Par ERIC VERNIER,
Docteur en sciences de gestion HDR
Professeur de finance, Directeur de l’IRSI
Chercheur à L’IRIS et Consultant international.

Vous intervenez dans nos réseaux de formation sur le sujet de la fraude, en quoi cela intéresse-t-il les managers ?

A mon sens, tout manager en entreprise doit se sentir concerné par ce sujet, par le simple fait que la fraude est une pratique illégale qui vise à dissimuler des sommes ou des objets… dans le but de ne pas payer les taxes dues ou d’en retirer un avantage quel qu’il soit. Qu’il ait connaissance de faits au sein de son entreprise ou que l’on se situe d’un point de vue strictement privé, le manager-citoyen est concerné. Les fraudes ne sont pas seulement comptables et financières. Le vol, la cybercriminalité, la contrefaçon, etc., tous ces actes peuvent être qualifiés de fraudes. Les études montrant par exemple que sur une période de deux ans consécutifs, une entreprise sur quatre est victime de la corruption.

Quelles sont les critères pour reconnaître la fraude ?

Les capacités imaginatives dans le domaine de la fraude sont sans limites : détournement de fond, blanchiment d’argent, vol de lubrifiant, connivence dans les transports, vol de temps, fabrication pour soi-même, vol dans la caisse, etc.

Autant dire que des critères sont nombreux et dépendent de la matière et du sujet de la fraude. Si nous prenons la fraude fiscale par exemple, pour la reconnaître, il faut remplir deux critères cumulatifs : des faits matériels qui permettent à un individu de se soustraire en partie ou en totalité à l’impôt, c’est finalement assez concret comme critère, et une intention délibérée de fraude, l’élément le plus important car le plus difficile à prouver.

Les affaires politico-judiciaires de ces dernières années vous rendent-elles optimiste dans la lutte contre la fraude ?

Les affaires dont vous parlez, affaire Cahuzac, affaire Guéant, affaire Karachi, affaire Bettencourt, affaire Obiang et tant d’autres, ne sont pas la conséquence d’un monde qui se dégrade, mais celle d’une vigilance et d’une transparence accrues de beaucoup d’acteurs.

Alors que les États sont en quête d’argent frais, la fraude fiscale coûte près de 100 milliards d’euros à la France et plusieurs centaines de milliards à l’ensemble des nations chaque année. Si nous restons à l’échelle de l’entreprise, il apparaît évident que pour éliminer la fraude, il faut éliminer les « opportunités » et être attentif aux différentes failles qui coexistent dans tout système organisationnel et humain. Le travail peut être complexe et requiert la vigilance de chacun.

Votre réponse renvoie aussi à l’éthique personnelle et à l’éthique d’entreprise ?

Oui. Nous sommes tous confrontés à des choix de valeurs, du dirigeant au collaborateur en passant par le manager, et nous savons aussi que l’entreprise peut vivre à tout moment des tensions qui ne s’ajustent pas harmonieusement :
loi du marché, pression du banquier, rémunération de l’actionnaire, besoin du salarié, concurrence déloyale, etc.

Tout cela est quelque fois difficile à concilier. Le vrai défi du dirigeant et de son manager, et leurs grandes responsabilités aussi, c’est de viser l’intégrité, c’est-à-dire la cohérence entre leurs principes d’action, leurs valeurs, leur vision du monde, et la réalité de leur comportement.

Propos recueillis par Madly Bienville
Formatrice professionnelle
Intervenant “systémique et stratégique”
www.travailleursdanslesiles.com
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