Sénateur, Président du conseil régional de la Guyane de 1992 à 2010, Antoine Karam est aussi historien – il a d’ailleurs enseigné au collège Paul Kapel. Il porte ici un lumineux éclairage sur la Guyane, territoire singulier en pleine mutation.

Que nous enseigne le passé de la Guyane ? Ses valeurs vont-elles se transmettre aux jeunes générations ?

La Guyane est d’abord un véritable pays sur le plan géographique. Située au nord du continent sud-américain, elle s’étend sur plus de 80 000 km2 au cœur de l’Amazonie française sur le plateau des Guyanes et partage 1240 km de frontières (730 km avec le Brésil et 510 km avec le Surinam). Il s’agit tout simplement de la plus longue frontière de l’Union européenne avec un pays non européen.

Par ailleurs, la Guyane possède une histoire et une diversité culturelle singulières. Au moment de la départementalisation et de sa pleine intégration dans la République française, la Guyane est faiblement peuplée, elle porte les stigmates de la misère coloniale, au cours de laquelle elle a connu la disparition des souverainetés amérindiennes, la traite négrière, l’esclavage et l’immigration notamment d’Africains, d’Indiens, de Chinois. Les flux migratoires se sont ensuite diversifiés avec l’arrivée de populations du Suriname, d’Haïti et du Brésil. La Guyane affiche aujourd’hui une diversité humaine plus accentuée que les autres départements ultramarins.

Fondée non seulement sur un territoire exceptionnel mais aussi sur l’apport des immigrations successives, cette histoire riche et multiculturelle doit nous permettre de transmettre aux jeunes générations nos valeurs et notre identité. La première richesse de la Guyane réside dans l’homme et la femme guyanais; eux seuls seront les garants d’un avenir meilleur pour notre territoire.

Quelles solutions préconisez-vous pour favoriser l’émergence d’une économie plus inclusive ?

Il n’y a aucune solution clef en main. Nous devons travailler en symbiose et en intelligence avec les forces vives de la Guyane.

Nos travaux avec le Medef Guyane sont intéressants et ingénieux à plus d’un titre. Les représentants du patronat ont récemment partagé auprès des élus leur « vision entrepreneuriale, économique, réelle et durable » destinée à faire de la Guyane « la région la plus prospère de France ». Je partage l’idée selon laquelle une stratégie articulée autour de la recherche, de l’exploitation et de la valorisation de nos ressources naturelles réunit toutes les conditions pour faire de la Guyane un territoire attractif, véritable porte d’entrée de l’UE entre le MERCOSUR et le CARICOM.

L’objectif prioritaire des deux prochaines décennies est de faire évoluer un système d’économie assistée et de transferts sociaux à une économie dynamique de croissance adaptée à nos besoins et à nos réalités.

Malgré la présence des activités spatiales en Guyane, un jeune sur deux y est aujourd’hui au chômage et l’on peut noter un certain retard en ce qui concerne le déve-loppement des infrastructures. Comment analysez-vous les causes de cette situation ?

Ce paradoxe est révélateur de la situation atypique de notre territoire. De par son histoire, la Guyane, fleuron de la politique spatiale européenne, relève juridiquement du « Nord » tout en recelant en son sein les disparités et les retards de développement d’un pays du « Sud ». Elle enregistre ainsi une croissance démographique exceptionnelle, liée à l’immigration clandestine, tout en cumulant de nombreux handicaps structurels : réseau routier quasi inexistant, infrastructures scolaires encore insuffisantes, difficultés d’accès à l’eau potable et à l’électricité, couverture numérique partielle (zones blanches et difficultés d’accès à internet dans plusieurs communes).

Si le Centre spatial guyanais (CSG) de Kourou est un atout indéniable du territoire, ses investissements n’ont pas encore permis d’en faire un moteur de développement économique pour le reste des communes. En effet, les activités corollaires de la base spatiale, en amont comme en aval, sont implantées quasi exclusivement en Europe continentale. Cependant, grâce à ses ressources et ses potentialités (bois, biodiversité, ressources halieutiques, minières ou pétrolières), la Guyane pourrait se prévaloir d’une activité économique alternative et indépendante du spatial.

Au moment où l’Université de Guyane prend son envol, le chômage (en particulier chez les jeunes) ne peut être considéré comme une fatalité. C’est aujourd’hui aux élus ainsi qu’aux acteurs économiques et sociaux de démontrer leur capacité à contrer la spirale du scepticisme afin d’ouvrir le champ des possibles et de propulser la Guyane vers la croissance et l’excellence.