L’espace marin antillais est à la fois un espace sacré, « l’endroit où l’Histoire du monde se modifie »
et un atout pour la croissance économique de nos territoires. C’est aussi lui qui nous nourrit. Mais que dit précisément la mer des Antillais ? Explications avec Moïse Udino, sociologue clinicien. 

Propos recueillis par Willy Gassion

Les Antillais ont-ils un rapport de méfiance à la mer ? 

Moïse Udino : la mer est fondamentalement liée, dans la culture et plus encore dans la cognition sociale des Antillais, aux violences de l’Histoire. C’est-à-dire à la déportation et la mise en esclavage. Donc, loin d’être un espace de rêve et d’évasion, la mer reste une obsession associée à l’Histoire : celle du bateau négrier. Mais pas seulement. Tout le monde n’a pas eu l’occasion de se rendre à la plage, d’y séjourner et se familiariser avec elle. Quand on considère les risques de noyade et celles qui ont déjà eu lieu, on comprend aisément le vieux proverbe qui dit lanmè pa ni branch ; ce qui signifie qu’en mer il n’y a pas de possibilité de s’accrocher à quoi que ce soit et que la noyade est fort probable. De ce point de vue, la peur de la mort par noyade traumatise et vient se rajouter aux vieux démons de la déportation. 

Le fait d’être des insulaires participe-t-il à notre personnalité ?
En quoi être insulaires nous différence-t-il des continentaux ?
 

Si on se penche sur l’insularité, il est clair qu’elle joue un rôle déterminant dans notre identité, notre personnalité et nos affects. En effet, ces lopins de terre entourés d’eau ne permettent pas forcément de se projeter dans le monde de la même manière qu’un continental pour lequel, la terre est sans limite et lui ouvre probablement les portes sur un monde lui aussi sans limite. Un vieux proverbe local dit : Petit pays, petites manières. Mais au-delà de ces proverbes, il y a nos représentations sociales construites par notre éducation et par la peur de nos parents face à l’océan. Peu d’entre eux entretiennent de bonnes relations avec la mer. Pourtant ils savent et répètent à leurs enfants : « fok ou manjtié néyé pou apwan najé. » 

En quoi la mer peut-elle être perçue comme sacrée ? 

Dans les pratiques magicoreligieuses, la mer est l’élément essentiel qu’il faut enjamber pour conjurer les sorts et réussir ses projets. La mer, c’est le lieu où on peut se recueillir, prendre un bain démarré, se nourrir…

Au final, si la mer représente un potentiel économique très important, elle représente pour certains l’endroit où l’Histoire du monde se modifie. Cette écono-mie bleue comment va-t-elle intégrer les peuples des Antilles françaises ? Va-t-on au-devant d’une exploitation de l’homme et de la mer sans mesure et juste pour l’argent ? S’agit-il pour nos contemporains Martiniquais et Guadeloupéens de faire de cette immensité d’eau un lieu de pèlerinage et de mémoire et en même temps une nouvelle possibilité d’enrichissement économique ?