Après l’arrêt forcé de l’activité touristique, sur quelles bases faudrait-il repartir afin de créer un tourisme durable économiquement, socialement et écologiquement parlant aux Antilles ? Madly Schenin-King, créatrice de Majorine, agence de conseil et d’assistance opérationnelle pour les acteurs du tourisme, nous éclaire.   

Pour un secteur touristique plus résilient

Madly Schenin-King : “Les acteurs socio-professionnels se sont rendus compte à quel point ils dépendaient des plateformes de réservation, quand celles-ci ont imposé aux hôtes des conditions d’annulation et de remboursement parfois assez strictes.

Ils ont compris l’intérêt d’une stratégie de commercialisation diversifiée, comprenant un canal de vente direct, afin de pouvoir maîtriser ses ventes, les annulations et remboursements.

Ils ont davantage envisagé de travailler en synergie, de créer des partenariats et des unions entre acteurs, ce qui était encore peu présent dans nos territoires.

Le confinement a permis par ailleurs le retour, ou l’émergence, d’un désir de consommer local.

« J’espère qu’à l’avenir, on verra davantage de socio-professionnels intégrer cette notion de production locale dans leurs activités ou encore les plats qu’ils servent. »

Enfin, cette situation inédite a clairement démontré notre dépendance au marché extérieur; et à quel point il était difficile pour les acteurs touristiques d’appréhender le marché domestique, voire de l’évaluer : de savoir ce que les martiniquais veulent, comment ils consomment et comment se faire connaître par eux.”

Pour une offre touristique insolite

“Le marché intérieur représente d’ores et déjà 30% du chiffre d’affaires de certains acteurs du tourisme en Martinique, en partie grâce à des campagnes telles que “Partez en Martinique” lancée par le Comité Martiniquais du Tourisme.

Il y a cependant des idées reçues selon lesquelles les martiniquais ne vont qu’à la mer pendant les vacances et ne font que des activités gratuites. Je pense qu’il y a surtout un réel souci de lisibilité de l’offre. Il n’y a pas simplement “plein de choses à faire en Martinique”.

Afin d’acquérir de nouveaux consommateurs locaux sur le court-terme, voire sur le long-terme, il s’agit de communiquer de manière concrète ce qu’il y a à faire chez nous et de singulariser les offres pour susciter l’envie.

« Il faut donner de la lisibilité à l’offre touristique sur le marché interne, la rendre insolite. »

On peut faire des excursions gourmandes avec Karambole Tour, dormir sous les étoiles, dans une tente ou dans les arbres (Domaine des Bulles, Sphair de Lune, Kawaida Péyi), faire du kayak de nuit ou encore du barbecue donut.

En Guadeloupe, une agence propose même des escapades mystère pour s’évader localement et faire découvrir et redécouvrir certains lieux.

De nombreuses opportunités existent dans la création de guides, dans la mise en place de programmes de fidélité ou encore dans la personnalisation de l’offre, afin de toucher la clientèle locale et de l’inciter à partir en vacances, chez elle.”

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Le seuil de capacité, une notion à ne pas négliger  

“Nous sommes en Martinique dans une approche de tourisme de masse où l’on souhaite avoir un maximum de touristes qui débarquent chaque jour sur l’île, sans que l’on se soucie des conséquences à court, moyen ou long terme.

Certains acteurs publics nous disent qu’il y a tellement de monde qui arrive dans les villas, les hôtels, sur les plages en haute saison, que la gestion des déchets devient parfois incontrôlable.

On peut alors se demander si certaines zones touristiques n’ont pas atteint un seuil de capacité. C’est un indicateur que l’on oublie totalement actuellement, alors que nous sommes limités par nos 1100 km2.

« Tout territoire a une capacité maximale de personnes qu’il peut accueillir pour respecter à la fois l’environnement et la population résidente. »

La nécessité de préserver nos écosystèmes relève aujourd’hui davantage de l’initiative personnelle des acteurs du tourisme, que d’une conscientisation du secteur et d’une stratégie globale de protection de nos ressources et de notre environnement.

Sur plusieurs dizaines d’hôtels sur l’île, il n’y en a ainsi qu’un seul qui soit labellisé Clef Verte. En dépit des problèmes de gestion du réseau, la ressource en eau devient par ailleurs rare et on peut se demander comment on aurait pu faire face à un afflux de touristes dans cette situation de coupures répétées. 

On peut aussi prendre l’exemple des particules fines, augmentant avec le volume de trafic routier. Ou encore celui des fonds blancs du François, régulièrement raclés par les bateaux et les visiteurs, et qui ne pourraient pas être recréés s’il disparaissaient faute de protection. Voire celui des quantités de crème solaire dans l’eau et de mégots de cigarettes sur les plages en période touristique.

Ce concept de seuil de capacité renvoie à une nécessité de régulation, à une meilleure maîtrise du développement touristique, demande de faire des choix, de réfléchir en termes de limites et de comment limiter.

Si Saint-Barth ne laisse pas les gros bateaux de croisière accoster, cela relève ainsi d’un choix : celui de se dire qu’on va préférer les petits bateaux avec des vacanciers plus dépensiers, qui viennent en yacht par exemple.

La politique publique de développement doit donc prendre en compte ce seuil de capacité, à la fois pour les touristes, leur bien-être, pour le territoire et pour le confort des résidents.”

Agence Majorine
majorine.com