KARUMAG : Quelles sont les spécificités de la Guadeloupe par rapport au reste des Antilles-Guyane qui influent sur sa stratégie énergétique ?

André Bon : Pionnière dans l’expérimentation des énergies renouvelables depuis plus de 20 ans, la Guadeloupe est un acteur majeur dans la politique nationale sur la transition énergétique, mais aussi à l’échelle de la Caraïbe et des territoires insulaires.

 

La Guadeloupe, une longueur d’avance en matière d’EnR

La Guadeloupe bénéficie d’atouts naturels indéniables (ensoleillement, vent, mer, rivières, géothermie…), qui représentent un potentiel considérable pour le développement des énergies renouvelables.  Ce gisement naturel, associée à une forte volonté politique de recourir à l’ensemble des énergies renouvelables pour tendre vers l’autonomie énergétique du territoire, a permis à la Guadeloupe d’atteindre, en 2012, 15,6% d’énergie renouvelable dans la production d’électricité.

La Guadeloupe dispose ainsi de 64 MW d’installation photovoltaïques, de 27,4 MW de fermes éoliennes, de 14,5 MW de Géothermie et de 8,7 MW d’hydraulique, sans compter la bagasse qui représente la deuxième source de production d’énergie renouvelable (62 GWh en 2012).

Ce “mix” énergétique très diversifié place la Guadeloupe au rang de 1er producteur d’énergie renouvelable des petites Antilles et de région française ayant recours à la plus grande palette d’énergies renouvelables.

 

Décentraliser la question énergétique en privilégiant une gouvernance régionale

La collectivité régionale s’est dotée d’un cadre stratégique régional à travers le PRERURE – le plan régional de l’énergie –
adopté en mai 2008. Ce document a permis au territoire de se fixer des objectifs ambitieux mais réalistes en matière d’efficacité énergétique et de promotion d’énergie renouvelable, pour atteindre l’autonomie énergétique à l’horizon 2050.

La collectivité a souhaité faire un pas de plus dans la décentralisation, pour mieux répondre aux défis énergétiques du territoire, en décidant d’adopter un cadre législatif adapté aux spécificités de la Guadeloupe, grâce à l’habilitation législative Energie.

Ainsi, la Guadeloupe est la 1ère région française à avoir demandé et obtenu une habilitation « à fixer des règles spécifiques [à son territoire] en matière de maîtrise de la demande d’énergie, de réglementation thermique pour la construction de bâtiments et de développement des énergies renouvelables »,
dans le cadre de l’article 73-3 de la Constitution.

L’habilitation constitue un outil politique et juridique inédit, puisque, pour la première fois, une collectivité locale française peut définir et mettre en œuvre sur son territoire une législation et une réglementation spécifique, et dépasser, de ce fait, les limites des compétences des régions en matière de politique énergétique. Cette forme de décentralisation renforcée s’inscrit parfaitement dans le cadre des lois de la République ;
les services de l’Etat font d’ailleurs partie intégrante des instances de pilotage de l’habilitation.

Ce travail, lancé en 2009, a permis d’adopter 25 textes couvrant l’ensemble des thématiques de l’énergie, dont l’adoption d’une réglementation thermique innovante et adaptée à notre territoire et qui commence à produire ces effets.

 

Comment la gouvernance sur le sujet de l’énergie s’organise en Guadeloupe, au niveau de la région et des partenaires ? Quelles ressources sont mises en jeu ?

Les élus ont souhaité que l’habilitation législative soit l’occasion de mobiliser et rassembler les acteurs du territoire autour de la problématique Energie. Elle a favorisé un travail en profondeur sur la qualité des projets, redonnant la parole à toutes les parties prenantes par un travail de concertation très important. En tant que moteur de cette démarche, le Conseil régional a émis un signal fort : au niveau local, cette mobilisation est synonyme de dynamisation pour toute une filière, et de légitimité pour le projet ainsi défini ; au niveau national et international, elle confère à la Guadeloupe un rôle majeur dans le défi énergétique.

 

Une mobilisation collective, pour construire une politique énergétique portée et partagée par tous les acteurs du territoire

L’appropriation de la politique énergétique par tous les acteurs locaux, mais aussi, plus largement, par la population guadeloupéenne, est une condition inhérente à sa réussite. C’est pour cela que le « faire ensemble » innerve l’action de la Région Guadeloupe. Depuis plus de 10 ans, la collectivité mène une démarche partenariale réunissant les principaux acteurs locaux, parties prenantes sur la question de l’Energie :
l’ADEME, EDF, le pôle de compétitivité Synergîle, l’Université Antilles-Guyane (UAG), l’Etat, les socio-professionnels… Autant de partenaires impliqués de longue date sur la question de l’Energie, et sans qui la politique énergétique impulsée par le Conseil régional n’aurait pu voir le jour. Avec ses partenaires « historiques », l’ADEME et EDF, le Conseil régional mène de nombreuses actions collectives. De ce rapprochement est né un portail Internet (www.guadeloupe-energie.gp), présentant les grands axes de la politique énergétique guadeloupéenne et leurs avancées concrètes. Dans le domaine de la maîtrise de l’énergie, une convention pluriannuelle a été signée entre le Conseil régional, l’ADEME et EDF sur la période 2007-2013, pour mener ensemble des actions de sensibilisation à destination de la population. On peut parler aujourd’hui d’un fonctionnement en réseau entre les partenaires institutionnels et les entreprises, autour d’objectifs partagés visant à créer un environnement favorable au développement de projets.

 

L’énergie, une filière d’avenir pour la Guadeloupe

Un facteur d’attractivité pour les entreprises

Au plan économique, le secteur de l’énergie offre l’opportunité de développer des filières économiques d’avenir à forte valeur ajoutée, permettant de créer des emplois qualifiés et contribuant au rayonnement du territoire. Au fil des ans, une véritable filière Energie s’est développée, réunissant plus de 60 entreprises et plus de 40 chercheurs. La richesse de cet écosystème fait de la Guadeloupe un territoire attractif pour les investissements et l’implantation d’entreprises. Le cadre institutionnel local favorise le développement des entreprises et des projets, qui bénéficient d’un accompagnement actif de la Région et de ses partenaires.

Dans le domaine de la formation – enjeu essentiel pour la professionnalisation de la filière –, plusieurs projets sont en cours. L’Université Antilles-Guyane ouvre ainsi, en septembre 2013, un diplôme d’ingénieur sur le Génie des Systèmes Energétiques, qui a vocation à attirer des étudiants de toute l’Europe et de l’arc Caraïbe.

Un gisement d’innovation

La réussite du défi énergétique impose à la Guadeloupe une dynamique de recherche permanente, pour expérimenter de nouveaux schémas énergétiques et développer des technologies toujours plus performantes. De nombreux projets de R&D (Recherche et Développement) sont menés, favorisés à la fois par la volonté politique de légiférer localement en matière d’énergie, le dynamisme de la filière locale permettant un vrai dialogue entre les différents facteurs de la chaîne de l’innovation, et le développement de programmes de recherche à l’international.

Synergîle, pôle de compétitivité dédié aux énergies renouvela-bles et aux matériaux, est un véritable catalyseur d’innovation réunissant plus de 50 entreprises, laboratoires de recherche, centres de formation, organismes socio-professionnels.

Différents projets de R&D sont en cours sur le territoire guadeloupéen :

• expérimentation sur la méthanisation en milieu agricole,

• recherche développement sur la canne à sucre-énergie,

• projet de SWAC (Sea Water Air Conditioning),

• projets de smart grids (PV+Eolien+batterie),

• projet d’une station de transfert d’énergie par pompage d’eau de mer.

 

La Guadeloupe, un territoire pilote

Un “mix” énergétique diversifié, des projets innovants, un mode de gouvernance inédit… Face aux objectifs d’autonomie énergétique fixés par la France et l’Europe, la Guadeloupe est aujourd’hui un terrain d’expérimentation privilégié. Soucieuse de capitaliser sur l’expertise acquise, la Région Guadeloupe s’est engagée dans une démarche d’ouverture et de partage d’expériences avec ses voisins caribéens et les autres territoires insulaires. Sur l’habilitation, elle collabore très régulièrement avec la Martinique, afin d’établir une réglementation cohérente entre deux territoires dont le contexte énergétique est similaire. Bientôt, ce sera avec la Guyane qui, ayant demandé son habilitation énergie, souhaite bénéficier de son retour d’expérience. La Région Guadeloupe est aussi à l’initiative du réseau “Pure Avenir”, qui réunit la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Corse sur cette question de l’avenir énergétique. Ce réseau est particulièrement actif dans le débat national sur la transition énergétique et à permis de faire entendre ses voix dans un débat pourtant dominé par la question du nucléaire. Dans le même esprit, la Région Guadeloupe est à l’origine du programme Géothermie Caraïbe, visant à instaurer, en lien avec la Martinique et la Dominique, une politique caribéenne de développement de la géothermie.

 

Aujourd’hui, la Guadeloupe fait figure de laboratoire, pour les autres territoires de l’arc Caraïbe, confrontés aux mêmes problématiques, mais aussi pour la France et plus largement l’Europe. A l’heure du débat sur la transition énergétique, du questionnement sur la composition du “mix” énergétique idéal et sur les leviers de maîtrise de la consommation d’énergie, elle ouvre de nouvelles perspectives pour les années futures.