Par Bruno Brival, Directeur Général de l’ADEM

Fortement fragilisée par les deux dernières années de crise, l’économie martiniquaise peine encore à reprendre son souffle. Dans le contexte actuel, la plupart des entreprises réduisent leurs investissements ainsi que leurs effectifs, ou les maintiennent tout au plus. Ce constat ne doit pourtant pas occulter les réflexions et les propositions faites à l’issue des évènements de février 2009, lors des états généraux de l’outre-mer. Au-delà du mal-être social, une volonté de changement de modèle économique s’est exprimée.

Ainsi, plusieurs pistes de développement et d’amélioration de la performance ont été mises en exergue : l’innovation, la maîtrise des coûts, la qualité, la nécessaire structuration des filières, les besoins en équipements techniques structurants pour le territoire etc. Nous ne traiterons ici que du volet de la logistique, objet essentiel dans le développement et l’aménagement des territoires.

La fonction logistique organise les flux (physiques et informatifs) au sein de l’entreprise, et plus globalement pilote la chaîne d’approvisionnement allant du fournisseur jusqu’au client final. La maîtrise de cette fonction est donc stratégique et plus encore si l’entreprise est située sur un territoire insulaire. Dans ce cas précis, l’optimisation des coûts peut créer un avantage concurrentiel sans commune mesure pour l’entreprise.

 Exemple de chaîne logistique classique

Force est de constater qu’à la Martinique, la chaîne logistique est loin d’être optimale.

En premier lieu, notre situation insulaire impose que le nombre d’intervenants de cette chaîne soit bien plus important chez nous qu’en France hexagonale. Il n’en demeure pas moins que la plupart de nos entreprises, notamment les plus petites, ne disposent pas de véritables organisations logistiques. Surfaces de stockage mal dimensionnées, insuffisance de procédures adaptées, gestion de stock approximative, systèmes d’informations inexistants ou défaillants, manque de compétences… autant de facteurs qui engendrent des coûts importants qui pourraient être évités ou réduits.

Dans l’Hexagone, le coût complet de la gestion logistique peut représenter jusqu’à 30% du CA d’une entreprise. En Martinique, compte tenu de l’insularité et de la taille modeste de nos entreprises, ce pourcentage est nettement plus élevé, ce qui renforce l’effet de levier.

Conscients de l’importance de la gestion logistique pour notre territoire, l’ADEM et l’IUT de logistique de l’UAG ont décidé d’organiser depuis trois ans un séminaire biennal « LOGISTICIA. » Cette rencontre a pour objet de promouvoir les bonnes pratiques et les nouveautés en gestion logistique auprès des entrepreneurs et des décideurs martiniquais.

En 2009 et 2011, près de quatre cent personnes ont participé à ces journées d’échanges animées par plusieurs experts martiniquais et étrangers. La deuxième rencontre portant sur des problématiques macroéconomiques a évoqué le manque d’équipements structurants sur notre territoire dans le domaine de la logistique et notamment l’intérêt de réfléchir au concept de plateforme logistique.

Plateforme Logistique : un outil d’optimisation

L’exemple peut venir d’outre atlantique, où de grands groupes français et étrangers ont réduit le nombre de leurs sites de production en créant des plateformes logistiques dotées d’une gestion « externalisée », par le biais de prestataires de services. En effet, les entreprises font face depuis plusieurs années à des consommateurs exigeants et versatiles. Pour répondre rapidement à ces changements de demande, les acteurs de la Supply Chain ont mis en place des réseaux de collaboration fonctionnant en flux tendus. La plateforme logistique est une infrastructure qui résulte de la mise en œuvre de ces coopérations et de ces méthodes. Elle permet, par exemple, d’accroître l’efficacité de la chaîne logistique en réduisant les délais de livraison pour que l’entreprise s’adapte mieux à la demande.

Les plateformes logistiques donnent lieu à des opérations variées. Certaines ont principalement une vocation de stockage de produits. Elles comprennent souvent des bureaux dans une proportion de quelques pourcents de leur surface et accueillent de plus en plus fréquemment une part d’activité industrielle allant du « post-manufacturing » à l’assemblage. D’autres encore n’ont qu’une vocation marginale dans le domaine du stockage et visent essentiellement à gérer des grandes quantités de produits en « cross-docking » (réception, dépalettisation, tris, recomposition de commande, expédition.) Cette gestion des flux intègre nécessairement une importante fonction transport.

La Martinique dispose déjà de plateformes de ce type, spécialisées dans le « froid », positif ou négatif (stockage de produits alimentaires froids), mais de dimensions sommes toutes modestes, aux environs de cinq mille mètres carrés. Il convient désormais de réfléchir à doter le territoire de plateformes multifonctions de tailles beaucoup plus importantes (allant de dix mille à quinze mille mètre carrés).

Un outil de développement économique à court et moyen terme

La maitrise logistique représente des enjeux importants et multiples. Ils sont avant tout d’ordre économique en termes de compétitivité et de croissance. Ils sont aussi sociaux avec des implications fortes en matière de pouvoir d’achat et de sécurité routière. Enfin, ils sont d’ordre écologique avec des aspects liés à la congestion urbaine et à la pollution.

Aujourd’hui en Martinique, la performance du secteur est toute relative. Elle présente d’ailleurs un fort potentiel de développement par rapport aux aspirations des entreprises et du tissu économique en général.

De façon non exhaustive, voici précisés les principaux enjeux d’un tel équipement pour notre territoire :

• Une plateforme logistique est un facteur de compétitivité indiscutable pour les entreprises qui peuvent ainsi maîtriser leurs coûts tout en améliorant le niveau de satisfaction de la clientèle. Désormais, il faut livrer plus rapidement (délai), plus fréquemment (fréquence) et en plus petites quantités (gestion des stocks). Dans ce contexte, les TPE & PME, particulièrement impactées par ces évolutions, éprouvent d’énormes difficultés à assurer seules leur fonctionnement. La différenciation ne se fait plus uniquement sur le produit qu’elles proposent mais sur leur capacité à maîtriser leur chaîne logistique par la livraison de leurs produits dans les meilleures conditions de coût, de qualité et de délai. Sur la base d’une véritable logistique collaborative, les gains sont générés par une massification des flux, une mutualisation des moyens, un partage accru de l’information et des compétences et le développement commun de nouveaux services.

• A noter que l’avantage concurrentiel fourni par une plateforme sera d’autant plus grand si elle dispose en plus de bons systèmes informationnels comme l’échange de données informatisées (EDI) et d’un excellent système de transport.

 • L’optimisation logistique est aussi un facteur d’amélioration du besoin en fond de roulement pour les entreprises. La plateforme permet aux entreprises d’optimiser leur approvisionnement en fonction du niveau d’activité en jouant le rôle d’un amortisseur (meilleure gestion des pics d’activité exceptionnels ou réguliers de l’entreprise). Par ailleurs, l’option d’une plateforme « sous douane » permet aux distributeurs d’améliorer leur trésorerie, les taxes douanières n’étant dues qu’une fois le produit commercialisé. Cette formule s’applique aux activités (transformation, « packaging » etc.) qui peuvent être réalisées sur les marchandises, sans qu’elles soient soumises aux taxes et autres obligations douanières, ce qui permet de les réexporter en franchise douanière et de créer une véritable « zone franche. »

• Une plateforme logistique joue un rôle majeur en termes d’aménagement d’un territoire. Son existence rend le territoire plus attractif pour les entreprises ou pour la mise en place de zones d’activités économiques. En cela, elle peut devenir un outil de rééquilibrage économique d’un territoire en favorisant ainsi la création de bassin d’emplois qualitatifs. Par ailleurs, elle permettrait aux entreprises de dimensionner au plus juste leurs besoins en stockages individuels, créant ainsi de nouvelles disponibilités en termes de foncier libre ou bâti.

• Enfin, sur le plan environnemental, la présence d’une plateforme permettrait d’optimiser aussi les déplacements qui sont associés aux flux logistiques (modes, timing, typologies, etc.)

Par ailleurs, les entrepôts peuvent, dans la mesure où ils répondent à certains critères, être visés par une réglementation spécifique : la réglementation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE).

Lorsqu’un entrepôt est soumis à cette réglementation, des exigences réglementaires spécifiques lui sont applicables et doivent être respectées tout au long de son cycle de vie, depuis sa conception jusqu’à l’éventuelle cessation d’activité. Les contraintes définies par cette réglementation ont pour objectif de maîtriser les effets sur l’environnement du lieu d’exploitation de l’entrepôt et ce tant dans le cadre de son exploitation normale qu’en cas de situation accidentelle.

Pour conclure, il convient de spécifier que les sites de massification des flux logistiques ont toujours existé dans l’ère moderne. En effet, le port  et l’aéroport jouent ce rôle depuis des années. La création de nouvelles plateformes logistiques, telles que définies plus haut, est un processus complexe et coûteux, mais indispensable pour un développement durable de notre économie. Une étude approfondie s’avère nécessaire pour préciser les avantages mais également les coûts liés à une telle création sur notre territoire.

Elle devra tout spécifier en amont : localisation de la plateforme, plan du bâtiment, personnels nécessaires, formations et compétences requises, coûts, financements et par-dessus tout la gouvernance dans le fonctionnement d’un tel outil.

Enfin, cet outil stratégique devra être au service de nos plus petites entreprises qui ont fait le choix de s’organiser et de réduire leurs coûts pour se développer et conquérir d’autres marchés. La création de valeur sera alors optimale et notre territoire n’en sera que plus attractif.

Bruno Brival

Directeur Général de l’ADEM