Bernadette Beuzelin est la fondatrice des “Nuits Caraïbes”, rendez-vous de l’excellence lyrique en terres créoles qu’elle anime et porte à la fois, avec un enthousiasme communicatif, depuis maintenant onze ans. De son parcours dense et foisonnant, elle évoque les tours et détours, glissant sur les affres pour ne garder vive que la flamme des beaux souvenirs. Comme un lumineux carnet de voyage intérieur, le charme en prime.

par Daniel-Charles Nelson

 

À l’orée d’une pente gravillonnée menant à quatre “eco-lodges” de charme, nichés sous les arbres, vue pleine sur la Caféière Beauséjour, à Acomat Pointe-Noire. Ou, du moins, sur ses contreforts : la “Guest House Beauséjour”.
Un accueillant nid d’aigle tropical, mêlant position dominante de citadelle, exposition panoramique, fraîcheur d’alizés et senteurs végétales noyées d’averses passagères. Une pluie fine détrempe les marches du petit escalier d’accès menant au bungalow d’accueil, floquant le ciment craquelé de fibres lumineuses et argentées. Le refuge de Bernadette Beuzelin.
Ce qui frappe, dès l’abord, chez l’hôte de ces lieux, c’est le regard. Espiègle et lumineux à la fois. Sous une foisonnante chevelure ondulée couleur poivre et sel, les traits s’animent au rythme d’un verbe précis et direct, presque acéré au détour d’un souvenir plus sensible, mais toujours généreux et affable. Le sens de l’accueil incarné.

Coup de foudre paysager

Dernière née d’une belle fratrie de treize âmes, son jeune parcours de vie se confond d’abord avec celui des pérégrinations familiales, entre Martinique et Guadeloupe. Née à Saint-Claude, en Guadeloupe, elle vit et grandit « en terre de canne à sucre et de rhum », auprès d’un père – Roger Beuzelin – propriétaire de l’habitation Néron, au Moule, qui fabrique le rhum éponyme. Son âme enthousiaste et rebelle s’y construit, au plus près de la terre et des valeurs qui l’imprègnent. Puis long exil à Paris, près de sa mère. Elle y restera une décennie. À son retour en terre de naissance, elle a dix-sept ans à peine. Fin de l’insouciance tiède et rêveuse.
Trop jeune femme au foyer – “Je m’ennuyais à mourir dans une vie trop balisée” – et néanmoins heureuse mère de quatre enfants, l’envol commence quand elle s’affirme en chef d’entreprise accomplie – « La crèperie Gigi, d’abord, des magasins de décoration ensuite (à l’enseigne “La Véranda”), en Guadeloupe, puis en Martinique, à Paris… » – Bernadette diversifie ses activités de décoratrice d’intérieur, initialement centrées sur sa passion pour le mobilier créole. Jusqu’à sa reconversion en salariée d’un groupe immobilier.
En 1995, un jour de prospection inspirée sur les hauteurs de Pointe-Noire, elle tombe littéralement amoureuse d’un site à nul autre pareil. Comme un écrin de verdure autour d’une vieille habitation d’exception, appartenant à un frère et une sœur, âgés et adorables de gentillesse. « J’ai été foudroyée. C’était comme un appel auquel il m’était impossible de résister ». Elle veut l’acheter. Cela tombe bien, ils sont prêts à vendre. Elle passera deux années à retaper la vieille demeure, de fond en comble – « heureusement, la charpente était saine ». Jusqu’à la transfigurer en somptueuse habitation créole, sublimant son faste d’origine. La “Caféière Beauséjour” – le nom qu’elle lui a donné – renaît. Et sa nouvelle propriétaire avec elle. Un travail acharné de réhabilitation patrimoniale et personnelle s’y déploie, aux allures de thérapie conjointe.
Jusqu’à faire du lieu un éco-musée faisant table d’hôte, réputé pour ses menus gastronomiques créoles, son ambiance incomparable peuplée de meubles en bois précieux et d’objets chinés au hasard des voyages, la tranquille beauté de la plantation de café qu’elle a redessinée alentour. Très vite, les clients-visiteurs s’y pressent. Des inaugurations et événements s’y déroulent. Celle du constructeur automobile Renault, en particulier, pour le lancement international d’un nouveau modèle. 800 journalistes venus du monde entier sont invités.
« J’ai eu beaucoup de chance. J’ai eu d’immédiates retombées, dans la presse nationale et internationale. » La Caféière Beauséjour devient mondialement connue. Le bouche à oreille fait le reste. Bernadette “la résiliente”, la perfectionniste acharnée, incarnera l’âme du lieu pendant vingt belles années…

Ses “Nuits Caraïbes”,
plus belles que nos jours…

C’est à la Caféière Beauséjour que naît à son tour, il y a onze années, l’aventure artistique et humaine des “Nuits Caraïbes”, de la rencontre fortuite, un lundi de fermeture, entre l’hôte de cette habitation et un couple de touristes de passage. Attirés par la réputation, tout à la fois architecturale et gourmande du lieu, les visiteurs succombent également au charme de la rencontre. Pierre Deville est chef d’orchestre et directeur de Conservatoire. Bernadette, qui ignore son illustre parcours de musicien, évoque d’instinct l’idée d’adjoindre une empreinte lyrique à ce cadre exceptionnel. Son visiteur, conquis, lui propose d’en relever le défi.
Les “Nuits Caraïbes” sont lancées. Pierre convainc ses amis artistes, Bernadette trouve les soutiens. En février 2002, en ce cadre emblématique, résonnent les premières notes d’un Festival de musique classique appelé à en magnifier la réputation, à rallier en son sein les mélomanes de tous bords. Piano, harpe, violoncelle, flûte traversière… le public, de tous horizons rassemblé, est conquis. Année après année, le “Music Festival” croît en amplitude virtuose, avec l’appui de musiciens de renom, au point de s’affranchir du lieu, se décentralisant sur d’autres sites, s’expatriant même en Martinique et à Saint-Barthélémy.

Quand, l’âme en berne, elle doit céder la Caféière Beauséjour à des investisseurs privés, ses amis et partenaires musiciens restent fidèles à l’aventure. Où qu’elle la place.

Les “Nuits Caraïbes” ont investi, cette année, d’autres sites, s’adjoignant d’autres compétences artistiques (chanteurs, danseurs, comédiens…) La magie des Nuits de Bernie demeure, indissolublement liée à son personnage-racine, à l’indomptable énergie mise à les défendre, l’aura des belles rencontres en prime.

Empreinte astrale

“Les pieds bien plantés en terre, mais la tête dans les étoiles”. Ce pourrait être sa devise. C’est aussi, et peut-être surtout, l’empreinte astrale non écrite de celle qui, au fil des années, à l’aune des heurts et bonheurs qui parsèment toute vie, s’est révélée en éveilleuse d’énergies, sentinelle des belles valeurs créoles qui l’ont fondée dès l’enfance.

Sa grand-mère Virginie, dont elle garde le pieux souvenir, a baigné d’une tendresse pleine de sollicitude ses découvertes d’enfant, ses jeunes années d’insouciance turbulente et rieuse, dans l’abri verdoyant de l’habitation familiale de Saint-Joseph, en Martinique.
Une terre du premier asile au nom – ça ne s’invente pas ! – d’astre prédestiné : “la Belle Étoile”. Une empreinte mémorielle fétiche, qui résume pleinement sa lumineuse présence au cœur de ses “Nuits Caraïbes” affectionnées.