Le mot est banal et son pouvoir indiscutable, le réseau est au coeur de nos vies et de nos sociétés.

« Réseauter devient incontournable, que la démarche soit physique ou virtuelle ». Il pourrait s’agir d’un échange informel entre des jeunes diplômés, un prof et ses élèves, des parents inquiets pour leurs enfants, des chefs d’entreprise…

C’est en fait. Un article du Pole emploi en 2013 qui, constatant qu’il est « difficile aujourd’hui de trouver un emploi en répondant uniquement à une annonce », pose ouvertement ce qui s’énonce dans les cercles intimes. « Le réseau ça compte énormément ».

Certains pensent d’ailleurs cette question en d’autres termes, prêts à l’emploi et fourre-tout. « Piston » et « copinage » ne sont jamais bien loin quand il est question de réseau, suivis, nourris souvent de fantasme ou de jalousie.

Clivant le réseau ? Oui et non. Oui par sa construction, dès lors qu’il existe un réseau, il existe aussi ceux qui n’en font pas partie. Non par sa nature. Le réseau a des objectifs clairs (et souvent publics), une grille de lecture de son environnement, une appréciation des opportunités et des contraintes, présentes et à venir.

En bref, le réseau ne veut pas exclure, au contraire il veut prendre part au monde.

1, 2 et 3 réseaux 

Depuis que l’homme est homme, des intérêts communs ont conduit les individus à s’organiser, se réunir, se parler, s’encourager et se parrainer, à vivre et prospérer en réseau. Le réseau est ainsi une forme d’organisation sociale tout aussi spontanée qu’exigeante.

« Il faut donner pour pouvoir recevoir. »

« Démultiplier sa présence au sein de plusieurs entités ne va pas dans le sens du fonctionnement même des réseaux ». Car un réseau efficace est un réseau qui dispose certes des cotisations de ses membres (pour embaucher des permanents, commander des études, communiquer…), mais surtout de leur temps.

C’est l’engagement des uns et des autres pour s’investir au sein de commissions thématiques, dédiées à l’environnement, aux normes fiscales, au recrutement qui vont produire la véritable richesse de ces organisations.

Des ressources intellectuelles d’abord, sous la forme d’études et d’analyses qui deviennent ensuite stratégiques (recommandations et influence) et/ou opérationnelles (conseil pour entreprise, opérations grand public etc.).

Au total « on estime qu’on peut faire partie de 3 réseaux, 4 maximum pour que ça fonctionne », chiffre le chef d’entreprise qui fait également partie du réseau MPI pour l’industrie locale.

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Intérêts communs 

Le réseau donc c’est du travail. Mais pas de manière directe pour son business ou son entreprise. Ce qui ressort en interrogeant diverses organisations en Guadeloupe, Martinique et Guyane, c’est la conscience d’une certaine destinée commune.

En quelque sorte une version chaque fois renouvelée du « un pour tous, tous pour un », avec comme ligne de mire « le développement du territoire ».

Les uns travaillent à l’émergence d’un secteur numérique dynamique. D’autres s’organisent pour que les normes réglementaires s’adaptent aux réalités locales et régionales en matière de construction ou d’assurances.

D’autres encore posent les bases du tourisme à faible empreinte écologique, de l’accès à la culture, de la promotion du savoir-faire local, ou bien accompagnent les entrepreneurs à élargir leur horizon et s’élancer sur des marchés internationaux…

Dans tous ces cas et des centaines d’autres, les réseaux professionnels d’entreprises se spécialisent. Ils soutiennent des dynamiques nécessaires à nos économies.

David et Bruxelles 

C’est le paradoxe des réseaux. Dans la majorité des cas, on rejoint un réseau porté par des objectifs individuels, « faire des contacts, comprendre son environnement et développer son business ».

Ils vont en réalité prendre part à un projet plus grand. Et ce, du fait même que les réseaux interagissent entre eux, élargissant leur expertise et leur influence.

Par exemple la commission fiscalité du MEDEF de Martinique va produire une analyse de la situation économique, fiscale, règlementaire. Elle est ensuite relayée à l’échelle nationale à travers la Fedom puis au niveau européen avec Eurodom. Avec de véritables effets.

Les réseaux interrogés ne disposent pas d’un livre d’or qui compilerait leurs faits d’armes, victoires et déroutes, qui nous permettrait de mesurer de manière simple leur rôle. Cependant, un constat domine.

« L’efficacité des réseaux ultramarins font entendre et voir les spécificités, les besoins et les fragilités des économies ultramarines ».

Un exercice d’influence soutenu et exigeant. Cela nécessite notamment chaque année l’étude détaillée du projet de la Loi de finance votée au Parlement avant le 31 décembre pour l’année suivante.

Cette année, celui-ci s’intéresse à la fin de la programmation 2014-2020 des fonds européens, « enjeu colossal pour apporter de la croissance, diminuer l’incidence du chômage et accélérer le rattrapage économique », cite un des chefs d’entreprise en marge du conseil d’administration du Medef Guadeloupe.

Engagement par secteur

Ils sont nombreux (aucun listing officiel ne les recense), sectorisés, concentrés sur leurs capacités d’action plutôt que sur leur notoriété publique… Comment choisir auprès de quel réseau s’investir ?

Le choix est somme toute assez naturel. On ne feuillette pas le bottin des réseaux professionnels comme on le ferait pour des clubs d’entreprises ou des activités de loisirs.

« C’est en cherchant une réponse à un sujet, en participant à un atelier, à une conférence, à une remise de prix, ou en consultant une newsletter qu’on se rapproche du réseau qui nous correspond ».

Une fois l’adhésion officialisée et la cotisation acquittée (de quelques centaines d’euros à quelques milliers d’euros, accessibles au crédit d’impôts), chacun peut prendre part à l’extension du domaine de compétence, d’action et d’influence de son réseau. 

La science des réseaux 

Au sein de ce terme ô combien banalisé, coexistent deux niveaux d’organisations. Les « réseaux d’entreprises » sont des phares.

Mais pour naviguer correctement, trouver un emploi, ouvrir de nouveaux marchés, conserver sa position, monter des projets, agréger les bonnes personnes au bon moment, le réseau que l’on qualifie cette fois « d’informel » est tout aussi nécessaire.

La notion de réseau intéresse les sciences humaines et sociales depuis les années 1960. Notamment parce qu’elle « dépasse le paradigme fonctionnaliste décrivant la société en termes de classes, groupes, rôles, statuts, organisations ».

Autrement dit, le réseau est disruptif, et il met en lumière l’homme comme être social.

Une conception renforcée aujourd’hui par la crise du Covid-19. Elle a pour vertu de mettre tout le monde d’accord : naturopathes et microbiologistes, journalistes des chaines d’infos continue et politiques… L’homme est un être social, les réseaux façonnent son environnement.

C’est ainsi cette dimension sociale de l’individu qui compte pour grande part dans la vie professionnelle et notamment les recrutements.

Pour le sociologue américain Mark Granovetter, spécialiste des réseaux sociaux, « les liens faibles » sont l’atout principal pour trouver du travail. D’après son analyse, les liens faibles donnent accès à un réseau plus vaste. Il est possible de circuler de « clique en clique », c’est-à-dire d’un réseau à un autre.

Au sein de ces interactions, les individus ont accès à des informations différentes et plus variées. A la différence de celles obtenues par les liens forts classiques, c’est-à-dire les relations proches familiales et amicales (où circulent les mêmes informations, souvent connues de tous).

Autrement dit, les liens faibles donnent l’occasion de saisir certaines opportunités et de s’intégrer au sein d’une communauté. 

20 ans plus tard, en 1994, le sociologue Michel Forsé, confirme l’importance des réseaux. Il estime que les relations sociales sont le deuxième élément majeur dans l’obtention d’un emploi (après le diplôme).

Les réseaux ont définitivement du poids. La preuve le verbe « réseauter » a fait son entrée officielle dans l’édition 2010 du Dictionnaire Le Robert. La même année que « Think tank ». Signe de l’air du temps, et sans doute aussi du caractère incontournable de ces organisations.

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