Alors que les années 2000 avaient – semble-t-il – sonné le glas du développement de l’activité touristique sur nos îles, depuis plusieurs mois, tous les acteurs du secteur semblent enfin décidés à pousser dans le même sens et multiplient ainsi les initiatives. Le but affiché : s’appuyer sur un constat précis et jouer sur tous les tableaux afin de replacer progressivement les destinations Guadeloupe et Martinique sur le devant de la scène caribéenne. Et on ne va pas se mentir, la course contre la montre est déjà lancée. 

Entre la concurrence des autres îles du bassin caraibéen et la détérioration de l’offre locale, le constat est sans appel : le tourisme dans les Antilles françaises traverse une grave crise depuis près d’une décennie. Et une statistique illustre parfaitement cette situation : la Martinique accueille aujourd’hui deux fois moins de touristes qu’à l’orée des années 1990. En 1998, l’île accueillait plus d’un million de touristes alors qu’en 2010, elle en accueillait moins de 700.000. Et si cette situation est un peu moins alarmante en Guadeloupe, l’évolution de la fréquentation touristique sur l’archipel reste, en de nombreux points, similaire. Comment expliquer ce déclin aussi rapide que prononcé ? Comment expliquer que les mêmes causes, d’une île à une autre, aient entraîné les mêmes conséquences ?

Bien sûr, un des premiers arguments avancé par les acteurs du secteur est de nature sociale. Outre la concurrence des autres destinations de la zone, plus compétitives en termes d’offres comme en termes de prix, la situation sociale dans nos départements peut justifier le désamour des touristes et des tour-opérateurs pour les destinations Guadeloupe ou Martinique. En effet, la stabilité est un élément essentiel dans le choix d’une destination et la crise de 2009 a agi comme un cyclone, balayant tout sur son passage, avec des effets négatifs et surtout, durables. Outre les annulations massives de l’année 2009, nos îles sont ainsi, encore aujourd’hui, en train de payer la désaffection des vacanciers et des opérateurs pour nos départements. Et si les chiffres repartent à la hausse depuis un ou deux ans, nul doute que l’image négative renvoyée par la Guadeloupe et la Martinique continue de “plomber” les taux de fréquentation.

 

L’hôtellerie pas au niveau

Autre constat accablant pour le tourisme aux Antilles françaises : la crise qui touche le secteur hôtelier, comme une parfaite illustration des difficultés de l’activité touristique dans son ensemble. Au cours des dix dernières années, le parc hôtelier antillais a ainsi été divisé par deux. En Guadeloupe, près de 5 000 lits hôteliers ont disparu entre 2003 et 2008 et le nombre de lits pourrait encore diminuer de moitié d’ici 2015. En Martinique, se sont près de 1.000 chambres qui ont été rayées des capacités d’hébergement de l’île et 26 hôtels ont fermé entre 2000 et 2010. De plus, l’absence manifeste d’enseignes internationales (hormis Club Méditerranée et Accor) nuit à la réputation des destinations et ce, même si l’hôtel La Batelière de Schoelcher en Martinique va bientôt passer sous l’enseigne Radison Blue, un exemple à suivre. Le parc hôtelier des deux îles reste totalement obsolète et soutient difficilement la comparaison avec les autres destinations environnantes.

Au-delà des problèmes conjoncturels, le véritable problème du tourisme aux Antilles françaises est justement que le secteur n’est pas (encore) une priorité en matière de développement économique. Le secteur ne compte pour seulement 2% environ de la richesse produite en Guadeloupe ou en Martinique (contre 15% à la Barbade), 10% si l’on prend en compte les retombées indirectes… Pourtant, face au resserrement des financements publics et européens, l’activité touristique apparaît comme la seule dont on peut espérer un développement, la seule à constituer un gisement d’emplois durables. D’autant plus que le tourisme peut entraîner avec lui d’autres secteurs économiques comme l’agriculture, la pêche, l’artisanat ou encore le bâtiment.

Il est donc indispensable aujourd’hui que l’ensemble des acteurs – politiques, chefs d’entreprises, agriculteurs, artisans… nous sommes tous des acteurs du tourisme – prennent conscience de l’existence d’une filière touristique et que tous les moyens soient mis en oeuvre pour développer le secteur.

 

Faire du tourisme une priorité

Il faut donc en premier lieu faire du tourisme la priorité des Antilles en matière de développement économique. Longtemps réfractaire à son développement, la population de nos territoires a longtemps perçu le tourisme – et le service de façon générale – comme de la servitude. L’adhésion de la population est pourtant une condition indispensable au développement de l’activité. L’heure est donc venue de renforcer les actions de sensibilisation de la population à l’intérêt de l’industrie touristique. Et les initiatives comme “La semaine du tourisme à l’école” lancée en 2012 par le Comité Martiniquais du Tourisme (CMT) doivent donc être renouvelées et multipliées.

Par ailleurs, il est temps pour la Guadeloupe comme pour la Martinique de prendre des initiatives afin d’attirer les touristes nord-américains et européens, notamment en incitant les compagnies aériennes étrangères à desservir les Antilles françaises. Parce qu’il est incroyable (et douloureux) de voir qu’à part Cuba, la Martinique et la Guadeloupe sont les deux seules îles de la Caraïbe à ne pas avoir de liaisons directes avec les États-Unis ! Aujourd’hui, près de 90% des touristes visitant les Antilles françaises sont des Français alors que nos îles possèdent les mêmes atouts que nos voisines, très prisées par la clientèle anglo-saxonne notamment. En ce sens, gageons que la desserte aérienne depuis Roissy mise en place fin 2011 par Air France portera ses fruits tant elle apparaît comme indispensable pour mettre la main sur une clientèle plus large, plus européenne qu’exclusivement française.

 

Atténuer l’effet de saisonnalité

Cependant, faire venir les touristes, c’est bien, les héberger dans des hôtels aux standards internationaux, c’est encore mieux. Il faut donc revoir l’offre d’hébergements des destinations Guadeloupe et Martinique, en ajustant par exemple le dispositif de défiscalisation pour l’hôtellerie qui permette la mise à niveau des établissements hôteliers. La loi votée en mai 2011 et qui accorde aux hôteliers jusqu’à 7.500€ de subventions par chambre rénovée va dans cette direction. Assurément la bonne. Toutefois, l’hôtellerie traditionnelle n’est pas l’unique solution, le tourisme de gîtes est aujourd’hui par exemple en plein essor dans les Antilles. Favorisant un contact entre le touriste et la population, il peut constituer un secteur d’avenir pour le tourisme antillais, comme l’illustre notamment le projet de la Pointe Faula au Vauclin en Martinique, qui prévoit la construction d’un Parc Résidentiel de Loisirs (PRL) de 80 bungalows avec restaurant, piscine à vague (Flow Rider), spa… Pour autant, ce secteur doit être davantage encadré, labellisé.

Afin de pérenniser les offres, l’autre défi pour les acteurs du tourisme consiste à diversifier les produits touristiques et les clientèles, de façon à atténuer l’effet de saisonnalité. En ce sens, la clientèle senior doit être une cible privilégiée puisqu’il s’agit d’une clientèle qui présente l’avantage d’être disponible hors saison et de disposer de temps et d’argent.

De plus, il faut que nos départements mettent en œuvre une politique évènementielle ambitieuse (festivals, évènements sportifs, traditionnels, etc.) permettant de “désaisonnaliser” l’activité. La création par exemple du Memorial Act, le futur Musée de l’Esclavage de Pointe-à-Pitre, va dans ce sens. Le tourisme d’affaires et de congrès doit aussi être développé même s’il implique des infrastructures importantes (construction de Palais des Congrès -seule la Martinique en possède un-salles de conférences, hôtels d’affaires, etc.). Enfin, le tourisme inter-DOM, entre Guadeloupe et Martinique ou en provenance de Guyane, peut aussi agir contre la saisonnalité du tourisme aux Antilles françaises.

 

Développer des formations localement

Pour développer un tourisme de qualité, un tourisme de “priorité”, il faut donc miser sur la qualité de l’accueil et de la formation. Et pour ce faire, miser localement sur la formation des salariés du secteur en renforçant par exemple le nombre d’heures d’enseignement des langues étrangères dans les écoles, les collèges et les lycées de ces deux départements, en lançant un plan de formation aux langues étrangères pour les salariés du secteur ou encore en favorisant l’immersion des salariés du secteur hôtelier dans d’autres pays d’Amérique du Nord ou de la Caraïbe, ceci afin de leur permettre d’acquérir une expérience internationale.

De plus, la donnée environnementale est devenue une composante essentielle pour le touriste désireux de voyager vers une destination respectueuse de l’environnement. Il faut donc développer en Guadeloupe et en Martinique un tourisme vert, mais surtout, valoriser le formidable patrimoine naturel des deux îles. Il ne suffit plus de bénéficier d’un parc naturel pour se décréter “destination verte”. Et l’image de l’île verte ne sera rendue possible qu’à plusieurs conditions : prise en compte de la dimension environnementale dans l’ensemble de la politique touristique (transport, logement, agriculture, etc.), développement des énergies renouvelables, amélioration du cadre de vie et, en particulier, de la gestion des déchets. Parce que les véhicules et machines à laver hors d’usage au bord des routes, ce n’est pas ce que le touriste préfère prendre en photo.

 

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