Directrice de l’exploitation agricole Crique Mell en Guyane, Christine Tian-Sio-Po Jourdain évoque les enjeux et les objectifs de l’implantation du bio dans son département. Une tâche d’envergure, réservée à ceux qui n’ont pas peur de retrousser leurs manches pour apporter du goût dans les assiettes.

 

Quelle est la situation du marché du bio en Guyane ?

Tout est à faire ! (rires) En particulier concernant le maraîchage. L’élevage de viande existe mais les ressources sont insuffisantes pour satisfaire le consommateur. C’est un domaine qui doit encore se développer et se multiplier. La tendance est assez récente et, en outre, le sol de Guyane n’est pas propice à ce type de culture. Nous avons beaucoup de parasites et de difficultés naturelles, la tâche est plus rude qu’en d’autres lieux donc peu de monde se lance dans cette activité. Je peux comprendre que l’on ne souhaite pas forcément s’échiner dans la grande difficulté.

 

Qu’est-ce que l’AMAP ? (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne, ndlr.)

C’est un concept né il y a une trentaine d’années, mais qui n’existe pas encore en tant qu’association en Guyane. À Kourou, nous avons le Panier Citoyen, qui n’épouse pas encore totalement le concept de l’AMAP. Il s’agit d’une association de consommateurs désirant mieux s’alimenter et avoir un droit regard sur ce qu’ils mangent : ils démarchent des producteurs qu’ils aident ensuite à se convertir au bio, via la mise en place d’un maximum de pratiques saines, d’aides financières et techniques… L’association paye d’avance le produit fini, sous forme de contrat d’engagement entre le consommateur et le producteur. Cette trésorerie disponible d’avance lui permet de produire mieux, et plus sainement. De plus, cela favorise la création d’un circuit d’écoulement des marchandises, et donc une diminution des prix. L’AMAP crée concrètement une connexion entre le monde rural et le monde urbain.

 

Au-delà du phénomène de mode qui risque de s’essouffler, pourquoi les gens désirent-ils désormais manger bio ?

Le sol de Guyane est très pauvre, le substrat n’a aucun apport naturel, l’acidité est importante et, tous les six mois, la saison des pluies lessive littéralement les sols. Un cycle normal d’agriculture est basé sur deux ans, or chez nous il se réduit à six mois. Le bio garantie l’absence des produits chimiques utilisés généralement pour palier cette carence, mais ces produits sont dangereux à la consommation, comme chacun le sait. Les pesticides altèrent la qualité et le goût des aliments : je pense que le bio est un moyen de retourner vers soi, de prendre soin de son corps et d’être éveillé quant à ce que nous mettons dans nos assiettes.

 

C’est la définition du « consom’acteur » ?

Tout à fait. Le consom’acteur, comme je l’appelle, comprend ce qu’il mange. Il en connaît l’origine et les conditions de production. L’une des premières démarches pour commencer le bio « en douceur » consiste par exemple à ne pas manger certains aliments en dehors de leur période naturelle de culture : si l’on trouve des fraises tout au long de l’année, c’est bien qu’une aide humaine a été apportée. Or cette aide, il  convient d’en connaître précisément l’origine. Le consom’acteur engagé, quant à lui, intervient sur les exploitations, aide aux récoltes et s’investit dans la production et l’élevage de ce qu’il consomme.

 

Quel constat faites-vous du marché actuel et quels sont vos pronostics pour la décennie en cours ?

Le bio entre dans les mœurs peu à peu. Il faut tenir la distance, investir, ne rien lâcher. Bientôt, le bio sera en mesure de faire de l’ombre aux circuits conventionnels. Ce n’est pas juste une quantité de production : le bio est avant tout un concept, un mode de pensée et de vie, un changement de comportement. Je comprends cependant que l’on ne tienne pas à passer au bio à 100% pour l’instant : l’offre n’est pas encore globale et le goût des aliments peut surprendre au début, tant il est riche et tranche avec des décennies d’alimentation sans goût (rires.)