augmentation de l’épargne de précaution et l’ajournement de projets d’investissement (achat de logement, investissements industriels, renouvellement d’équipements, etc.).