Par Guillaume Delannoy et Grégory Lambrette

Formateurs et associés de recherche auprès de l’institut Grégory Bateson

Vous avez une approche assez pragmatique et interactionnelle du harcèlement professionnel, pourquoi ?

Face aux situations de harcèlement professionnel, il est plusieurs lectures et approches possibles. La plus classique consiste généralement à ranger d’un côté « une victime » et de l’autre un « bourreau ». Cette lecture des faits, répandue et naturelle, possède le grand avantage de très rapidement permettre d’identifier , selon le sens commun, celui qui devrait changer (le bourreau) et celui qui, en toute logique, pourrait s’en abstenir et réclamer justice et réparation (la victime).

Victime et bourreau entrent alors souvent dans un dialogue de sourds et une guerre de tranchée où chacun prend le risque de ressortir meurtri ou exsangue. Avouons qu’une telle posture n’aide guerre au changement. Il existe une autre logique d’intervention et ce, sans pour autant nier que certains individus ont un caractère pour le moins rude et tempétueux.

En quoi consiste cette approche ?

Cette autre logique, nous la devons à l’application du modèle systémique et stratégique dit de Palo Alto. Nous nous focalisons sur le contexte relationnel qui permet de donner un sens aux conduites individuelles. Nous ne cherchons pas à savoir comment réagit un individu dans l’absolu, mais comment il réagit dans le cadre de ses relations avec les personnes de son entourage. Nous focalisons notre attention sur ce que nous appelons les « tentatives de solutions » d’une personne. Par tentatives de solutions, il y a lieu d’entendre tout ce que la personne (et/ou son entourage) fait ou ne fait pas, tout ce qu’elle dit ou ne dit pas, voire pense ou ne pense pas pour résoudre son problème, mais qui malheureusement l’entretient et bien souvent l’aggrave. Nous travaillons avec la personne qui se sent victime et nous préconisons une approche à la fois active et responsabilisante, qui s’appuie sur les ressources de la personne mais aussi et surtout sur ce que nous appelons une expérience émotionnelle correctrice, c’est-à-dire une capacité à agir différemment, à interagir avec son “harceleur” sur un mode nouveau.

Pourquoi privilégier une approche individuelle plutôt qu’une médiation, assez classique sur ce genre de problèmes ?

Trop souvent, on pose comme préalable et comme condition nécessaire à l’amélioration de la situation le fait que le « harceleur » admette que son comportement est harce-lant. En procédant de la sorte, nous voyons souvent malheureusement la situation se dégrader encore davantage. Notre conviction, et c’est notre approche, c’est qu’il est préférable de travailler individuellement avec les personnes lorsque la confiance est rompue ou que la peur ou la colère dominent. Nous pensons que cette vision “relationnelle” permet de trouver davantage des pistes de changement et de soulagement.

Elle offre, de plus, l’opportunité « écologique » de ne pas stigmatiser le harceleur en le considérant comme un manipulateur ou un pervers narcissique, tel que l’actualité veut bien nous le faire croire. Car à trop polariser le conflit en plaçant d’un côté une victime et de l’autre un bourreau, on risque de figer une réalité qui bien souvent ne demande qu’à changer. Et c’est tout l’art de l’intervenant “systémique et stratégique” dans un cadre “entreprise” que de favoriser, en douceur, ce changement….et d’élargir, ce faisant, le champ des possibles.

Propos recueillis par Madly Bienville

Formatrice professionnelle

Intervenant “systémique et stratégique”

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