L’Association des Moyennes et Petites Industries de la Guadeloupe (AMPI) rassemble plus d’une centaine d’entreprises de tailles variables – 3900 salariés directs pour un chiffre d’affaires total de 600 millions d’euros et une masse salariale de 60 millions d’euros. Alliant des actions de lobbying, de communication et de réflexion, l’AMPI œuvre avec ce leitmotiv : la vigueur de notre industrie locale est l’une des principales bases du développement endogène voulu pour la Guadeloupe. Pour en tirer un portrait fidèle, nous avons rencontré son président, Franck Desalme.  

Propos recueillis par Julie Clerc

Comment l’AMPI apporte-t-elle son soutien aux industriels locaux ? 

Franck Desalme : L’association est une émanation des industriels de Guadeloupe. Elle est de ce fait entièrement dévouée à la défense de leurs intérêts. Elle est depuis bientôt 45 ans un moyen de regrouper les entrepreneurs guadeloupéens sous une bannière sectorielle, je veux dire par là spécifiquement industrielle. C’est ensuite le cercle le plus pertinent pour recenser, croiser et relayer leurs problématiques communes ou individuelles. L’association se positionne enfin comme leur porte-parole auprès de l’ensemble des partenaires institutionnels et autres acteurs de l’économie, qu’il s’agisse de questions commerciales, juridiques, fiscales ou autres. En matière de ressources humaines par exemple, l’association peut être amenée à recommander des professionnels voire à participer à des processus de recrutement.

Comment les industriels guadeloupéens se sont-ils adaptés aux contraintes de la mondialisation ces vingt dernières années?

Le marché guadeloupéen est porteur de caractéristiques et de contraintes qui lui sont propres. Le premier réflexe que devait avoir notre communauté d’industriels en territoire insulaire, c’est-à-dire sur un marché exigu et éloigné à la fois des centres de décision et d’approvisionnement, était de se regrouper pour faire face aux produits manufacturés importés. Personne n’est plus vulnérable qu’un industriel isolé.

Il était important ensuite de mettre en exergue l’estampille locale des « produits péyi ». En effet, c’est un combat de tous les instants que de convaincre le consommateur guadeloupéen que sans son soutien, la production locale et les emplois locaux sont largement menacés dans leur exis-tence.

Quels sont leurs défis actuels ?

Gagner des parts de marché sur notre propre marché est le vrai défi auquel nous sommes confrontés. La capacité de pénétration de produits concurrents est sans limite, ce qui nous impose d’être ultra-compétitifs en termes de rapport qualité-prix, autant lorsqu’il s’agit de répondre à des appels d’offres que dans les rayons des supermarchés.

Produire et consommer local enclenche évidemment un cercle vertueux au sein de l’économie locale. Dans quelle mesure, selon vous, cette dynamique pourra-t-elle s’accentuer encore ?

Les dynamiques de production et de consommation font appel à une série de choix qui relèvent à la fois de l’échelon local, de l’échelon national et du cadre européen. En outre, j’ajouterais qu’il y a une dimension politique et une dimension culturelle dans le soutien à la production locale. S’agissant de l’aspect politique, les options économiques qui seront prises en faveur de la production industrielle doivent répondre à nos contraintes spécifiques. En clair, des mesures inadaptées ne permettront jamais de dynamiser notre tissu. La dimension culturelle est beaucoup plus subtile, elle fait appel aux goûts des consommateurs et à leur volonté de soutenir l’économie de leur pays. Elle impose également que les Guadeloupéens d’adoption et les visiteurs de passage en soient soucieux.

Ce cercle vertueux est appréciable sous l’angle de la proximité entre producteur et consommateur, notamment du fait qu’il réduise l’empreinte carbone des produits qui sont mis sur le marché. En cela, la production locale et la consommation locale sont plus respectueuses de l’environnement que les autres produits.

Identifiez-vous des problématiques industrielles communes aux trois départements de Martinique, Guadeloupe et Guyane ?

L’association des MPI de Guadeloupe travaille depuis toujours en réseau avec ses homologues de Martinique et de Guyane sur des sujets parfaitement identifiés qui nécessitent d’adopter un langage commun. Le premier d’entre eux est celui qui concerne les « surcoûts de production » :
produire dans nos régions coûte beaucoup plus cher en termes d’équipement, de maintenance, de stockage. Ensuite, je dirais que l’accès aux marchés constitue un sujet crucial en ce sens que notre marché domestique est ultra-concurrencé, notre marché de proximité (La Caraïbe) est difficilement accessible, et enfin notre marché de rattachement (l’Union européenne) n’est pénétrable que dans certaines conditions et pour certains produits.

Le sujet le plus épineux aujourd’hui est de réussir à obtenir la meilleure prise en considération de l’ensemble de ces
« surcoûts », pour faire en sorte que l’Europe, dans sa politique de soutien aux économies des régions ultrapériphériques, accorde à nos économies un dispositif de compensation efficace.

Un front commun antillo-guyanais est-il envisageable pour booster l’industrie locale ?

Il faut d’abord rappeler que l’économie locale est inscrite dans un marché unique antillais. Cela signifie qu’il y a une intention de considérer un bassin de consommation de près d’un million de personnes au sein duquel il est permis d’envisager des axes de développement. Bien entendu, il serait intéressant de mieux harmoniser les investissements et parvenir à réduire les coûts du fret entre nos trois régions, et d’ailleurs nous y travaillons au titre de la prise en compte des surcoûts liés à l’insularité.

Des perspectives réglementaires – nationales et européennes – laissent-elles augurer des jours meilleurs encore ? Quels sont vos leviers d’action en termes de lobbying?

Les associations des MPI de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique sont non seulement liées entre elles, mais sont affiliées à des organismes nationaux et européens qui permettent de relayer leurs sujets de travail dans des instances telles que les ministères ou les services de la commission européenne. Ces affiliations nous imposent d’anticiper, de savoir formuler nos requêtes avec précision, et surtout de nous montrer réactifs en termes de propositions lors des discussions qui précèdent les évolutions législatives et réglementaires. C’est actuellement le cas en ce qui concerne le débat législatif sur la loi égalité réelle, ou au niveau européen sur le sujet très technique du Règlement général d’exemption par catégorie.

Il est de plus en plus difficile de parler de « jours meilleurs » en matière économique. Nos entreprises sont implantées sur des territoires en proie à un chômage structurel important, ce qui signifie que la sphère économique locale doit se montrer dynamique, inventive, et en capacité de combler ce drame social. Nous poursuivons nos actions collectives et nous souhaitons qu’elles soient soutenues dans toutes les décisions qui encadrent nos activités.

La perspective qui nous semble absolument prioritaire est que nous donnions tous, et qui que nous soyons, la priorité aux produits locaux dans nos choix de consommation et dans nos actes d’achat.