Evoquer l’immobilier et plus largement l’habitat, c’est ouvrir les portes d’un secteur économique qui a du poids, suffisamment pour qu’il figure parmi les indicateurs clef de la santé de nos territoires. Le dossier que nous vous proposons, outre la tentative d’apporter une lecture claire des interactions existant entre ses acteurs, propose une photographie des professions et organismes auxquels on doit le dynamisme de ce pan de notre économie. Experts en sécurité, prévention de la santé et diagnostic immobilier, experts en droit immobilier, avocats, agences immobilières assurant location et vente de biens immobiliers grâce à des services commerciaux, comptables, juridiques et techniques, constructeurs, aménageurs, mais aussi bailleurs sociaux : tous sont liés. Crise économique, gestion du foncier, incitations à l’investissement, politiques publiques de soutient au logement (ligne budgétaire unique, rénovation urbaine, etc.), solvabilité et moral des ménages : autant de paramètres qui, par effet dominos, se répercutent sur l’ensemble de ces métiers. 

L’immobilier aux Antilles-Guyane : le rebond ?

Mais pourquoi tant d’inquiétudes ? On le commente en textes et en images, on le décrypte, on le craint, on le subventionne, on s’en lamente et on s’en réjouit, selon les années. Le marché immobilier, et le logement en général, génèrent tant de passions que leur relance devient obsessionnelle. Et pour cause : le secteur s’impose comme enjeu social et économique, étant donné son poids dans l’économie et ses effets sur nombre d’activités de commerce et de services. Analyse.

Par Julie Clerc

Le suspens, dans cette saga de l’immobilier et du logement, tient à la diversité des acteurs, publics et privés, à un plateau aux décors mouvants – la situation économique du pays l’impactant de plein fouet – et aux aléas des financements : subventions, défiscalisation et autres dispositifs d’incitation à l’investissement. Du suspens donc, d’autant que nous sortons d’un épisode grisâtre, le scénario des années 2013 à 2015 étant particulièrement amer. Pourtant, il y a de l’embellie dans l’air et des acteurs au top de leur forme prêts à s’investir et à gratifier la scène de leur plus grand jeu.

Un marché immobilier qui reprend des couleurs

De 2013 à 2015 donc, on disait ce marché carrément atone, voire déprimé. Et ce, malgré des taux d’emprunt bas navigant autour de 3% hors assurance. En cause, un attentisme dû à des conditions de prêt très resserrées – les banques exigeant au minium 10% d’apport pour les fonctionnaires, et 20% pour les autres. Bilan : une demande recentrée sur les appartements (exit le rêve d’acquérir sa maison) et un plongeon de -5% par an du volume des transactions…

Pourtant la prophétie de Catherine Guissard, présidente de la FNAIM Guadeloupe (Fédération Nationale de l’Immobilier) qui, il y a deux ans, déclarait que le marché immobilier local ne demandait qu’à être ranimé, s’est avérée bonne. Début 2016, nouveau décollage. Et Catherine Guissard de se réjouir dans une interview récemment accordée à notre magazine : « On note une augmentation tangible du nombre de ventes – les transactions ont grimpé de +10% en 2015 par rapport à 2014, suivant en cela la tendance nationale. C’est bon signe » analysait-elle. L’explication ? La combinaison de trois phénomènes : d’abord, des prix stables voire en baisse. Ensuite, des taux d’emprunt très bas en 2015. Enfin, l’immobilier reste un des meilleurs investissements possibles, une valeur refuge face à un marché boursier complexe et volatile. De plus, le prêt à taux 0 réservé aux primo-accédants est désormais étendu à l’ancien : nombre de jeunes qui n’avaient pas accès au prêt – ou difficilement – vont pouvoir devenir propriétaires.

Mais des nuages demeurent. Du côté des investissements en biens destinés au locatif, ça fait grise mine depuis la disparition de la loi Girardin. En termes d’incitations, seule la loi Pinel DOM encourage les investisseurs. « C’est regrettable »
reconnaît Mme Guissard. « Car la loi Girardin a permis trois avancées : promouvoir le logement, proposer des loyers corrects et des logements décents. Des logements que ne propose plus le logement social, aux fonds devenus insuffisants suite à la baisse des dotations de l’Etat ces dernières années. La défiscalisation a permis de palier ce déficit en logeant des personnes ayant des revenus plafonnés. Les loyers sont ainsi restés stables ces dix dernières années, dynamisant la création de belles copropriétés et, par effet de dominos, de logements non assujettis au plafonnement de loyers et de revenus. Un effet d’alignement a permis de loger les gens plus décemment. Penser que la défiscalisation coûte cher à l’Etat est une erreur. Elle a permis de loger plus de gens, de faire travailler les entreprises locales et de créer des emplois dans le bâtiment, sans compter la TVA, les taxes foncières et d’habitation perçues. Tout ceci maintient un tissu social et une qualité de logement » plaide la présidente de la FNAIM Guadeloupe.

Qu’en est-il vraiment du logement social aux Antilles-Guyane?

Les bailleurs sociaux totalisent 35 000 logements en Guadeloupe, 30 000 en Martinique et 15 000 en Guyane. « Les bailleurs sociaux logent un tiers de la population guadeloupéenne ! » rappelle Dominique Joly, membre de l’ARMOS, organisme qui regroupe les maîtres d’ouvrages sociaux guadeloupéens. « Sur les trois départements antillo-guyanais, où 60% de la population possèdent leur résidence principale, les bailleurs sociaux gèrent l’essentiel du parc locatif. En termes d’activités, depuis la disparition de la loi Girardin en 2012, ils sont devenus, dans les trois départements, les principaux donneurs d’ordre des entreprises de bâtiment, la promotion privée ayant chuté à un niveau très bas. En termes de volumes, dans le cas de la Guadeloupe, nous construisons 1500 logements les bonnes années
– depuis 2014, la cadence s’est ralentie du fait des blocages au niveau des agréments fiscaux. En 2014, seuls 500 logements nouveaux ont été lancés en Guadeloupe, 1000 en 2015. C’est très en-dessous de l’objectif des pouvoirs publics, qui est de 2000. » Rappelons que de part la mission dite d’intérêt général qui leur est confiée par l’Etat, les bailleurs sociaux, SEM (sociétés d’économie mixte) et orga-nismes HLM, logent les personnes à ressources réduites et assurent construction et gestion de logements.

Pour autant, le logement social n’est pas laissé pour compte, soutenu par le concours financier public de la ligne budgétaire unique (LBU), et par la campagne de rénovation urbaine qui a récemment offert un nouveau souffle au secteur. En outre, avec le Plan Logement Outre-mer lancé en mars dernier, l’Etat promet d’accompagner les acteurs du logement et les bailleurs sociaux avec une enveloppe de plus de 500 millions d’euros. L’objectif : construire 10 000 logements sociaux par an. Un bel appel d’air, quand on sait qu’entre Guyane, Martinique et Guadeloupe, près de 25 000 personnes sont en attente d’un logement social.

L’habitat aux Antilles-Guyane : un marché sous contrainte

Tout avait bien commencé pourtant. Soutenu par des politiques incitatives, le marché du logement a suivi une évolution favorable sur une longue période. Sous l’effet d’une forte demande due à la croissance démographique rapide des années 1980 et 1990, le parc résidentiel s’est amélioré qualitativement et quantitativement. Mais avec le nouveau millénaire, la situation bascule : la production de nouveaux logements chute. Premières victimes : les logements sociaux. Offre foncière constructible limitée, spéculation immobilière et nouvelles contraintes du plan de prévention des risques naturels (PPR) font grimper les prix du foncier :
+ 15,5% par an ! Pour leur part, l’étroitesse du marché et le renchérissement continu des matières premières entrainent une hausse des coûts de construction. Bref, c’est la crise du logement.

Dans ce contexte morose, l’apparition de la loi Girardin, en 2005, a l’effet d’une baguette magique. La construction redémarre, affichant une honnête croissance de 18%. Mais à partir de 2012, exit la Girardin… Et son effet levier.

Et puisque tout cela est intimement lié…

La voie de sortie ? On la cherche du côté de l’Etat et des politiques publiques puisque sont pointées du doigt, en premier lieu, les carences dans la planification et dans l’utilisation d’outils de maîtrise foncières, lacunes qui se sont traduites par la raréfaction de disponibilités foncières. Les constructeurs ne diront pas le contraire. « Les solutions ? » relève Patrice Lasnier, président Antilles–Guyane de LCA-FFB (Les constructeurs aménageurs au sein de la Fédération française du bâtiment). « De vraies mesures d’aménagement du territoire et l’organisation de la production de foncier. Ca n’existe pas aujourd’hui ! Des lotissements sortent de terre avec des parcelles trop grandes, donc trop chères. Notre souhait est la densification, car le terrain est rare. Il faut utiliser de manière plus raisonnée le foncier. Cela vaut aussi pour la Guyane, où de nombreux terrains sont disponibles mais difficiles à viabiliser s’ils sont trop étendus. Les pouvoirs publics doivent concentrer le développement du territoire sur le périurbain, pour profiter des services et des espaces publics existants. Je déplore qu’aujourd’hui le monde politique s’intéresse peu à cette problématique. »

Des réponses, pourtant, sont peu à peu apportées. Outre l’annonce faite il y a quelques mois du Plan Logement Outre-mer et de ses 500 millions d’euros annuels injectés pour les logements, les pouvoirs publics affichent le réel souci de générer du foncier et de rationaliser sa consommation. A ce titre, la nouvelle loi Alur offre des indicateurs positifs, bien que pour le moment elle ne concerne pas toutes les communes. La mesure permet de réduire les parcelles minimales de 800 à 400 m2, ce qui va dans le sens d’une salutaire densification. A cela, ajoutons l’opiniâtreté et l’engagement des acteurs locaux de l’immobilier et du logement en général, et le nouvel engouement des ménages pour l’acquisition d’un sweet home. Il est donc tout à fait permis d’être optimiste.