Philosophe et sociologue, ancien directeur du Monde des Religions, Frédéric Lenoir publie son quarantième ouvrage : “La puissance de la joie” (Fayard) dans lequel il explore les racines et les mystères de cette émotion primordiale et tant attendue, mais trop souvent malmenée… Et explique comment renouer avec elle.

Propos recueillis par Julie Clerc

« La nature nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. » Pourquoi cette citation de Bergson pour introduire votre livre ?

Frédéric Lenoir : Elle résume ce qu’est la joie, ce mystère qui nous tombe dessus sans crier gare. Ce qu’on comprend clairement, en revanche, c’est qu’une grande joie est toujours liée à l’expression de notre puissance vitale. Lorsque nous sommes en joie, nous vivons une expérience qui correspond profondément à notre nature, à ce pourquoi nous sommes faits. Un chef d’entreprise qui réussit, un artiste qui crée ressentent de la joie. Car la joie a toujours une dimension créative. Elle indique qu’on est dans le mouvement de la vie, et non dans la survie.

Pourquoi évoquez-vous la joie et pas le bonheur qui,
en soi, semble plus pérenne ?

La joie, vous avez raison, n’est pas aussi pérenne que le bonheur, mais elle est plus intense. Le bonheur, s’il est syno-
nyme d’harmonie, de paix, n’apporte pas nécessairement de grandes joies. Et on peut, à l’inverse, vivre de belles joies sans être heureux ; la vie peut être douloureuse, mais il suffit d’un instant de grâce pour que la joie éclose. En cela elle demeure un mystère, que j’ai eu envie de creuser.

Est-ce que la joie s’apprend ?

Elle ne se décrète pas! Mais il y a des attitudes qui favori-sent l’émergence de la joie. Mon livre propose des dizaines d’exemples. D’abord, il faut se consacrer non pas à une activité alimentaire, mais à ce pour quoi on est fait ; s’entourer de personnes qui nous font du bien, à travers des rencontres authentiques ; être présent et attentif à ce que l’on fait :
une promenade dans la nature peut être magnifique, mais si l’on pense à ses tracas, on perd la joie. être dans la gratitude envers la vie aussi – la plainte, la victimisation tuent la joie. On aboutit à la joie en cherchant le positif, en pistant les solutions, car on accompagne le mouvement de la vie. La joie vient aussi de l’effort surmonté, du dépassement de soi. C’est ce qu’explique Spinoza : nous sommes dans la joie chaque fois que nous remportons une victoire, que nous grandissons, chaque fois que nous nous accomplissons un peu plus selon notre nature propre.

Au fond, qu’est-ce que l’accomplissement de soi, dont vous proposez une voie dans cet ouvrage ?

S’accomplir, c’est réaliser son potentiel, ce don que l’on possède en puissance, ce talent qui, lorsqu’on le réalise, lorsqu’on le traduit en actes, nous met en joie. Un musicien qui ne joue pas ne s’accomplit pas entièrement en tant que musicien, il est frustré. La clef ? Réussir à se connaître, à identifier son caractère et ses talents. Des pistes existent. La lecture de la philosophie de Spinoza par exemple, mais aussi le travail thérapeutique, la psychanalyse ou encore la philothérapie, qui nous fait accoucher de nous-mêmes.

êtes-vous un homme joyeux ?

Oui, mais je n’ai aucun mérite ! Je suis de tempérament joyeux, bien que je n’aie pas toujours été heureux. J’ai eu, en particulier, des difficultés pendant l’adolescence. Pour autant, j’ai entrepris un réel travail sur moi, dix ans de psycha-nalyse et une psychothérapie, et aujourd’hui je me sens beaucoup plus heureux ; ma joie est à fleur de peau. J’ai, je pense, retrouvé la joie de mon enfance. Lorsque l’on vient au monde, cette joie est en nous et disparait vers six ou sept ans. Cela tient au fait que nous bouclons les canaux de la joie en mettant des “petits cailloux”, les expériences difficiles et les émotions négatives comme la peur (de perdre, d’être rejeté, la peur des autres etc.). Et le pire de tout : l’ego qui se développe et qui nous empêche, au fond, d’être heureux et de ressentir de la joie. Il s’agit, en travaillant sur soi, de vaincre ces obstacles pour qu’à nouveau jaillisse la joie.