Elisabeth Péguillan pilote depuis sept ans et demi une des entités les plus novatrices de l’outre-mer français, qui pèse, mine de rien, plus de 170 entreprises et 2200 emplois : la Technopole de La Réunion. 

D’où venez-vous ?

Je suis une demoiselle Taïlamée Sinama née à Saint-André, qui a grandi en métropole puis à La Réunion, entourée d’amis de toutes les ethnies et de toutes les confessions. Lorsque je suis repartie ensuite de La Réunion, je me suis aperçue de cet aspect privilégié de ma jeunesse : on vit ici, sans s’en apercevoir, dans un contexte qui fait débat ailleurs. L’ouverture à l’autre, le métissage ethnique, culturel, cultuel, c’est un vrai atout pour l’île, y compris dans les domaines les plus pointus de l’innovation !

Le métissage comme moteur d’innovation ?

Evidemment ! La confrontation quotidienne, permanente et sans conflit de cultures et d’influences différentes fait que le Réunionnais est à la fois d’ici et de partout. Cela l’amène, sans qu’il s’en aperçoive parfois, à penser de manière différente et transversale, à imaginer des solutions qui n’apparaîtraient peut-être pas dans des contextes plus monolithiques : nous sommes un peuple curieux, adaptable, créatif. Il y a ici des experts incroyables, dans tous les domaines et on ne les connait pas tous ! Savez-vous que des entreprises réunionnaises, minuscules à l’échelle planétaire, parviennent à décrocher des prix dans des concours prestigieux, aux Etats-Unis, en Europe, au nez et à la barbe de startups reconnues ? De même sur l’échelle des moyennes nationales, nous sommes bien situés en termes de taux de création d’entreprises et d’emplois dans le champ de l’innovation. Nous devons travailler notre marketing territorial.

Outre le métissage, quels atouts pouvons-nous faire fructifier ?

L’énergie d’une population jeune et ouverte d’esprit, la proximité de l’Afrique et globalement des territoires du bassin océan Indien et par là même, de certains marchés émergents. Egalement notre exceptionnelle biodiversité, les spécificités de notre relief et de nos climats : La Réunion peut être une véritable île-laboratoire pour tester les modèles pour demain, qui serviront ici et ailleurs sur la planète…

Quand on parle d’innovation, la Technopole de La Réunion en est un des outils les plus emblématiques. Fière de la piloter ?

Et comment ! C’est exaltant de travailler à déceler des talents et le potentiel de création d’activités innovantes à et de les accompagner pour qu’ils se concrétisent. La Technopole, outil régional qui réunit professionnels, institutions, la recherche et la formation, est particulièrement adaptée à cette triple mission :
détecter, accompagner (entre autres, grâce à notre Incubateur régional, qui a vu démarrer 43 entreprises innovantes depuis 2003), faire connaître. Ma façon de diriger cet outil ouvert est d’essayer en permanence d’être à la fois sur le pont et en haut du mât : plongée dans la réalité quotidienne pour être en prise avec les réalités et attentes du terrain tout en observant l’horizon, pour anticiper les tendances, voir ce qui se passe ailleurs, rechercher de nouveaux partenaires et relais de croissance…

Quelle formation pour être Directrice Générale d’une Technopole ?

Après un bac C (bac math/physique, dénomination qui n’existe plus aujourd’hui, ça ne me rajeunit pas ! rires), j’ai suivi une classe prépa HEC en métropole puis j’ai intégré une école supérieure de commerce, complétée par un diplôme en géopolitique et en communication aux Etats-Unis. J’ai d’abord travaillé en métropole avec le projet de revenir sur mon île pour y apporter les compétences que j’avais pu acquérir. Aller voir ailleurs et revenir avec une expérience et des compétences, c’est ce que je conseillerais à tout jeune d’aujourd’hui.

Honnêtement, le fait d’être une femme n’a jamais été un frein ?

Vous voulez dire dans mes études, dans mon métier ? Cela a parfois été compliqué. En général, plus on grimpe dans les hiérarchies, plus on entre dans des mondes masculins. Mais on arrive à faire reconnaître ses compétences. Il faut être patiente et faire ses preuves. Et puis, les mentalités changent dans le bon sens. Enfin, pour prendre un peu de hauteur, j’ai un peu bougé, j’ai regardé ce qui se passait ailleurs, et j’en ai conclu que c’était une chance d’être une femme en France, dans un pays où nous avons les mêmes possibilités d’accès aux études et au travail que les hommes. Et une chance supplémentaire de venir d’une île qui est un condensé du monde, où l’autre ne fait pas peur, où au contraire on se régale de ses différences. Ma mère nous faisait de la cuisine indienne, chinoise, métro, nous sommes devenus gourmands de tout. Et il en va des idées comme de la gastronomie !

Les obstacles à surmonter pour La Réunion ?

Le chômage, c’est évident, notamment celui des jeunes. Mais c’est justement en travaillant sur les relais de croissance et sur l’employabilité qu’on y répondra. D’autres enjeux sociétaux comme l’illettrisme, le vieillissement de la population qu’il faut anticiper, ou encore les questions d’environnement et d’énergie. Mais chacun de ces obstacles est aussi un défi à l’imagination : en sortiront, sans aucun doute, de nouvelles solutions innovantes…