« Créer mon entreprise », « monter ma boîte », « me mettre à mon compte » sont des expressions fréquemment utilisées aux Antilles- Guyane. Or, si l’aventure est tentante, elle est aussi complexe. Tour d’horizon.

Nombreux sont ceux qui rêvent de franchir le Rubicon. Si leurs motivations sont variées, c’est souvent le choix d’indépendance qui domine. La lassitude quant au statut salarial est moteur, mais plus fréquent encore est le souhait de se procurer une source de revenus que le monde du travail, en raison du chômage élevé, ne procure pas. C’est pourquoi beaucoup de créations aboutissent à des entreprises dont le porteur de projet n’a d’autre ambition que de créer son propre emploi, sans intention de recruter des salariés. Au niveau national, 95 % des entreprises créées n’ont pas de salarié, 56 % d’entre elles sont d’ailleurs portées par des nouveaux auto-entrepreneurs. « Plus de 93% des entreprises martiniquaises sont de très petites entreprises : auto-entrepreneurs, sociétés de 0 à 3 salariés, professions libérales, entreprises individuelles. » confirme Philippe
Negoual, président de la Fédération des Très Petites Entreprises (FTPE) de Martinique.

La croissance de la création d’entreprise évolue peu dans nos départements, comme dans l’Hexagone. Pour autant, les Antilles-Guyane demeurent des territoires dynamiques formidablement poussés par les jeunes. En témoigne le nombre d’entreprises créées en 2013 : près de 2000 en Guyane, 3400 en Martinique et pas moins de 4400 en Guadeloupe. Beaucoup sont lancées par des jeunes : en Guadeloupe, la moyenne d’âge des créateurs de très petites entreprises est de 26 ans ! Selon l’Agence pour la création d’entreprise, un jeune de moins de 25 ans sur deux souhaiterait monter sa propre entreprise. Autre tendance : les créateurs d’entreprise sont de plus en plus des femmes : en 2012, 38 % des entreprises individuelles sont portées par des femmes, 34% 10 ans plus tôt.

Parlons de ces jeunes porteurs de projet. Présentes sur les trois départements, les couveuses d’entreprises – structures accueillant en amont de la phase de création effective les jeunes porteurs de projet âgés de 31 ans maximum – en sont les catalyseurs. Nous les avons interrogées sur les secteurs porteurs aujourd’hui. Réponse unanime : restauration, artisans du BTP, prestataires de petites unités commerciales, service à la personne « et petites prestations de service dans événementiel, coiffure, mode, formation en langue créole, photographe, coach sportif, maréchal ferrant par exemple », précise Johan Sulny, responsable technique de la couveuse guyanaise Nou la Ké To. Où 52% des créateurs s’adressant à sa structure sont des femmes.

Par ailleurs, moins de 10% des entreprises se créent sur la base d’un concept innovant, ce qui pousse les structures publiques de soutien à la création d’entreprise – en particulier les Technopoles – à se mobiliser.

Autre tendance : la prudence. « En période de ralentissement économique, on crée sur des marchés de niche », explique Philippe Negoual, FTPE Martinique. « C’est une bonne stratégie : ces créateurs ont une offre de services ou de produits peu large, et déjà 2 ou 3 clients. Ils génèrent rapidement du chiffre d’affaires et minimisent les risques. Ils font de la prospection et se font accompagner par des consultants. Depuis quelques années, la phase de préparation des projets est beaucoup plus poussée. Avant, on se lançait sur un coup de tête ! », analyse-t-il.

Pour encourager le mouvement, des réformes ont été engagées ces dernières années, apportant à notre système juridique d’importantes innovations. Le but : simplifier les étapes de la création et faciliter le développement des jeunes entreprises. Les acteurs de la création d’entreprise essaient de se structurer pour que les porteurs soient reconnus. Le Conseil régional a, par exemple, mis en place les Maisons de l’entreprise – plateformes réunissant tous les partenaires de la création d’entreprise. Un lieu unique qui délivre toutes les informations sur structures, activités et moyens disponibles. « Les créateurs sont renseignés sur les couveuses, les coopératives d’activités ou les pépinières selon le stade de leur projet. Cela leur permet de ne pas être ballotés d’une institution à l’autre », souligne Sabrina Criart, chargée de mission, couveuse régionale Antilles -Guyane. Nombreux sont, en effet, les structures et dispositifs susceptibles d’accompagner le créateur d’entreprise : Maison de l’entreprise, Initiative Martinique, Guadeloupe et Guyane, CCI, réseau Entreprendre, Boutique de gestion, dispositif NACRE, DOM création, Conseil régional, ou encore l’association « Coup de pouce » à Fort-de-France et Martinique Pionnières, entre autres.

Malgré tout, si on entend parler de créations gratuites et réalisées en moins d’une heure, la démarche de la création est complexe. Elle implique profonde motivation, préparation, grande disponibilité et prise de risques non négli-
geable. Les réflexions et démarches en préambule de la création touchent à l’ensemble des domaines de l’entreprise : le marketing à travers l’étude de marché, la finance à travers le business plan, le droit à travers le choix de la structure, la fiscalité et les régimes sociaux pour le statut du créateur et celui de la société. « Créer sereinement son entreprise, c’est se conformer à trois points essentiels »,
rappelle Gilles Gestel, directeur de la Technopole Martinique. « D’abord, avoir un vrai avantage concurrentiel. Ensuite, disposer d’une stratégie d’amorçage : on ne se lance pas de la même façon avec 5000 ou 150 000 euros. Des ressources financières et techniques dépend la capacité d’aller plus loin. Enfin, il faut avoir un business plan fiable »,
insiste-t-il. Alain Nagam, président de la FTPE Guadeloupe, renchérit : « Il faut disposer d’un pécule personnel qui permet au banquier, à Initiative Guadeloupe, Martinique ou Guyane, ou encore à l’ADIE (association pour le droit à l’initiative économique) d’accompagner le projet en octroyant un apport plus important. Pour ce faire, il faut présenter un projet structuré ! »

Reste à œuvrer dans l’ordre, avec l’aide des structures dédiées. Lorsque le projet est à l’état de gestation, l’analyse est reine, avec cette questions clef : le projet répond-il à des besoins réels du marché ? L’idéal est de se faire accompagner par une couveuse d’entreprise ou par un consultant spécialisé en administration et gestion d’entreprise – dépêché par exemple par la FTPE. « La couveuse permet à un porteur de projet de tester son projet en ayant une activité sans s’immatriculer : elle héberge l’activité du porteur de projet sur les plans juridique et comptable. Une façon de sécuriser le parcours du créateur d’entreprise », précise Sabrina Criart, chargée de mission pour la couveuse régionale Antilles-Guyane. « Nous accompagnons souvent des personnes qui ne savent pas comment s’y prendre. On peut savoir fabriquer des bijoux sans avoir les compétences pour ouvrir une entreprise. En couveuse, on apprend le métier de chef d’entreprise par le « learning by doing » : vendre, acheter, faire du bénéfice. Cela conduit à évaluer ses bons et mauvais choix, et identifier les points à améliorer. Le porteur sera ainsi prêt à créer une activité pérenne. »

Si le projet est déjà structuré mais n’est pas physiquement hébergé, les pépinières d’entreprise sont une solution. Elles proposent bureaux, locaux d’activités ou de stockage, téléphone, fax, internet. La pépinière apporte un soutien technique et financier, des conseils et des services : services logistiques mutualisés (accueil, salles de réunions) et d’accompagnement (conseils, formation, intégration dans les réseaux économiques).

Enfin, si le projet concerne les nouvelles technologies, on se tourne vers une Technopôle, présente en Martinique et bientôt à Baie-Mahault en Guadeloupe. Cette structure d’appui à l’innovation se charge de la structuration des démarches d’innovation entrepreneuriale. Entreprises cibles : créateurs ou entreprises en développement. Ici, on peut véritablement mettre en situation ce qu’on propose et commencer à travailler son réseau. Les trois missions de la Technopôle :
ingénierie et accompagnement (incubation et pépinière, marketing, business plan, propriété intellectuelle). Espace de co-working: 50 m2, 15 postes de travail et wifi sont disponibles dans la Technopôle Martinique. Enfin, animation d’un réseau d’acteurs de l’innovation (accompagnants, experts, enseignants chercheurs, institutionnels et professionnels) pour mobiliser ressources et compétences via des outils d’animation de réseau (conférences, séminaires, ateliers, plateformes web). « Nous aidons à transformer l’idée en concept, puis en projet, et enfin en entreprise », explique Gilles Gestel, directeur de la Technopôle Martinique. « Nous accompagnons une quarantaine de projets par an. Actuellement, ils concernent à 55% de l’agro transformation (herboristerie créole, fabrication de boissons fonctionnelles, …)
à 30% du multimédia audiovisuel électronique (service numérique de mise en relation de particuliers pour la location de voitures, production audiovisuelle environnementale,…) à 15% des services (santé, environnement) : faux-plafonds en matériaux végétaux composites, cosmétique aussi – nous aidons une jeune nez à créer sa gamme de parfums », commente Gilles Gestel.

Côté financement, des nouveautés peuvent compléter ou concurrencer le classique crédit bancaire : “love money”, “crowdfunding“, prêt d’honneur, aides spécifiques, Bpifrance, “business angels” et fonds d’investissement tendent les bras aux créateurs. Une chose est sûre : la création d’entreprise a un bel avenir devant elle. Alors prêt ? Partez !