Manque de débouchés, manque de professionnalisation, difficultés d’accès aux emplois qualifiés trop éloignés des formations dispensées et des diplômes délivrés… et toujours la même équation à résoudre à la sortie : les diplômés doivent être jeunes, dynamiques, fortement diplômés et disposant d’une expérience professionnelle ! Pour résoudre la quadrature du cercle, l’Université des Antilles-Guyane a décidé d’ouvrir ses portes aux entreprises. Ou quand le monde universitaire rencontre le monde réel, celui des entreprises et de leurs besoins.

Longtemps, le monde universitaire a été coupé de la réalité des entreprises, à tel point que les formations dispensées n’étaient pas suffisamment reliées aux attentes de “l’économie réelle”. Et du point de vue des entreprises, communiquer avec l’université (ou plutôt avec ses multiples interlocuteurs que sont les départements, les laboratoires, les professeurs etc.) n’était pas une mince affaire… La loi du 10 août 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse) qui entrera en vigueur au 1er janvier 2013 et qui prévoit, en substance, que toutes les universités accèdent à l’autonomie dans les domaines budgétaires et de gestion de leurs ressources humaines a, entre autres innovations, ajouté une mission aux établissements concernés qui consiste à mieux assurer l’orientation des étudiants et à préparer leur insertion professionnelle.

Ces obligations, l’une renforcée, l’autre nouvelle, ne peuvent être correctement remplies que sur la base d’une connaissance approfondie des réalités et potentialités de l’économie des territoires et à travers les efforts visant à rapprocher de celles-ci les formations dispensées. Et ce rapprochement commence par la présence d’acteurs économiques privés ou publics dans le Conseil d’administration de l’UAG. Sur les quarante-deux membres qui le composent, on dénombre seize personnalités extérieures à l’université, de Pierre Zammit qui dirige la Mission Guyane du CNES à Willy Angèle, patron du Medef Guadeloupe ou encore Bernard Hayot, Président du groupe du même nom.

Aussi, cette participation aux instances de l’UAG marque-t-elle le début d’un fonctionnement nouveau de l’institution universitaire dans lequel les acteurs majeurs du développement économique, social et culturel de la Martinique, de la Guyane ou de la Guadeloupe auront, ensemble, leur mot à dire dans la gestion territoriale de l’enseignement supérieur : recherche, formation, diffusion des savoirs et insertion professionnelle. En Martinique, la présence de ces acteurs privés a été renforcée par la création de la Conférence des Acteurs du Développement Universitaire et Territorial (CONADUT). Une nouvelle étape qui devrait ainsi permettre à l’université de travailler en étroite relation avec les acteurs du développement des territoires. La première réunion ainsi organisée le 29 juin 2011 a permis de donner immédiatement corps à une collaboration nouvelle. Elle a été l’opportunité d’afficher un accord unanime de principe entre les partenaires sur le projet d’autonomie renforcée des pôles universitaire à l’intérieur de la mise en œuvre de la loi LRU, à compter du 1er janvier 2013.

“Le rapprochement entre l’UAG et le monde de l’entreprise s’opère aussi sous la forme de différentes actions, explique Pascal Saffache, Président de l’UAG (voir son interview). La première d’entre elles a été la création de la fondation “UAG/GBH, agir ensemble pour la formation et l’emploi” ainsi que la mise en place du Bureau d’Aide à l’Insertion Professionnelle (BAIP). Parce que nous croyons qu’il est essentiel d’ouvrir les portes de l’entreprise aux étudiants en leur mettant le pied à l’étrier. La deuxième action significative a été le forum “Métiers & Carrières”. Il permet de démystifier l’entreprise, de montrer aux étudiants la réalité du monde professionnel. Nous organisons aussi les “Rendez-vous de l’excellence”, un événement qui permet de montrer que l’on peut être Antillo-Guyanais et mener une carrière brillante à Londres, New-York ou encore Dubaï. Je crois que grâce à ces actions, nous commençons à trouver notre place”.

DUMAR, le bon exemple

Et pour être plus concret, au plus près des réalités des entreprises, il convient de mettre en avant un partenariat triplement gagnant entre l’entreprise, l’université et les étudiants : la licence professionnelle DUMAR. En effet, afin de professionnaliser les formations des étudiants et de favoriser ainsi leur employabilité, l’Université des Antilles et de la Guyane et le Groupe Bernard Hayot (GBH) ont initié un programme de formation en alternance aux métiers de la grande distribution délivrant un Diplôme Universitaire de Manager de Rayon (DUMAR), de niveau Licence (Bac+3). Sur une promotion de vingt étudiants, quinze ont obtenu leur diplôme en 2011, soit un taux de réussite de 75%. Quatorze sont en poste dans des entreprises de GBH aux Antilles-Guyane, dans le cadre d’une mobilité régionale.

Pour Stéphane Hayot, directeur général du groupe GBH, il s’agit avant tout d’une “initiative concrète qui répond à des besoins bien précis”, une façon de s’impliquer dans la formation qui doit servir d’exemple aux autres entreprises. “A l’heure de la remise des premiers diplômes, il est désormais à espérer que d’autres entreprises emboîteront le pas de GBH, résume M. Hayot. Il faut que d’autres entreprises s’engagent dans d’autres domaines comme la comptabilité, l’informatique, etc. Des secteurs porteurs d’emplois”.

Un projet de master en partenariat avec le Comité Martiniquais du Tourisme

Autre domaine dans lequel l’entreprise doit trouver sa place à l’université : l’alternance. Dans les filières dites “classiques”, des stages sont à effectuer mais ils restent bien insuffisants : une semaine en 2e année, un mois en 3e et 4e années et trois mois en 5e année… L’alternance peut donc être une voie à suivre. Si elle ne concerne aujourd’hui qu’une trentaine d’étudiants par filière, soit une centaine d’étudiants en tout, un des objectifs de l’UAG est d’ouvrir le 1er octobre 2012 un CFA (Centre de Formation d’Apprentis, ndlr) pour accueillir des étudiants-salariés. Toujours au sujet de l’alternance, un projet de master en partenariat avec le Comité Martiniquais du Tourisme verra le jour à la rentrée prochaine. Ce master, réservé essentiellement aux chefs d’entreprise et aux cadres, dispensera des cours en français, en anglais, et en espagnol, avec des cycles de trois semaines par mois en entreprises. Afin de valoriser la recherche et de faciliter les transferts de technologies, les technopoles ont aussi une carte à jouer puisqu’elles se situent à l’intersection de trois milieux : les décideurs institutionnels (Etat, Région, etc.), le monde de l’entreprise et les acteurs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. En Guyane par exemple, Guyane Technopole est en train de s’installer sur le campus universitaire, une pépinière d’entreprises innovantes étant en cours de construction sur le Pôle Universitaire de Cayenne. Une autre voie à suivre pour lier les besoins d’innovation des entreprises aux enseignements dispensés sur les bancs de l’université.

Mais si le monde universitaire se doit d’être plus en phase avec les évolutions économiques du territoire, il ne doit cependant pas faire concorder trop mécaniquement les formations qu’il organise avec les besoins ponctuels des établissements universitaires. En effet, la taille du marché antillo-guyanais ne saurait absorber sur le long terme un trop grand nombre d’étudiants formés à un métier en particulier. Il faut donc que l’UAG s’attache à proposer des filières de formation suffisamment professionnelles pour favoriser l’entrée sur le marché du travail, et suffisamment ouvertes pour permettre des trajectoires plurielles et assurer des reconversions ultérieures. C’est certainement là son plus grand défi.

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