A l’occasion du 70e anniversaire de la dernière distillerie de Grande-Terre, son PDG, Hervé Damoiseau, revient sur les réussites des rhums du même nom et délivre quelques clés pour mieux comprendre comment la marque tire son épingle du jeu dans un marché toujours plus concurrentiel.  

 

Un point tout d’abord sur le poids de Damoiseau en Guadeloupe…

Damoiseau a été racheté en 1942 par mon grand-père, sans argent. Soixante-dix ans après, Damoiseau c’est 2,4 millions de litres de rhum produits chaque année, 2,9 millions les bonnes années. Et nous espérons atteindre 6 millions de litres d’ici 15 à 20 ans.

Localement, Damoiseau représente près de 50% de part de marché, un marché guadeloupéen où nous écoulons 75% de notre production. Les 25% restant sont destinés à l’export en France métropolitaine, dans l’Union européenne et dans une quarantaine de pays.

 

Au grand export, quels sont vos principaux concurrents ?

On se heurte au problème de la concurrence des rhums des pays tiers et d’Amérique Latine, qui ont des prix de revient de 5 à 10 fois inférieurs aux nôtres. De plus, ces pays ne sont pas soumis aux mêmes contraintes sociales (salaires bas) et environnementales… Un exemple : la distillerie a dû récemment consentir un investissement de 4 millions d’euros pour sa mise aux normes environnementales.

 

Il y a cependant une vraie différence en termes de qualité.

Indéniablement. Pour un 10 ans d’âge par exemple, en France, tout le volume a 10 ans d’âge. Dans les autres pays, sur un litre de 10 ans d’âge, on peut avoir 10% à 10 ans d’âge, 50% à 5 ans d’âge, le reste à 3 ans… Mais on ne peut malheureusement pas imposer aux autres pays de s’aligner sur les règles communautaires.

Les Antilles françaises sont les seules à produire du rhum agricole d’une telle qualité, même la cachaça brésilienne ne l’est pas forcément. En général, il s’agit pour les autres pays de rhums industriels de type “légers”. Ces rhums rentrent – souvent par d’autres pays que la France – pour pénétrer ensuite la grande distribution française.

 

Le marketing permet-il de gagner des parts de marché à l’international ?

Le marketing nous pose en fait un vrai problème en tant que producteurs : d’un côté, on nous demande de jouer le jeu et de produire de façon toujours plus écologique. D’un autre, le consommateur souhaite plus de marketing, de belles bouteilles, de belles étiquettes, etc.

Or, produire de nouvelles bouteilles signifie plus de silice, plus d’émissions de CO2, plus de bois pour le coffret, plus d’encre, etc. Le marketing se heurte à la réalité écologique. Et si on propose un produit épuré, le consommateur est déboussolé !

 

Sur quel(s) produit(s) est axée votre démarche marketing ?

Les “négropolitains” ou les touristes métropolitains sont très friands de nouveaux produits, les guadeloupéens, beaucoup moins, qui préfèrent le blanc classique ou le vieux. Ou alors en boîte de nuit, dans un cadre, un décor particulier. Mais c’est surtout pour les rhums vieux que nous essayons de lancer de nouveaux produits. Nous avons bien sûr les grands classiques : le 8 ans d’âge, le 15 ans d’âge, la Réserve Spéciale et l’XO… tous ceux là marchent bien.
Malheureusement, on ne peut pas faire comme les Martiniquais et produire seulement 300 ou 500 flacons d’un seul produit. Pour nous, ce serait plutôt entre 3.000 à 8.000 flacons au minimum.
Ça coûte cher de produire un produit et le but pour nous est de trouver le bon équilibre prix-produit.
Cependant, pour anoblir une marque, nous n’avons pas beaucoup le choix : sortir de nouveaux produits de qualité est une preuve de dynamisme.

 

Certains produits sont-ils conçus spécialement pour un marché donné ?

Nous sommes là pour répondre aux attentes des clients voilà tout. Un 54°4 “Full Proof “(filtré sans d’ajout d’eau, ndlr) par exemple, ne trouve pas preneur en France. Alors que les Allemands, les Italiens ou les Asiatiques en sont très friands… Au grand export, on s’enrichit des goûts, des attentes des nouveaux clients, d’où le Full Proof.

De plus, nous sortons aussi des produits spécifiques pour certains marchés que l’on ne trouve pas en Guadeloupe comme le Virgin Cane Rum, qui a la particularité d’avoir vieilli en foudre de chêne. Réduit a 40°, ce rhum blanc est un rhum idéal pour les mojitos ou les caïpirinhas.

 

Damoiseau, 70 ans d’histoire…

En octobre prochain, la Distillerie Damoiseau célèbrera son 70e anniversaire. L’occasion de revenir sur l’histoire de la dernière distillerie de la Grande-Terre commencée en pleine guerre, en 1942. A cette époque, la distillerie appartient à une famille martiniquaise. Elle est à vendre. Roger Damoiseau, le grand-père de Jean-Luc et Hervé qui dirigent actuellement l’usine, est à l’époque directeur de l’usine sucrière de Beauport, à Port-Louis.

C’est son ami, le notaire Thionville qu’il croise un jour par hasard, qui lui apprend que la distillerie est à vendre. Roger Damoiseau n’a pas d’argent. Le notaire lui propose alors de le financer et met une option sur la distillerie. Mais Roger a d’autres projets en tête et ne va pas voir le bâtiment. Quelques jours plus tard, une visite lui met la puce à l’oreille : on lui propose le double de sa promesse pour qu’il retire son option. Roger se décide à prendre le volant de sa vieille Citroën pour se rendre à la distillerie. Là, il tombe sous le charme de la bâtisse.

Commence alors pour la famille Damoiseau une aventure qui perdure. Aujourd’hui, Damoiseau produit chaque année plus de deux millions de litres de rhum dont plus des ¾ sont consommés sur place. Il est le premier exportateur de rhum agricole de la Guadeloupe.