Le Directeur Général de Clément, Charles Larcher, nous explique les succès de l’une des marques les plus dynamiques en matière de marketing et de création de nouveaux produits. Ou quand l’innovation dans le secteur du rhum se met au service de ceux qui le consomment. 

 

A quel moment les producteurs de rhum ont-ils pris conscience de l’intérêt du marketing ?

Dans les années 1950-1960, le rhum était encore vendu en vrac ou dans de simples bouteilles.
C’est à ce moment-là que s’est amorcée une démarche concomitante : le travail sur le packaging d’une part et le besoin de diversifier la production d’autre part. Certains producteurs se sont alors dit : « Nous allons faire fabriquer nos propres bouteilles, des bouteilles qui seront trois fois plus chères que celles de nos concurrents. D’où la nécessité de designer de nouvelles bouteilles. » C’est à l’entreprise Saveur Glace de la Vallée de la Bresle (première région mondiale pour le flaconnage de luxe, ndlr) qu’a été confiée la conception de ces bouteilles. Certains rhumiers ont pris le train dès le départ comme JM ou Neisson. Et sont ainsi apparues des bouteilles de rhum plus chères, en verre extra-blanc, c’est-à-dire qui ne sont pas issues du recyclage de verre de bière ou de vin.

 

Et chez Clément ?

Au début des années 2000, la direction de Clément s’est interrogée sur l’évolution des rhums blancs. Le directeur de l’époque regardait ce qui se faisait sur le marché de la vodka, notamment avec Grey Goose. Fin 2000 est ainsi sortie la première “Canne Bleue”, un rhum élaboré à partir d’une seule variété de canne à sucre, la Canne Bleue. Bien que deux fois plus chère que le Neisson, Canne Bleue a connu un gros succès en Martinique comme à l’export avec une production de 35.000 cols par an. L’idée de sortir des rhums millésimés date aussi de cette période-là. La direction de l’époque s’est dit : il faut sortir un rhum qui soit le meilleur. D’où la création de Grappe Blanche, un rhum proposé dans le format de bouteille Ariane avec des liserets blancs.

 

Et plus récemment ?

Quand je suis arrivé en 2003, la démarche basée sur le concept “une bouteille-un produit” était déjà lancée. Beaucoup de travail de benchmarking avait été réalisé sur la vodka, notamment les vodkas aromatisées. Nous avons alors amorcé une mini révolution : proposer des rhums aromatisés, fidèles à l’attente des amateurs de cocktails. Nous avons travaillé ainsi avec un designer de la région de Cognac pour le packaging, et avec un “nez” qui a fait l’école de Versailles des arômes et parfums. Il nous a fallu un an pour réaliser l’assemblage des arômes et des rhums et en 2007, lors du lancement des rhums arrangés, le succès a été énorme, renforcé par l’effet collector.
Toujours dans un souci de coller au mieux aux attentes des consommateurs qui souhaitaient des cocktails “prêts à consommer”, Clément lançait, en juin 2011, les Liqueurs Modernes à base de jus de fruits avec des parfums à consonance locale et internationale. Les consommateurs ont largement adhéré, avec un succès supérieur à celui des rhums arrangés.

 

Le marketing est-il devenu indispensable pour exister sur le marché ?

Je crois que Clément peut revendiquer la palme de l’innovation dans le secteur du rhum. Mais sans marketing, pas de nouveau produit. C’est à nous de nous adapter à nos consommateurs, pas le contraire. On doit produire ce que l’on vend, et non pas vendre ce que l’on produit.

 

Comment sentir ce que désirent les consommateurs ? 

L’approche reste assez délicate en Martinique car le territoire est très cloisonné. Chez Clément, nous réalisons des sondages avec LH2-Harris pour prendre le pouls de la Martinique concernant le rhum. En fonction des résultats, on peut décider du lancement de nouveaux produits.
Clément a aussi été la première marque à sortir des BIB (Bag In Box) de trois litres…
Ce produit existait déjà pour le vin. D’où la sortie du bib trois litres, pour le blanc comme pour le vieux. Cela peut paraître surprenant étant donné que nous sommes une marque premium mais nous voulions répondre à l’attente des clients : le bib est moins lourd, incassable, facile à ranger, moins encombrant dans une valise ou sur un bateau… Le marketing, c’est aussi la mise en valeur des produits dans les linéaires des supermarchés…
Il y a quelques années, avec le directeur commercial de l’époque, nous avons constaté que les linéaires des supermarchés étaient organisés selon les marques au lieu de l’être selon les unités de besoin. Les BIB étaient situés en bas des rayons, les consommateurs étaient perdus. Mais cela aussi a changé parce que le marketing, ce n’est pas seulement le produit. C’est aussi un service.
Nous avons donc travaillé sur les têtes de gondole, notamment pour les cocktails pour lesquels Clément possède 80% du marché en Martinique (source Ipsos, ndlr). Nous allons voir les supermarchés pour travailler sur les linéaires, pour créer du passage sur les cocktails.

 

La démocratisation d’Internet et des réseaux sociaux a-t-elle changé la donne ?

L’arrivée d’internet est une petite révolution. Désormais, nous utilisons facebook pour communiquer. Un exemple : en avril et mai 2011, nous avons créé le buzz autour de la sortie des Liqueurs Modernes. Résultat, nous avions près de 1.000 fans avant même la sortie du produit.
Clément s’est aussi positionné dans le monde de la nuit…
Il y a 5 ou 6 ans, Clément n’était pas présent en boîte de nuit, mais plutôt dans l’organisation de soirée, d’after, etc. D’où l’idée de baisser le niveau d’alcool des rhums vieux de soirée en suivant le modèle des vodkas Belvédère ou Absolut. Nous avons donc sorti Clément by Night, dans une bouteille opaque qui correspond bien à l’ambiance de la nuit. Il s’agissait par ailleurs de la première bouteille décorée par un artiste local.

 

Une façon de coller au mieux au côté “produit péyi” ?

Chez Clément, nous défendons le marketing de proximité. C’est vraiment cette notion qui nous différencie.
Pour finir, le rhum est-il, selon vous, la plus belle réussite de l’industrie martiniquaise ?

Jean-Pierre Bourdillon (ancien PDG du Rhum La Mauny à l’origine de la création de l’AOC Rhum Agricole Martinique, ndlr) disait : “Moi, je veux avoir le meilleur rhum du monde”. C’est donc l’excellence et la labellisation qui ont structuré la filière. Le modèle utilisé par le rhum martiniquais, c’est celui du Cognac, du Sel de Guérande, etc.