Fer de lance de l’économie locale, l’industrie de nos territoires montre chaque jour son dynamisme. Qualité et authenticité, telles sont ses marques de fabrique. Accessoires bateaux et autos, chimie et matières plastiques, cosmétique, énergie, imprimerie, papier, bois et agro-alimentaire : des secteurs dans lesquels nos territoires excellent. Avec un ADN propre, celui de l’insularité et de la proximité avec le marché latino-américain, à la fois contrainte et catalyseur d’innovation.

Par Julie Clerc

Parmi les secteurs en pleine croissance, les matériaux de construction, l’ameublement et le travail des métaux prouvent que produire et consommer local n’est pas qu’un slogan. 

C’est aussi à l’export que nos départements s’illustrent. Nos produits agro-alimentaires n’envahissent-ils pas les marchés européens et asiatiques ? Banane, melon, sucre, rhum : des filières qui ont su se regrouper pour aller chercher des moyens, innover et asseoir des images fortes.

Penser production locale, c’est apporter sa pierre à l’édifice d’un développement vertueux, car l’enjeu fondamental du développement économique et social du territoire est l’emploi. Zoom sur ces femmes et ces hommes qui relèvent le défi et pensent l’industrie de demain autour de produits péyi qualitatifs et compétitifs.

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Josiane Capron, présidente de l’AMPI Martinique

Longtemps spécialisé dans l’agro-industrie, le secteur industriel local s’est diversifié face à la nécessité de fabriquer sur place des produits jusqu’alors importés. Quel bilan aujourd’hui ?

Jusqu’aux années 1970, l’industrie locale se limitait au secteur canne-rhum-sucre. Elle a progressivement fabriqué localement des produits jusque-là importés, non seulement dans les secteurs de l’agro-alimentaire (farine, salaisons, boissons), mais aussi dans la chimie, les matériaux de construction, les peintures. C’est à cette époque qu’a été créée la SARA, conçue pour assurer une forme d’indépendance en produits pétroliers raffinés pour les territoires de Martinique, Guadeloupe et Guyane. 

Aujourd’hui, l’industrie martiniquaise affiche un chiffre d’affaires d’environ 1,4 milliard d’euros et compte 4300 emplois. C’est le principal secteur exportateur de Martinique, avant la banane.

Parce qu’elle est encore une industrie d’import-substitution – à l’exception de quelques productions traditionnelles d’exportation telles que la filière rhum – l’industrie locale mène un combat permanent pour rester compétitive face aux importations de produits concurrents dont les prix baissent d’année en année. Un phénomène qui s’explique par le recul du coût du fret maritime mondial, en particulier venant d’Asie.

Pour autant, la production locale n’est plus dans une logique de rattrapage. Nos industries ont réalisé de gros investissements et sont désormais au même niveau d’équipements et de procédés que les industriels européens.

Peut-on pousser plus loin la stratégie, nécessaire, de substitution aux importations ?

Ses limites sont les faibles coûts de production des produits que nous importons. Leurs prix de revient sont inférieurs à ceux de la production locale qui, elle, ne bénéficie que très peu d’économies d’échelle et doit souvent importer ses matières premières. Le renforcement des dispositifs publics de soutien à la production locale (différen-
tiel d’octroi de mer, défiscalisation des investissements, exonérations de charges sociales, zones franches notamment) est essentiel pour compenser les surcoûts de notre production locale et contribuer à sa compétitivité face à l’importation.

Quid de l’agro-alimentaire ? 

C’est le principal secteur de la production industrielle martiniquaise, hors produits pétroliers et produits chimiques : 46 entreprises totalisent un chiffre d’affaires de 330 millions d’euros et un effectif de 1600 salariés. Ses fers de lance sont les producteurs de boissons : rhum AOC de Martinique et boissons non alcoolisées (eaux minérales, boissons gazeuses, jus de fruits tropicaux). Une grande diversité de produits alimentaires se développe par ailleurs : yaourterie, œufs et ovo-produits, salaisons, farines, produits de la boulangerie, transformation de fruits et légumes, café, chocolat.

Les PIL (Produits de l’Industrie Locale) de Martinique s’exportent bien…

Vers l’Europe, nous exportons des produits agro-alimentaires, en particulier rhum et  boissons aux fruits tropicaux. Vers la Caraïbe, il s’agit de produits pétroliers et de carrière. Les exportations  de produits agro-alimentaires (eaux, boissons, produits de la boulangerie) et non alimentaires (détergents, produits d’hygiène en papier, aciers, peintures) sont assez dynamiques vers Guadeloupe et Guyane. 

Quelle stratégie les producteurs du secteur de l’agro-alimentaire devront-ils adopter pour optimiser leurs exportations ? 

Ils devront miser sur l’innovation, tout en s’inspirant de nos traditions culinaires locales. Comme pour le rhum, le défi est d’exporter des produits à forte valeur ajoutée à la fois modernes vis-à-vis des modes de consommation dans les pays destinataires (qualités de conservation, facilité d’utilisation, aspects nutritionnels) et porteurs de tradition locale.

L’Asie, un nouvel Eldorado pour nos produits ?

La baisse des coûts du transport maritime sur les grands axes tels que Asie-Europe rend accessibles de nombreux marchés à travers le monde, y compris en Asie. Mais cette « mondialisation » des échanges a une conséquence sur les prix de ventes. Vendre en Asie n’est donc plus un pro-blème de logistique, mais de compétitivité sur les marchés asiatiques. Il faut donc que nos produits se caractérisent par une identité particulière (origine géographique ou variétale pour le café ou le cacao par exemple) ou un mode de production remarquable.

 

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Ernest Prévot, président MPI Guyane

Imaginer le futur de notre production locale passe par l’anticipation des grandes tendances qui détermineront à plus ou moins court terme les conditions de la performance et le jeu de la concurrence. Quelles sont-elles selon-vous ?

S’agissant des produits alimentaires, les efforts doivent se concentrer sur l’innovation, la qualité, la praticité d’utilisation, l’équilibre nutritionnel, la mise en valeur des traditions, le respect de l’environnement et le commerce équitable.

La production locale est-elle encore dans une logique de rattrapage ?

Dans un contexte de forte croissance démographique qui verra la population guyanaise doubler dans les trente années à venir, avec des besoins croissant très rapidement, la logique de rattrapage devrait encore perdurer quelques années. 

Quelles sont les spécificités du secteur industriel guyanais ?

La Guyane se singularise par ses industries aurifères et forestières qui constituent historiquement deux piliers de son développement industriel. Ils totalisent respectivement 550 et 830 salariés. A ces deux secteurs vient s’ajouter l’agro-industrie qui a connu de profondes mutations pendant les trente dernières années. Mais on assiste surtout à une très forte progression de la production métallique, métallurgique et de biens d’équipements. Nous ne couvrons pas encore les besoins du marché et de-vons faire face à la concurrence de produits importés à bas coûts. D’où la nécessité d’utiliser le levier de l’octroi de mer pour favoriser une dynamique locale. 

Rappelons que la composition du secteur industriel guyanais est bien différente de celle des autres DOM. La Guyane abrite le port spatial européen qui constitue encore aujourd’hui l’industrie prépondérante du territoire. La diversification de l’industrie guyanaise s’évalue donc d’abord à l’aune du poids du spatial dans l’économie qui est passé de 24% du PIB en 1994 à 16% du PIB en 2016.

Quels produits péyi guyanais sont exportés ?

Hors spatial, le 1er produit exporté est l’or qui représente 24% des exportations. Puis viennent le bois et le poisson, tous deux exportés essentiellement vers les Antilles, où ils répondent à des besoins que les acteurs locaux ne peuvent satisfaire. Cependant, pour le bois et la pêche, la concurrence brésilienne reste forte sur le marché antillais. Dans l’agro-alimentaire, les produits guyanais jouissent d’une bonne image sur le marché hexagonal.

En termes de stratégie, il nous faut plutôt viser des marchés de niche eu égard aux volumes que nous produisons. La mutualisation des coûts de transport à l’export est un sujet récurrent, il nous faut encore améliorer la coopération entre les différents acteurs.

Quelles sont les entreprises emblématiques du secteur agro-alimentaire guyanais ?

Les entreprises Solam, Délices de Guyane et Rhums Saint-Maurice, Cogumer (poissons congelés et transformés) et Abchée SAF (poissons et crevettes congelés) sont les leaders du secteur. 

Comment la production locale peut-elle sauver l’emploi ?

On ne peut pas envisager de développer notre territoire sans développer la production locale, sauf à vouloir maintenir un modèle d’économie de consommation. La dynamique insufflée par le développement d’une production locale permettra non seulement de générer des emplois dans l’industrie, mais aussi dans les services connexes. Mais bien entendu, il faut en parallèle renforcer et diversifier l’offre de formation et d’accompagnement des jeunes et des salariés afin de satisfaire les besoins en compétences des industries.

 

Capture d’écran 2018-06-08 à 23.35.29Franck Desalme, président de l’AMPI Guadeloupe

Quel est le visage du tissu industriel guadeloupéen en 2018 ?

Il reste  largement dominé par le secteur tertiaire. Notons, et c’est remarquable, que le secteur industriel contribue à l’économie locale à hauteur de 10% et s’inscrit résolument dans une dynamique de développement qui répond aux exigences d’une économie de proximité (énergie, traitement de déchets, et agroalimentaire notamment).

Il y a trente ans, le secteur industriel guadeloupéen a entamé une phase de diversification, en particulier à la suite de la loi « Pons » de défiscalisation qui a largement favorisé les investissements et dans le même temps le développement d’activités de transformation et de production. Les Produits péyi, du fait de leur variété, sont le reflet de cette diversification industrielle qui symbolise le savoir-faire guadeloupéen dans des productions traditionnelles. Or la capacité de création d’une valeur économique locale est un des fondements de la croissance de l’économie régionale.

Où en est-on en terme de substitution aux importations ?

Nous pouvons réduire la part des produits importés en Guadeloupe en répondant aux besoins du marché local par des produits fabriqués localement par des usines qui emploient de la main-d’œuvre locale. Cela suppose un fort volontarisme politique, la création ou l’agrandissement d’établissements de production, des accords avec les distributeurs et l’adhésion des consommateurs. C’est le message que portent les MPI de Guadeloupe depuis plus de 45 ans.

A l’export, quels sont les atouts des produits péyi guadeloupéens ?

Rappelons d’abord leur très bon rapport qualité-prix et leur parfaite conformité aux normes européennes. Notons aussi que ce sont les produits ayant une forte identité qui réussissent le mieux à l’export. Le profil gustatif du rhum agricole de Guadeloupe qui est en fait l’un des meilleurs du monde, intéresse de plus en plus les connaisseurs. Il porte toute une filière à l’export sur des marchés importants : l’Europe et l’Amérique du Nord. La Route du Rhum en novembre 2018 doit permettre de valoriser ce produit emblématique. 

Si les échanges commerciaux avec les pays de la Caraïbe sont encore faibles, ce ne sont pas pour autant des cibles à négliger puisque nous disposons de multiples avantages concurrentiels en termes de qualité, d’innovation et de packaging.

Le rôle socio-économique de la filière canne-sucre-rhum est donc de tout premier plan sur le territoire…

Depuis 1995, la production de sucre est organisée autour des deux sucreries – Gardel au Moule et Grand-Anse à Marie-Galante. Elles structurent la vie économique de leurs bassins d’implantation. S’agissant du rhum, la Guadeloupe compte deux distilleries industrielles et neuf distilleries agricoles, dont trois à Marie-Galante. Plus globalement, l’industrie agroalimentaire est le secteur industriel prépondérant en termes de chiffre d’affaires, de valeur ajoutée et d’emplois. L’agro-alimentaire en Guadeloupe, c’est aussi des boissons, des plats cuisinés, des aliments pour animaux. Ils offrent énormément de perspectives de développement. 

Nos produits locaux sont-ils compétitifs ? 

Les produits guadeloupéens sont d’excellente qualité et sont compétitifs dans le sens où leur rapport qualité-prix est équivalent à celui des produits semblables importés. Néanmoins, sur certains segments de marché, ils sont concurrencés par des produits importés qui affichent des prix sur lesquels la production locale ne peut pas s’aligner. C’est ce qui explique, entre autres, que la filière de la volaille ne soit pas plus développée.