Et si la Science-Fiction nous aidait à imaginer ou anticiper le futur de l’humanité et du monde ? EWAG s’essaye à l’exercice en s’appuyant sur l’esprit vif et agile de Michael Roch, auteur martiniquais de science-fiction.

Très vite après le début du confinement, un groupe de mots s’est immiscé dans nos pensées et dans les médias, dans nos discussions et sur les réseaux sociaux : “le jour d’après” ou encore “le monde d’après”.

A quoi allait-il ressembler ? Comment serait-il impacté par cette situation de crise mondiale ? Allions-nous repartir comme avant ou enclencher la transition ? Profiter de cette pause inédite pour penser et mettre en place un après où les inégalités sociales seraient réduites, où la Nature dont nous faisons partie serait protégée, où le rythme effréné de nos sociétés serait enfin ralenti ?

S’il y a une discipline qui peut nous aider à envisager le futur, c’est bien la science-fiction dont l’ADN même est d’imaginer ou d’anticiper le futur de l’humanité et du monde, en se basant sur l’évolution de la société, de ses problématiques, de la science et de la technologie.

Nous avons donc essayé d’imaginer ce jour d’après avec Michael Roch, auteur martiniquais de science-fiction.

Michael Roch - auteur de science-fiction
Michael Roch © Antoine Schoenfeld

En tant qu’auteur, l’écriture de science-fiction est un choix délibéré ?

Michael Roch, auteur de Science-Fiction : Dans ma construction en tant qu’auteur, je me suis interrogé sur ce que je voulais raconter et quelle était la meilleure manière pour le raconter.

La science-fiction a ce pouvoir de déplacer la réalité. Elle établit des parallèles entre ce que l’on vit actuellement et ce que l’on pourrait vivre dans le futur, par le biais de récits anticipatifs qui vont décrire un temps qui n’est pas encore arrivé mais pourrait être demain, dans un an ou dans quelques années.

Pour cela, on créé des personnages qui vivent dans un futur qui est leur temps présent, et en décrivant leur présent, on permet au lecteur de prendre de la distance avec son propre présent et d’un peu mieux réfléchir au monde dans lequel il vit.

Souvent le cinéma de science-fiction fait intervenir des extra-terrestres, ils symbolisent la rencontre et le rapport à l’autre, l’étranger. C’est une des problématiques sociales commune de la science-fiction.

On peut aussi globalement distinguer une science-fiction très noire, pessimiste, dystopique d’une science-fiction qui va s’appuyer sur ce qu’il y a d’optimiste chez l’individu et dans la société, afin de trouver des portes de sortie, que j’aime appeler contre- ou anti-dystopique.

Pour ma part, je travaille à une science-fiction caribéenne optimiste, qui découle du mouvement afrofuturiste américain et africain et s’attache à valoriser l’homme et la femme caribén.ne pour créer un futur en accord avec eux-mêmes et leur environnement naturel.

Les récits de science-fiction nous conduiront-ils ainsi à un monde de demain plus désirable ?

C’est une grande question que nous-mêmes auteurs et autrices de science-fiction nous posons encore aujourd’hui. Oui, il y a eu des cas où la science-fiction a influencé le monde. Nombre des inventions imaginées par les auteurs des années 50-60 ont réellement été créées; comme le téléphone portable avec la communication par satellite que l’on retrouve dans les textes de Ray Bradbury (Auteur de Fahrenheit 451 ou des Chroniques Martiennes notamment, NDLR).

La science-fiction n’est cependant pas un genre de prédiction, nous ne sommes pas des prophètes ou des voyants. Les créateurs de science-fiction s’appuient principalement sur des faits scientifiques et les avancées de la Recherche. Nous ne faisons que vulgariser presque jusqu’à la caricature ces découvertes et ce que nous pouvons pressentir en grossissant le trait. Nous transmettons cela au grand public par la porte de la fiction.

En fait, le rôle de la science-fiction est avant tout de raconter les possibles, les futurs possibles ; afin que les lecteurs puissent prendre position par rapport à ces futurs, se construire des modèles, éventuellement se construire en opposition à ces modèles.

De nombreux créateurs de science-fiction ont ainsi essayé et essaient d’alerter sur ce que pourrait devenir le monde si on ne transformait pas notre manière de vivre, nos manières de faire.

“Le rôle de la science-fiction est toujours d’alerter, et de montrer que l’on peut prendre une voie alternative en faisant d’autres choix. Ouvrir de nouvelles pistes, de nouveaux chemins. Et ne pas rester coincés.”

Je pense à Paul Verhoeven, antimilitariste américain, qui a notamment réalisé le film Starship Troopers pour dénoncer l’impérialisme américain et l’industrie de l’armement, en dépeignant un monde futur provoquant des populations extraterrestres afin de déclencher une guerre interstellaire.

Et malgré le fait que ce film – et le livre dont il est tiré – aient eu un grand impact sur le public international, nous vivons toujours dans un monde en perpétuel état de guerre.

Le créateur de science-fiction peut ainsi nous mettre face à des problématiques, penser des solutions, mais le futur ne dépendra toujours que de l’action humaine.

Nous pouvons élaborer des projections qui feront réfléchir, ouvriront le champ des possibles et feront émerger des initiatives, mais tant que personne ne s’engagera sur les chemins proposés, on ira droit vers le futur annoncé.

Nous avons aujourd’hui le camp de ceux qui pensent que la situation actuelle nous donne la possibilité de tout réinventer et celui de ceux qui pensent que le monde d’avant redémarrera de plus belle. Quel “jour d’après” la science-fiction peut-elle nous proposer ?

Le monde du futur que le monde actuel nous laisse entrevoir n’est pas un monde qui me satisfait entièrement. On le voit année après année, ce système dans lequel on vit creuse de plus en plus les disparités sociales.

La situation que nous vivons actuellement est par ailleurs dépendante de ce système et ne va pouvoir être résolue qu’au sein de celui-ci. Il me semble donc difficile d’anticiper un monde radicalement différent, totalement réinventé, tant le système est construit pour que l’on ne puisse pas se libérer de son emprise.

On peut évoluer dans ce système, mais il est très compliqué d’en sortir ou de vivre à la marge, car la marge de manœuvre qui nous est laissée est justement très étroite.

Pour que le jour d’après ne soit pas identique au jour d’avant, il aurait fallu qu’il y ait une prise de conscience beaucoup plus importante et surtout, que des structures déjà en place permettent à cette prise de conscience de s’installer matériellement.

Afin d’encourager cela, je produis – ainsi que mes collègues écrivains et écrivaines (à découvrir dans l’encadré) – des textes d’anticipation qui vont proposer des portes de sortie, des chemins de traverse, et amener à créer des alternatives locales, plus viables, plus pérennes et moins discriminantes pour les futurs individus de la société ; tout en prenant appui sur les acquis sociaux obtenus au travers des luttes passées.

« L’issue que nous pouvons proposer est de commencer à vivre en marge de ce monde qui nous est imposé. Tenter de ne plus en dépendre entièrement. »

C’est vraiment le chemin alternatif qu’il faut viser selon moi. Et c’est ce chemin alternatif que la science-fiction peut mettre en avant actuellement, en alertant sur ce que le monde deviendrait s’il reste monolithique et se plante.

A partir de ce qui a été imaginé, exposé, des expériences peuvent voir le jour, des projets locaux aboutir, qui vont créer une autre réalité et permettre de construire des mondes différents qui seront toujours liés au système premier, mais qui vont pouvoir évoluer, petit à petit grossir, et si possible, le remplacer à moyen ou long terme.

Des initiatives pas nécessairement décroissantes mais des alternatives, des indépendantismes locaux, durables, en lien avec l’écologie, qui cherchent à utiliser les moyens dont nous disposons autrement que ce pour quoi ils nous sont imposés.

« Ce sont ces zones d’amélioration qu’il faut développer non seulement en fiction mais aussi en réel pour petit à petit gagner du terrain dans les esprits de chacun, et amener à une mutation des réflexes que l’on a hérité depuis des années et années de construction sociétale. »

A LIRE ET A VOIR
pour repenser notre présent et nous aider à construire le futur

 • Alain Damasio, très connu et qui l’an passé a écrit Les Furtifs, où il explore tous les chemins alternatifs qui pourraient émerger au sein d’une communauté urbaine et donne quelques exemples de chemins à prendre.

• Sylvie Lainé, qui développe une science-fiction très douce, non-oppressive, qui s’attarde sur la réalité quotidienne de chaque individu.

• Sara Doke, qui utilise la littérature de l’imaginaire dans une dynamique de revalorisation de l’individu afin de lui promettre un meilleur futur, et qui redore l’image des femmes dans la littérature dans son livre L’autre moitié du ciel.

• Les films La Belle Verte de Coline Serreau, Premier Contact de Denis Villeneuve, District 9 de Neill Blomkamp, Rencontre du 3ème type de Steven Spielberg

Le Livre Jaune est le dernier livre de Michael Roch, paru aux éditions Mu. L’auteur a également co-écrit et animé le podcast Ne sortez pas dès le début du confinement. Pour plus d’actualités et d’inspiration, suivez @mchlroch

Photo principale © Michael Roch


Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine EWAG | Nos sociétés s’adaptent. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.