Jérôme Pichon dirige le bar des Palmistes. Pour le Guyamag, il sort son couteau le plus tranchant et livre un avis aiguisé sur la formation des futurs cuisiniers guyanais.

Il a jeté son tablier, il a décidé d’abandonner parce qu’il avait finalement perdu la foi. Ou plus exactement, il est parti afin de ne pas la perdre. Avant de diriger le bar des Palmistes, Jérôme Pichon enseignait, à des jeunes guyanais en CAP, les rudiments du métier de cuisinier. Mais l’entêtement du ministère de l’Éducation Nationale, comme celui du Rectorat, ont eu raison de lui, lui qui parle pourtant d’amour quand il évoque son métier. « Aujourd’hui, les programmes de l’Éducation Nationale sont élaborés dans des bureaux à Paris par des “barbares” qui ne tiennent aucunement compte des spécificités locales ni de la réalité de la société guyanaise.
Pourtant la situation est bien différente de n’importe quelle région de l’Hexagone. Ici, dans la filière CAP, plus d’un gamin sur deux a des parents en situation irrégulière et il n’est même pas nécessairement francophone. »

Le ton est donné. Dans le viseur, le rectorat, qui ne veut regarder en face la situation de jeunes apprentis issus le plus souvent de milieux défavorisés et qui ne souhaite surtout pas toucher au sacro-saint programme commun national. « En Guyane, les vocations pour le CAP-cuisine ne représentent que 5% des élèves. Autrement dit, 95% d’entre eux ont été propulsés dans un monde totalement codifié, dont ils ignorent tout. Il faut bien imaginer que 90% de ces jeunes ne sont jamais allés manger au restaurant… Certains me demandent : « Monsieur, c’est quoi un radis ? » Comment pourraient-ils s’imaginer dans un monde professionnel qu’ils ne connaissent pas ? Aujourd’hui, on leur apprend les mêmes règles qu’à Paris. Vous imaginez enseigner à un jeune qui vit sur le fleuve la recette du pot-au-feu ou du velouté aux asperges. Et le pire dans tout ça, c’est qu’ils ne savent même pas pour autant faire une sauce chien. Sur cinquante élèves, si un seul connaît la recette de la sauce chien, c’est que sa tante tient un restaurant ! Il est là le vice de ce système : non content de les gaver, on occulte la culture respective de ces jeunes, qu’ils soient indiens, créoles, chinois ou originaires du fleuve… »

Face à ce décalage, ce gouffre qui se creuse entre les programmes nationaux et la couleur même de la société guyanaise, Jérôme Pichon prône l’ouverture et l’ajustement des contenus pédagogiques.
« L’idéal serait que le Rectorat et les professeurs du cru se retrouvent, échangent, et mettent en place des programmes spécifiques… ce n’est pas difficile ! Permettre par exemple à chaque élève de partir en France pour une immersion de 8 à 12 semaines pour un cycle de formation.

Il faudrait aussi pouvoir dire aux gamins, le jour de la rentrée des classes : bon, rendez-vous lundi à 8h, vous prenez vos cahiers, on va au restaurant. Et passer ainsi toute la matinée à découvrir la cuisine, le service…
Et manger tous ensemble autour d’une bonne table. Parce que la cuisine c’est de l’amour, ce n’est pas un métier. »