A l’occasion du 15eme anniversaire de l’AOc « Rhum Agricole Martinique », claudine Neisson-Vernant, propriétaire récoltant de Neisson et Présidente du Syndicat de Défense de l’Appellation d’Origine Rhum Agricole Martinique (SDAORAM), répond à nos questions. Où il est question de rhum, de terroir et de savoir-faire. 

Que signifie pour vous ce 15ème anniversaire de l’AOC « Rhum Agricole Martinique » ?

Le décret du 5 novembre 1996 (qui fait du rhum agricole martiniquais le premier alcool blanc, produit hors de la France métropolitaine, à obtenir une AOC, ndlr) est avant tout l’aboutissement de la lutte des producteurs martiniquais de rhum agricole. C’est aussi l’accomplissement des efforts d’un homme, Jean-Pierre Bourdillon, PDG du Rhum La Mauny à l’époque, et qui s’est longtemps battu pour que cette AOC voit le jour.

 

Pourquoi avoir créé cette AOC ? Quelle était la motivation des producteurs à l’époque ?

Avant 1996, les rhums agricoles produits en Martinique faisaient déjà figure de produits remarquables et remarqués. Les producteurs, comme tous les passionnés, étaient persuadés d’avoir là un produit de grande qualité. Mais ils étaient aussi conscients que la production de rhum agricole était une goutte d’eau dans l’océan des rhums industriels et que pour cette raison, il fallait à tout prix la protéger.

L’AOC devait apporter la reconnaissance d’un savoir-faire, d’un lien au terroir, d’une vraie typicité… Je crois que nous y sommes parvenus. Je rends d’ailleurs hommage à la vision de Jean-Pierre Bourdillon ou à celle de mon père qui avaient senti, à l’époque, la nécessité de valoriser le rhum agricole de Martinique, raison pour laquelle ils ont créé l’AOC.

 

Vous avez parlé d’une lutte pour arriver à la création de l’AOC « Rhum Agricole Martinique » ? Pourquoi ?

L’AOC “Rhum Agricole Martinique” est le fruit de 22 années de combat ; les premières demandes des producteurs dataient de 1974 ! A l’époque, les produits d’outre-mer ne bénéficiaient que de très peu de reconnaissance. Et on ne peut pas dire que les producteurs d’autres spiritueux aient facilité cette reconnaissance tant ils voyaient d’un mauvais œil l’arrivée d’un dangereux concurrent.

 

Quelles conditions doivent remplir les producteurs pour bénéficier de l’AOC ?

Il faut tout d’abord que le producteur revendique un lot en AOC : terres agréées en AOC (zones de mangrove exclues et altitude inférieure à 400m), variétés de cannes à sucre AOC, process agronomiques et distillations certifiés etc. Un jury de cinq personnes procède ensuite à une dégustation pour l’obtention de l’agrément. En Martinique, nous avons même choisi de faire déguster tous les lots. Nous sommes d’ailleurs la seule AOC de France à le faire !

 

15 ans après sa création, quel bilan peut-on faire de l’AOC “Rhum Agricole Martinique” ?

Sur le plan qualitatif, il s’agit incontestablement d’une réelle réussite, l’ensemble des rhums agricoles de l’AOC Martinique est de bonne qualité. Sur le plan de la protection, notamment au niveau européen, le bilan est en revanche plus mitigé. L’objectif de la protection effective et réelle de la production et des producteurs n’a pas encore été atteint.

 

C’est-à-dire ?

Notre souci en tant que producteurs, c’est la protection de nos marchés. Nous avons montré notre savoir-faire pour des productions de qualité mais nous n’avons pas les mêmes moyens que les grandes firmes comme Bacardi ou Havana Club pour le faire savoir.

Nous sommes donc très inquiets vis-à-vis de pays émergents, notamment en Amérique du Sud, qui vont bientôt pouvoir inonder le marché européen de rhum ou de cachaça. Il s’agit d’une vraie concurrence déloyale car les droits de douane vont bientôt être supprimés ce qui permettra à ces pays d’accéder au marché européen. En revanche, ils ne seront soumis à aucune contrainte d’ordre environnemental ou social.

 

L’AOC est-il un argument de vente supplémentaire ?

Évidement car le consommateur accepte les différentiels de coût tant il voit la qualité. A l’export, ce sont surtout les marchés européens qui ont été conquis, notamment l’Espagne, l’Italie… Certains groupes sont aussi présents en Europe de l’Est et en Asie, les Etats-Unis et le Japon représentent également de nouveaux marchés.

 

Les producteurs de rhum agricole tentent de diversifier au maximum leur offre “produits”. Que pensez-vous du marketing fait autour du rhum ?

Le marketing est naturellement indispensable et vous avez pu voir les efforts qui ont été faits pour proposer des flacons très esthétiques, mais il doit rester au service du produit.

 

Et chez Neisson ?

Nous sommes avant tout basés sur la qualité. Zépol Karé (nom donnée à la bouteille du fait de sa forme, ndlr), ce n’est pas une démarche de marketing. C’est une belle bouteille, un gage de qualité. Nous sommes une petite production et nous n’avons pas besoin de faire beaucoup de publicité.

 

Que vous inspire le futur ?

En termes de qualité, il faut toujours se remettre en question. Seule la recherche de l’excellence et le fait de viser des niches à l’international pourront nous sauver, en nous appuyant sur notre spécificité. C’est justement pour cette raison que les protections dont nous bénéficions doivent perdurer. D’où notre inquiétude actuelle. L’Europe doit défendre ses producteurs et une certaine idée de justice. Les Etats-Unis protègent bien leur production, pourquoi l’Union européenne ne ferait-elle pas la même chose ?