Originaire de Guadeloupe et née à Bondy, Muriel Hurtis découvre l’athlétisme très tôt en Seine-Saint-Denis. Sa carrière internationale débute à Annecy en 1998 où elle décroche ses deux premières médailles de niveau mondial en catégorie junior. La grande athlète a accepté de revenir, avec toujours ce magnifique sourire qui la caractérise, sur une enfance qui l’a menée, à sa plus grande surprise, vers cette prodigieuse carrière.

À peine majeure, Muriel Hurtis enchaîne les titres et podiums qui éclaireront toute sa carrière, que cela soit en championnat de France, d’Europe, du monde ou encore aux Jeux Olympiques. À 24 ans, en 2003, elle est sacrée championne du monde du relais 4×100 m. La même année, elle établit deux records de France qui sont toujours d’actualité, sur 200 m indoor et 4×100 m.
Elle achève sa carrière professionnelle de la plus belle des manières lors d’un 4×400 m d’anthologie à Zurich en 2014, qui lui vaut un titre de championne d’Europe.

Pourtant, la petite fille de Bobigny ne s’est jamais rêvée championne. Elle grandit, entourée de ses parents fonctionnaires qui n’ont rien vu venir. Une petite fée serait-elle passée par là ?

Quelle petite fille étiez-vous ? 

Muriel Hurtis : Je bougeais beaucoup, j’étais un garçon manqué. Je me suis assagie en grandissant, devenant plus calme, presque casanière. Je préférais jouer chez moi plutôt qu’à l’extérieur. J’ai un frère, avec lequel je n’ai qu’un an d’écart, et nous avons toujours été très complices.

Comment s’est déroulée votre scolarité ? 

J’étais une petite fille hypersensible, les reproches des professeurs me blessaient. J’ai eu une bonne scolarité, j’étais une élève sage. Côté notes, j’avais la moyenne ou un peu plus. J’ai aimé l’école parce que j’aimais m’instruire, et parce que j’y retrouvais mes camarades.

Quelle relation avez-vous eu avec vos parents ? 

Elle était harmonieuse, même s’il y avait assez peu de communication. Je ne me confiais pas à eux, ce n’était pas dans ma nature, je gardais tout pour moi.

J’ai reçu d’eux une éducation juste et bonne. Ma mère n’aurait pas supporté que nous soyons des enfants mal élevés, elle était très gentille mais dès que nous dépassions les bornes, elle sévissait, toujours dans la justesse. Alors je faisais peu de bêtises, moins que mes copines en tout cas !

Avec mon fils de 10 ans, Lehyan, longtemps, j’ai été très souple. Je l’ai beaucoup gâté, mais c’est surtout à moi que je faisais plaisir en lui achetant de nombreux jouets. Lorsqu’il est devenu capricieux, j’ai compris que cela devait cesser. J’ai été plus ferme, refusé ses caprices. Aujourd’hui, Lehyan sait que pour obtenir quelque chose, il faut le mériter.

Qu’est-ce qui vous a mis sur les rails du sport ? 

À 13 ans, je ne pratiquais aucune activité sportive et je trouvais que faire du sport à l’école, c’était ringard. C’est un prof de sport, au collège, qui m’a orientée vers l’athlétisme. Je me suis laissée porter et convaincre parce que mes copines s’étaient inscrites à l’UNSS… Et j’ai tout de suite accroché !

Comment le sport vous a-t-il façonnée ? 

À l’origine, j’étais une enfant réservée, plus suiveuse que meneuse, admirative de mes copines. Or, très vite, j’ai obtenu des résultats sportifs. Ça a forgé mon caractère. J’ai pris de l’assurance, gagné en estime de moi. Je remportais des courses, on commençait à avoir peur de courir contre moi. Progressivement, les gens et mes camarades m’ont vue différemment.

Je me suis totalement investie dans ma pratique sportive, qui s’est muée en passion, et ma vie toute entière s’est tournée vers elle, vers les entraînements, vers les amis que je côtoyais dans ce cadre. Dès l’âge de 14 ans, je m’entraînais trois à quatre fois par semaine dans un club d’athlétisme, par séance de 2h. À 18 ans, j’ai concouru en international,  ça a commencé à être sérieux.

Quelles valeurs héritez-vous de votre enfance ? 

Celles de mes parents : le respect de l’autre et l’entraide. Ils ont toujours ouvert les bras aux autres. Au cours de ma carrière, cela m’a servi à rester moi-même, disponible pour les autres. Mon entourage m’en a toujours été reconnaissant.

Que devez-vous à la Guadeloupe ? 

Mes origines sont là-bas, mon grand-père va bientôt y fêter ses cent ans ! J’y retourne une fois par an et j’espère, bientôt, davantage encore. Pour me ressourcer, pour voir ma famille, mes amis, pour manger de bons plats, aller à la plage, pour découvrir encore et encore mon île, pour me sentir chez moi. Enfant, j’y retournais avec mes parents tous les trois ans.

Votre carrière aujourd’hui ? 

Je l’ai stoppée l’été dernier. J’ai eu une carrière bien remplie, seize années d’équipe de France, mon heure arrivait. J’ai terminé par un titre européen, c’est une satisfaction qui m’a permis de quitter la piste en beauté, sans blessure ni frustration.

À 35 ans, on n’a plus l’âge. Mon corps est abîmé, j’ai des douleurs, de l’arthrose aux genoux, des problèmes osseux. Le haut niveau, c’est traumatisant. Ces dernières années, je m’entraînais six jours sur sept, par séance de 3h. Avant cela, j’alignais les huit séances hebdomadaires. L’extrême, ça use.

Les 27 et 28 juin derniers, à Paris, lors de la 1ère édition de la Caraïbes Race, vous avez célébré votre jubilé, en organisant une course de 7 km dans le bois de Vincennes, couplée à deux jours d’animations caribéennes…

J’ai créé ce concept avec une amie pour mettre un coup de projecteur sur la richesse et la culture caribéennes. La course sur route est en pleine expansion, elle allie goût de l’effort et convivialité. Je voulais porter cette première édition en y incluant mon jubilé : une journée d’animations qui a vu se succéder groupes de gwo ka et de biguine, défilé de mode honorant une créatrice guadeloupéenne et un grand concert final. Un beau plateau !

L’avenir ?

Je vais me consacrer au coaching sportif, en particulier auprès des runners, mais aussi aux enfants : je viens d’obtenir mon diplôme de psychomotricienne.

Propos recueillis par Julie Clerc