A quarante-sept ans, Philippe Zaffran en paraît trente. Comme si les années n’avaient pas de prise sur cet architecte dont les ouvrages défient le temps et qui met son art au service de la communauté avec une grande générosité.

Et si nous commencions en tordant le cou au cliché de l’architecte solitaire, avec sa planche à dessin, son té et son équerre… ?

C’est effectivement une image très réductrice. Il y a un peu de ça, forcément, mais ce n’est qu’une des nombreuses facettes du métier. C’est l’écoute qui constitue le socle, le fondement même de mon activité. Je dois devenir une éponge à informations, être capable d’absorber les besoins et les désirs de mes clients afin d’y répondre le plus simplement et le plus précisément possible. La dimension artistique est essentielle, mais les enjeux financiers doivent aussi être pris en compte : l’architecte porte la responsabilité de la garantie des ouvrages et de budgets importants.

Comment assumez-vous cette responsabilité au quotidien ?

Je m’efforce de travailler dans une ambiance de proximité, avec beaucoup d’humanité et d’humilité, et avec rigueur et exigence. Chaque opération est à mes yeux comme une histoire d’amour, où l’on apprend à se connaître puis à s’aimer.
Je ne dis pas que c’est facile tous les jours, mais l’amour n’est pas une chose évidente ! (rires) Pour répondre à votre question, les relations humaines sont la source de ma motivation. Je tiens à donner à mes maîtres d’ouvrages ce qu’ils attendent de moi, en leur livrant un projet correspondant en tous points à notre vision initiale… et bien sûr en respectant scrupuleusement le budget prévu. Le poids des responsabilités est compensé cent fois par l’étincelle dans les yeux d’un client qui porte son premier regard sur son projet sorti de terre.

Il doit falloir beaucoup d’humilité – ou d’orgueil ! – pour prétendre bâtir des lieux où les gens vont vivre…

Question intéressante ! (rires) Puisque vous soulevez le lièvre, allons-y. Oui, il existe une part de fierté qui entre en compte, mais il faut savoir la maîtriser si l’on désire encore passer les portes…(rires)
On peut acquérir une certaine notoriété et la reconnaissance tout en restant humble et discret si l’on conserve l’envie de mettre ses capacités au service des autres.
La remise en question de son travail et de soi-même est primordiale, et doit être quotidienne.

Vous êtes tombé dans l’architecture étant petit ou les hasards de la vie vous y ont-ils conduit ?

Mon métier est avant tout une passion. J’ai toujours aimé concevoir, construire, jouer avec les formes et les matériaux. Après le lycée, je suis entré en école d’architecture sans même me poser la question. C’était la voie normale et naturelle.
Le métier s’apprend tout au long d’une vie : on voit ses projets prendre forme comme on met un enfant au monde. On en prend soin, on les voit grandir, mûrir, en voulant pour eux le meilleur. Et puis un jour le projet ne nous appartient plus, il mène sa propre vie.

Dans quels secteurs exercez-vous principalement ?

J’ai toujours considéré que pour pouvoir bien exercer ce métier et le maîtriser, il fallait avoir des compétences fortes dans les trois axes principaux de l’acte de bâtir : la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et l’entreprise. Je me suis donc construit pendant des années, et grâce à ce parcours quelque peu atypique, je peux aujourd’hui jouer dans tous les secteurs d’activité.
Depuis mon établissement en Martinique voilà dix ans, j’ai travaillé sur de nombreux projets : le logement collectif, individuel, le tertiaire et l’industriel, le scolaire, la conception de bâtiments neufs ou à réhabiliter, mais aussi sur l’agencement intérieur et la décoration, (maisons, restaurants, bureaux, écoles…) Travailler avec les contraintes de structures préexistantes ou les conditions climatiques et géologiques régionales est une source de plaisir et de créativité car il faut savoir se montrer ingénieux.

Quels sont vos maîtres architectes ? 

Avez-vous des modèles qui vous inspirent et vous influencent 

Je suis un grand admirateur de Frank Lloyd Wright, qui a conçu, entre autres, le Guggenheim Museum de New York. Connaissez-vous l’anecdote à ce sujet ? Wright avait initialement prévu un grand garage pour cet emplacement, mais le projet a été abandonné. Lorsque Guggenheim l’a sollicité pour concevoir le musée, Wright a utilisé une partie des plans de son garage… la forme spiralée si célèbre du musée était donc à l’origine la rampe d’ascension des voitures (rires).

J’aime aussi beaucoup Le Corbusier, je me sens proche de ses lignes, de ses volumes, de son purisme et de la maîtrise de ses plans fluides.

L’avant guerre jusqu’aux années 50 est l’une de mes périodes favorites : le mouvement Art Déco, la période de la sécession Viennoise avec Joseph Hoffmann, Le Bauhaus avec Walter Gropius et Mies Van Der Rohe…

Pour conclure, que vous inspire cette phrase de Victor Hugo, grand architecte littéraire s’il en fût, tirée de Notre-Dame de Paris : 

« Jusqu’à Gutenberg, l’architecture est l’écriture principale, l’écriture universelle » ?

Je crois que l’architecture écrit aussi l’histoire, c’est l’un des maillons forts du patrimoine génétique de l’humanité.

Nous transmettons aux futures générations une forme de culture et, comme les livres, l’architecture se lit, se vit et autorise une véritable communication inter-générationnelle et intemporelle. « Dis moi ce que tu lis et je te dirai qui tu es. »