“Sur chaque forme nouvelle plane l’ombre de la destruction.” La sentence est de Winfried Sebald, écrivain allemand de belle renommée, qui mêlait photo et littérature en une heureuse symbiose d’expression. L’un de ses chantres inspirés, Jean-Luc de Laguarigue, artiste martiniquais, en prolonge le testamentaire message tout en l’inversant, via l’émouvante allégorie photographique d’une Martinique qu’il perçoit par trop “compartimentée, cloisonnée” d’apparences, en proie aux “mutations difficiles et rapides qu’elle subit”. Une Martinique paradoxale pourtant, entre vices mortifères et vertus gestantes, perçue à travers le prisme crépusculaire de Nord-Plage, lieu-dit de sinistre parure, voué à un abandon destructeur, rongé de sel, percé de vents mauvais, mais tout autant habité de signes d’espérance, de juvéniles résurgences d’humanité rebelle, insoucieuse des affres d’un passé délétère.

© Jean-Luc de Laguarigue, reproduction interdite. Droits réservés
© Jean-Luc de Laguarigue, reproduction interdite. Droits réservés

Cette allégorie-requiem d’une Martinique rongée “de tout ce qu’elle perd et abandonne au passage”, apparaît pourtant curieusement magnifiée par l’œil de l’artiste. Un œil de témoin lucide mais bienveillant, oscillant entre amertume et tendresse, qui nimbe de couleurs plus vives le gris sombre de murs écaillés par l’usure, qui pâlit de lumière douce et patine de poussière fine l’ocre d’un salpêtre rongé par la lèpre du temps, qui recadre en majesté les ruines désolées d’un site condamné, comme pour un deuil de cendres invisible des enfants, un champ de ruines porteur de germes de vie, à la fois écrin dépenaillé et litière vertueuse, traversée de forces dissimulées, innervée d’énergies sous-terraines.

L’expo photos que prépare Jean-Luc de Laguarigue sur ce “Nord-Plage” de pierres tombales, palimpseste minéral d’un parchemin d’espérances,s’affirme déjà aux yeux de qui sait voir, force de recréation à l’ouvrage, souffle d’espoir en des lendemains meilleurs, foi de charbonniers convertis en maçons des renouveaux qui chantent, et promesse d’un avenir où “le pire n’est jamais sûr”.

Un parchemin d’ombre et de lumière à lire d’un œil gourmand, à consommer d’un regard vif et tendre, sans la modération aveugle des sceptiques que rien n’enchante…

Daniel Rollé

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Jean-Luc de Laguarigue Photographe

Site : www.delaguarigue.com

Blog : gensdepays.blogspot.com