Yan Monplaisir

“Les Martiniquais doivent s’impliquer”

 

A soixante ans, Yan Monplaisir dirige le groupe du même nom, un groupe qui a su se moderniser et assurer avec succès la mutation d’une entreprise familiale en une holding implantée bien au-delà des frontières de la Martinique. C’est dans son bureau, au siège de la Lézarde, qu’il a reçu l’équipe de MadinMag pour un entretien où il est question de développement économique, de stratégie collective et de politique. En voici les meilleurs extraits.

 Immobilier, environnement, énergie, tourisme… Qu’est-ce qui explique une telle diversification des activités du Groupe Monplaisir ? 

Le Groupe Monplaisir a pris le parti de s’impliquer essentiellement dans les métiers de services. S’ils sont variés, ils ont en commun d’être dans des secteurs d’avenir. Notre volonté est de nous y positionner car nous misons sur des taux de croissance élevés. C’est une stratégie qui repose sur une prise de risque a priori. Mais notre rôle d’entrepreneur, je dirai même notre devoir, est que pour agir pour le développement économique, il nous faut anticiper et faire preuve d’audace. De plus, nous avons une vision tournée vers l’extérieur, tout autant que vers la Martinique.

Concernant le secteur de l’immobilier, la Pointe Simon représente-t-elle une vitrine pour le Groupe Monplaisir ? 

Dans les années 1950, mon père a construit le premier immeuble de logements collectifs privés de la Martinique. A l’époque, il s’agissait du plus haut bâtiment de l’île, et le point de départ de notre implication dans des projets de revitalisation de l’immobilier en Martinique. Concernant la Pointe Simon, nous avons dû faire preuve de patience et de pédagogie car les investisseurs et les banquiers se montraient quelque peu frileux. Notre premier défi a donc été de convaincre les esprits récalcitrants et de prendre le contre-pied d’un certain défaitisme ambiant. Notre première tâche a consisté à démontrer que la revitalisation du centre-ville était possible et que la situation de la perte d’activité du centre de Fort-de-France n’était pas unique…
La Pointe Simon est justement un projet de relance des centre-ville, un pari qui veut qu’un jour, Fort-de-France sera une grande ville dynamique. Et nous avons réussi à convaincre des investisseurs étrangers (de Trinidad-et-Tobago, ndlr) qui ont de suite saisi les opportunités d’un tel projet.

 Le groupe est aussi un acteur incontournable du tourisme. Quelle est votre analyse quant à la situation particulièrement difficile que traverse le secteur ? 

Dans les années 1990/2000, nous avons assisté au déclin constant des structures hôtelières de la Martinique. Tous les acteurs semblaient convaincus qu’il n’existait plus aucune perspective, que les Martiniquais ne pouvaient répondre aux attentes des visiteurs. Il y a eu, je crois, des erreurs d’appréciation quant à l’intérêt du tourisme en Martinique, notamment quant aux contraintes qu’il engendre, mais aussi des erreurs de stratégie, un climat social détérioré…

 Pourquoi alors avoir choisi d’investir dans le Club Med ou l’hôtel La Batelière ?

A l’origine, notre analyse était basée sur des faits et des constats : le tourisme dans les autres îles des Antilles connaissait des taux de croissance à deux chiffres ; en tirant les leçons des erreurs du passé, nous étions convaincus que nous avions la capacité de créer des richesses et des emplois en Martinique. Nous nous sommes donc dit : le moment est venu d’investir dans le secteur. Mais encore une fois, nous avons dû vaincre un scepticisme généralisé et convaincre que c’eut été une erreur de passer à côté de belles perspectives.

 Concernant l’Hôtel La Batelière, pourquoi avoir choisi le passage à l’enseigne Radisson ?

Nous voulions une enseigne américaine pour récupérer une clientèle qui a délaissé notre île. Radisson, c’est aussi l’avantage d’une référence internationale qui ne nous identifie pas uniquement comme une enseigne franco-française.

 Qu’est-ce qui prive encore la Martinique d’un vrai essor économique ?

Le problème, c’est que l’on essaie de trouver des opportunités de développement dans les métiers liés à la consommation. La redistribution telle qu’elle existe aujourd’hui entraîne un pouvoir d’achat très significatif et donc, une demande intérieure à satisfaire. La plupart des projets portent ainsi sur la vente de biens de consommation en direction des ménages.

Ce manque de diversification s’explique bien sûr par l’exiguïté du territoire, l’insularité et la faiblesse du marché intérieur qui compliquent les projets d’ouverture vers l’extérieur. Il faut dire aussi que ce n’est pas très encouragé, les soutiens restant bien souvent parcimonieux.

 Comment alors insuffler une nouvelle dynamique de développement ?

Elle nécessite un accompagnement public fort et donc, une vraie politique en la matière. Pour réussir, il faut que de nombreux projets puissent bénéficier, au moins dans leur phase initiale, de dispositifs de compensation faute de quoi, il n’y aura pas de développement économique. Parce qu’on ne peut pas accepter de laisser le développement économique de la Martinique reposer sur la chaîne : dépenses publiques, dépenses des ménages, consommation des ménages…

 Le développement économique ne nécessite-t-il pas une plus grande implication des Martiniquais eux-mêmes ?

Oui, il faudrait accepter de mettre en place des mécanismes de compensation liés à des interventions nationales et européennes, subordonnés à des implications locales de la part des collectivités. De plus, les Martiniquais doivent faire des efforts à travers notamment la mobilisation de l’épargne locale, à travers des choix d’incitation fiscale ou de taxation, comme c’est déjà le cas avec l’octroi de mer.

Il est fondamental qu’à un moment donné, les Martiniquais s’impliquent dans un effort commun pour leur développement. Une implication qui devra profiter à la création d’emploi, de richesse, de redistribution, et donc, au bien-être des Martiniquais.

 Le problème n’est-il pas une question d’état d’esprit ?

Je crois que l’on a nourri la crainte du risque et de l’innovation. Très souvent, on pérennise le soutien à un système qui a montré ses limites. Il faut donc que nous ayons la capacité d’imaginer un nouveau modèle. Sinon, jamais on ne sortira de cette impasse. Il faut soutenir les entrepreneurs innovants car l’innovation est la clé de la croissance. Seuls sont encouragés les projets qui copient ce qui existe déjà.

 Vous avez des exemples ?

Le projet du Club Med est significatif. A l’époque, nous n’avons pas trouvé de banques implantées localement pour financer le projet car toutes considéraient que ce serait un échec. Heureusement la Caisse des Dépôts, le Club Med et le Groupe Monplaisir y ont cru. Avec le succès que l’on connait aujourd’hui.

Pour la Pointe Simon, ce fut la même chose : aucune banque locale ne voulait nous accompagner. C’est incroyable ! Et l’idée que le projet ne marcherait pas s’est largement répandue. C’est tellement typique de la Martinique. Ici, on se demande comment le projet va échouer au lieu de se demander pourquoi il va réussir ! Et cela pose une autre question : comment et pourquoi les Trinidadiens, qui ont investi dans ce projet, peuvent faire des prévisions sur l’avenir de la Martinique ?

 Il faut donc revoir le mode de financement de nos entreprises…

Bien évidemment. Comment peut-on laisser fonctionner un système de financement des entreprises qui ajoute un handicap aux handicaps ? Les services bancaires sont plus couteux qu’en métropole et l’on s’étonne que nos entreprises soient moins compétitives que sur le continent. C’est un raisonnement qui doit être compris au niveau de l’État.

Par exemple, le tourisme doit faire l’objet de conditions particulières pour être compétitif par rapport aux îles voisines. A défaut, il n’y aura pas de tourisme dynamique car nous ne pourrons pas faire face à la concurrence. Le handicap pourrait se résumer ainsi : comment courir dans la même course que nos voisins, si on porte un sac de pierres dans le dos !

 Vous semblez préconiser aussi un véritable changement d’attitude vis-à-vis de la métropole…

Nous ne pouvons plus accepter de nous présenter au niveau national avec une attitude culpabilisante. Ce sentiment que la République en fait suffisamment pour nous et que nous devrions accepter le sort qui est le nôtre. Le niveau de vie s’est accru depuis cinquante ans, on ne peut pas le nier. Mais en même temps, il a fallu cinquante ans pour que l’on ait droit à l’égalité. Je pense notamment au niveau des prestations sociales, qui n’ont été uniformisées qu’en 1996 sous la présidence de Jacques Chirac.

Il n’est pas acceptable que le chômage soit trois fois plus élevé à la Martinique qu’en métropole, et ce, de façon structurelle. Il n’est pas inéluctable que nos enfants aient trois fois moins de chance d’avoir un emploi que les enfants nés sur le continent. Nos enfants, nos jeunes appartiennent à la même République.

Par ailleurs, la continuité territoriale, qui a déjà été acquise par la Corse, doit aussi exister entre la France et la Martinique. Elle doit se faire par étapes, en commençant par exemple à favoriser le voyage en métropole des personnes victimes d’un deuil familial, des personnes qui souhaitent passer un concours, faire des études, etc. C’est un vrai combat à mener.

 Le développement ne passe-t-il pas également par un apaisement du climat social au sein des entreprises martiniquaises ?

Nous attachons beaucoup d’importance au dialogue social et sommes convaincus de la mission sociale de l’entreprise. La solidarité à l’égard de ceux qui n’ont pas d’emploi et l’insertion des personnes qui connaissent des situations précaires ne sont pas de vains mots.

Je répète souvent aux Martiniquais que considérer les chefs d’entreprises comme des personnes déconnectées de leur responsabilité sociale est une chimère. En rencontrant au quotidien des gens dans la difficulté, les chefs d’entreprises ont conscience de la nécessité d’une implication personnelle.

Intérêt général et intérêt de l’entreprise ne sont pas antinomiques à notre époque. Bien au contraire. Notre Groupe l’a compris et intègre des valeurs citoyennes.

 Il s’agit d’une question politique en fait…

Oui, c’est une question de responsabilité de chacun, avec ses droits et ses devoirs. C’est pourquoi il faut une vision et de la volonté. La vision, c’est à un moment donné, un pari fait sur demain. La volonté, c’est ce qui permet de transformer cette vision en réalité.

 Vous êtes candidat dans le Nord aux élections législatives du 10 et 17 juin prochain. Pourquoi cet engagement politique ?

Je veux faire quelque chose pour mon pays, et ce, sans avoir une seule idée en tête : assurer ma réélection. Ce qui est sûr c’est que pendant cinq ans, on va m’entendre. Je ferai bouger les lignes !

Propos recueillis par Mathieu Carbasse