A l’origine de la mutation de nos banques traditionnelles, plusieurs facteurs et l’inéluctable dynamique de notre temps. Une croissance moindre d’abord, sur fond de crise économique et d’infléchissements des revenus distribués. La clientèle ensuite, moins dynamique qu’il y a quarante ans – rappelons que les Antilles-Guyane, confrontées à un vieillissement global,  affichent une population active en recul. Bilan : les banques ont perdu en volume d’opérations car l’activité globale s’est réduite. Ajoutons une pression accrue sur les commissions, la baisse des taux d’intérêt (qui mécaniquement rendent les opérations de crédit moins rentables), mais aussi la révolution numérique, qui touche aussi le monde de la finance banques traditionnelles face à la double concurrence des banques en ligne et de la FinTech. On comprend que le secteur bancaire a de sérieux défis à relever. D’autant que les banques, sur nos territoires, sont nombreuses – elles sont une vingtaine en Guadeloupe ou en Martinique, lorsque seules quatre ont pignon sur rue en Nouvelle Calédonie. Trop d’intervenants donc sur un même marché, qui ont dû se réorganiser pour rester rentables. Analyse avec Michèle Papalia, directrice de Bpifrance Antilles-Guyane, et Philippe La Cognata, directeur de l’IEDOM.

Propos recueillis par Julie Clerc

Fusion de la BDAF et de la CEPAC, rachat du Crédit Maritime Mutuel par la BRED, intégration de la BFC-AG dans le réseau LCL, fusion des trois filiales de BNP en une seule banque antillo-guyanaise… Nous assistons, ces dernières années, à une recomposition du secteur bancaire antillo-guyanais. A quelle logique ces transformations répondent-elles ?

Philippe La Cognata : Ces mouvements interviennent dans le prolongement de la crise financière de 2008 et de la crise sociale de 2009. Ils suivent une double logique. Economique d’abord : les établissements cherchent à restaurer la rentabilité des activités sur des marchés très concurrentiels où la croissance est molle. Organisationnelle ensuite : les banques améliorent les services à la clientèle par une modernisation et une rationalisation des organisations et des canaux de distribution, ce qui doit aussi permettre de générer des revenus.

Le modèle bancaire des années 1980 regroupant sur un même site l’ensemble des activités commerciales et de support ne permet plus de développer des revenus. Les fonctions support, ce que l’on appelle aussi le backoffice, sont particulièrement coûteuses et doivent être mutualisées. Les établissements isolés dans chacune des géographies des Antilles-Guyane n’ont plus la taille critique pour amortir des investissements aussi importants, en particulier dans les systèmes d’information et dans la chaîne de contrôle des opérations. Ce phénomène explique aussi les mouvements de concentration. Par ailleurs, les services à la clientèle évoluent rapidement avec le développement de la digitalisation et des automates, mais aussi avec une diversification plus grande des activités (assurance, protection sociale, etc.). Cela suppose de revoir les organisations pour mieux servir une clientèle de plus en plus exigeante en conseil. Cette évolution s’observe également dans l’Hexagone et dans les autres départements d’Outre-Mer où les réseaux bancaires se réorganisent.

Michèle Papalia : Aux Antilles-Guyane, les banques locales étaient devenues trop petites. Pour acquérir un niveau de fonds propres plus important, elles ont dû s’adosser à des réseaux bancaires nationaux possédant des tailles de bilan suffisantes, comme CEPAC ou LCL. Cela démontre une forte volonté de développement de la part de ces banques qui, si elles n’avaient pas évolué, seraient restées sur de petits réseaux. Des banquiers locaux, comme la BDAF, se sont restructurés pour mener une véritable stratégie de développement.

Quelles sont, localement, les répercussions de ces mutations?

Philippe La Cognata : S’agissant de transformations des organisations et de mutualisation des moyens, ces mutations ont bien sûr eu un impact social par ajustement des effectifs des structures concernées. Mais au-delà, elles ont surtout pour effet d’améliorer et de moderniser le service à la clientèle des entreprises et des particuliers par une plus grande spécialisation des conseillers et par une large palette de services adossés aux groupes d’appartenance.

Michèle Papalia : Localement, pour les TPE et PME, cible de prédilection de Bpifrance,  ces rapprochements bancaires contribuent à faciliter un meilleur accès au financement. De fait, les banques auxquelles les entreprises s’adressent sont aujourd’hui plus fortes et mieux structurées en matière de système d’information. LCL, qui est arrivé sur le terrain antillo-guyanais avec la reprise de la BFC-AG, permet aux clients historiques de la BFC-AG de bénéficier d’un outil plus performant.

Sur notre territoire, le secteur bancaire est en phase de transition car, à la faveur de ces rachats et rapprochements, nous sommes passés à des systèmes d’information renforcés pour faire face aux contraintes réglementaires de la profession. La période d’adaptation nécessaire a d’ailleurs un peu perturbé les clients, mais elle est derrière nous. 2018 sera l’année de la stabilisation de ces systèmes d’information, l’année de la pleine expression des nouveaux outils et d’un meilleur accès au crédit pour les entreprises.

Parallèlement, Bpifrance Antilles-Guyane, via des partenariats, a donné sa signature à tous les établissements bancaires du territoire ainsi recomposés pour les dossiers de financement inférieurs à 200 000 euros. Désormais, la banque décide à notre place, en délégation de signature, notre intervention en risque sur leurs dossiers de financement. Nous avons donc simplifié sensiblement l’accès au crédit pour l’entreprise locale, à l’instar de ce qui existe au plan national : pour les « petits » dossiers, les entreprises n’ont plus besoin d’attendre l’accord de Bpifrance. Ces délais raccourcis concourent à l’amélioration du financement de l’économie locale. Les entreprises doivent pouvoir grandir en même temps que le monde bancaire.

2018 est-elle synonyme de défi pour le secteur bancaire local ?

Philippe La Cognata : Comme l’ensemble du secteur bancaire, les établissements locaux devront intégrer progressivement les obligations prudentielles prévues par les accords de Bâle III, qui devront être pleinement respectés à l’horizon 2019. Par ailleurs, les banques font face à la révolution digitale qui remet en cause le modèle traditionnel. La clientèle des banques est exigeante et ses habitudes de consommation des services bancaires changent. Les clients veulent le meilleur des deux mondes, c’est-à-dire des conseils spécialisés à la carte dans leur agence pour des opérations particulières (crédits, placements), et pour les opérations du quotidien, ils utilisent leur smartphone ou ordinateur et accèdent à des services bancaires en ligne. C’est un défi pour les banques qui doivent répondre à ces attentes nouvelles nées de la révolution d’Internet en réorganisant les réseaux de vente et en investissant massivement dans les nouvelles technologies. Elles sont aussi confrontées à une concurrence accrue par l’émergence de nouveaux acteurs (banque en ligne, Fintech).

“Aux Antilles-Guyane, les banques locales étaient devenues trop petites. Pour acquérir un niveau de fonds propres plus important, elles ont  dû s’adosser à des réseaux bancaires nationaux.”  Michèle Papalia, directrice de Bpifrance Antilles-Guyane 

Doit-on avoir peur de la digitalisation des banques ?

Michèle Papalia : L’innovation tire le secteur bancaire vers le haut. Il ne faut pas avoir peur de la digitalisation car elle permet de développer des services, de consacrer moins de temps à des activités chronophages pour se concentrer sur celles qui génèrent plus de valeur ajoutée. Elle permet aux banquiers de lancer de nouvelles offres sur le marché. Très digitalisé, Bpifrance est d’ailleurs inspirant de ce point de vue et se positionne comme facteur d’accélérateur des Fintech.

Attention toutefois. Si la digitalisation est source d’efficacité, elle peut menacer une relation privilégiée avec le client. Le digital facilite les opérations exécutées à toute heure avec une traçabilité sécurisée. Aléas humains et dysfonctionnements disparaissent presque totalement. Mais pour les recherches de solutions personnalisées, il faudra s’attacher à pendre plus de temps avec le client à des moments clé de sa vie. La digitalisation doit permettre de libérer du temps pour traiter les sujets importants des particuliers comme des entreprises. Il faut conserver des relations d’une excellente qualité avec les clients. Là est le défi à venir.

Quid de l’accompagnement des entreprises au quotidien ?

Philippe La Cognata : Comme je l’indiquais, les nouvelles organisations plus spécialisées par segment de marché ont pour objectif de mieux répondre aux attentes de la clientèle, notamment des entreprises et des professionnels. Les plus petites entreprises, les TPE, qui constituent l’essentiel du tissu entrepreneurial d’Outre-Mer, méritent une attention particulière en termes d’accompagnement. Les banques en sont conscientes comme les autorités. C’est la raison pour laquelle chaque agence de l’IEDOM a mis en place un correspondant TPE qui est un service gratuit à l’écoute des dirigeants. Il les accompagne dans leur projet en les aidant à s’orienter vers les organismes compétents pour répondre à leurs besoins.

La banque s’ouvre à de nouveaux marchés : assurance, protection santé… Sera-t-elle bientôt globale ?

Michèle Papalia : Qu’un banquier propose de l’assurance me semble naturel. La Poste a créé du service bancaire ; Orange, opérateur téléphonique, se fait banquier : les approches deviennent plus globales. Ces ouvertures à de nouveaux marchés sont des évolutions normales et positives. Le client ne peut qu’y gagner. En tant qu’utilisatrice, je vois d’un bon œil le fait d’avoir de nouveaux acteurs sur un marché qui était chasse gardée. Cette libéralisation menée par des acteurs bancaires chevronnés permet de repositionner tout le monde et de faire bénéficier les utilisateurs, espérons-le, d’une meilleure offre.

Philippe La Cognata : Cela fait déjà quelques années que les banques se sont ouvertes à ces nouveaux marchés. Elles ont l’avantage de bien connaitre leurs clients et de les rencontrer plus souvent que les assureurs. Les ventes de contrats d’assurance automobile ou habitat, ou encore de prévoyance et de couverture maladie, constituent des relais de croissance indispensables d’autant plus que les taux d’intérêt sont bas. Cela permet de générer des revenus supplémentaires (sous forme de commissions), mais c’est aussi un moyen efficace pour
fidéliser d’avantage la clientèle dans un contexte très concurrentiel.

“Ces mutations ont bien sûr eu un impact social par ajustement des effectifs. Mais elles ont surtout pour effet d’améliorer et de moderniser le service à la clientèle.”  Philippe La Cognata, directeur de l’IEDOM