« L’automobiliste se représente donc sa voiture comme un signe qui fait sens dans son rapport à autrui »

Sociologue et Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Antilles-Guyane, Olivier Pulvar dirige le Département des Sciences de l’Education, de l’Information et de la Communication de la Faculté des Lettres et Sciences humaines. 

Ses travaux portent sur la place des identités collectives dans les organisations et dans l’espace public. 

Ils analysent les transformations sociales des pays du Sud (notamment des mondes créoles) en liaison avec le développement généralisé des activités d’information et des phénomènes de communication.

 

À votre avis, qu’est-ce qui détermine le choix d’un véhicule chez les antillo-guyanais ?

N’ayant pas directement étudié le phénomène conduisant à l’achat d’une voiture, j’observe néanmoins que les concessionnaires automobiles se fondent couramment sur des critères de choix « genrés » pour développer leurs argumentaires de vente. On assiste maintenant au rapprochement des modèles masculins et féminins sur ce point. L’offre de véhicules mixtes est en plein développement. L’homme peut choisir des modèles plutôt féminins, comme la  femme des véhicules étiquetés plutôt masculins. Cela vaut autant pour l’acte d’achat que pour les pratiques de conduite des deux sexes.

 

Que représente la voiture pour l’homme ?

Pour aller vite, disons que la voiture fait l’homme. Elle est ce qu’il veut montrer de lui aux autres. L’automobiliste se représente donc sa voiture comme un signe qui fait sens dans son rapport à autrui. Sur un territoire où nous ne sommes pas égaux devant la liberté de circuler, cette réflexion pose des questions de pouvoir et de dépendance.

 

On a l’impression que les vrais riches roulent dans des voitures relativement modestes, lorsque les faux s’endettent en achetant des voitures au-dessus de leurs moyens (pneus lisses, contrôle anti-pollution « oubliés », 10€ d’essence à la pompe etc.) Comment l’expliquez-vous ?

Ces situations existent mais là encore, il faut se méfier des stéréotypes. Une société qui érige la consommation comme une valeur de la modernité incite l’individu à posséder des objets, davantage pour assouvir ses désirs que pour satisfaire ses besoins. C’est sur cette base que nous accumulons des objets dont l’utilité excède peu le caractère de la nouveauté.

 

Comment analysez-vous les phénomènes « tirage » et « bwadjak de Carnaval » ?

Le « tirage » s’inscrit dans le champ des conduites juvéniles déviantes qui font intervenir des dimensions à la fois ludiques et dangereuses, par les risques qu’elles comportent. Des jeunes (hommes essentiellement), y exercent leur agressivité et confrontent leur puissance suivant des rites et des règles connus de ceux qui appartiennent à ce monde. La socialisation par les pairs ! Ces « jeunes » investissent l’espace public pour y exprimer certaines de leurs pratiques sociales.

On peut opérer un lien avec la « bwadjak » du carnaval au plan de la transgression. À l’origine, c’était une voiture en fin de vie, bruyante, retravaillée pour servir de support à tous messages de dérision. Occupée par de jeunes hommes déguisés, elle circulait sur la voie publique en toute illégalité. Aujourd’hui, une association réunit les propriétaires de ces voitures de carnaval qui sont autorisées à circuler durant le défilé pour peu qu’elles respectent la règlementation en vigueur pour tout véhicule. La « bwadjak » est maintenant  re-designée dans l’esprit du tunning, elle accueille désormais de jeunes femmes, épouse les significations médiatisées des relations hommes-femmes liées au support que constitue la voiture dans nos sociétés.