Parce que c’est dans les situations de crise que l’innovation se révèle, l’entreprise Karaib 3D, récemment lauréate du prix des Talents des Outre-mer, est aujourd’hui sous les feux des projecteurs avec une solution de protection paramédicale réalisée en impression 3D.

Karaib 3D a été créée en 2018 par Estelle Hilaire et William Caster, deux docteurs ingénieurs, afin d’accompagner les projets de création en 3D des entreprises et des particuliers. L’objectif : offrir une solution de dépannage en 24 à 48h basée sur la conception et l’impression 3D.

Comment la conception et l’impression 3D sont utiles au territoire ?

Pour répondre à cette question, il suffit de regarder dans l’actualité de Karaib 3D. Le 26 mars 2020, alors qu’une bonne partie de la population entamait sa deuxième semaine de confinement et que les personnels soignants déploraient toujours le manque de masques chirurgicaux, Karaib 3D annonçait avoir démarré la production de visières protectrices à destination des professionnels exposés.

En partenariat avec Bureau Vallée et SCLM-Actiburo pour la fourniture de feuilles transparentes et le Crédit Agricole, Karaib 3D a ainsi conçu un dispositif de visière anti-projection permettant au personnel soignant de se protéger de la contamination par leurs patients.

Ces visières réutilisables (lavables au Surfanios, à l’eau oxygénée, l’eau savonneuse ou à l’alcool à plus de 70°, pas de javel pour ne pas fragiliser le matériau) sont proposées gratuitement aux établissements hospitaliers.

Pour en couvrir le coût de production et approvisionner un maximum de professionnels, Karaib 3D a fait appel à la solidarité de la population par le biais d’une campagne de financement participatif achevée le 15 avril 2020. Si vous souhaitez contribuer, vous pouvez réaliser un don en rendant visite à Karaib 3D dans leurs locaux au Centre Dillon Valmenière.

Mais comme le rappelle justement William, co-fondateur, « nous ne sommes pas qu’une entreprise à visières (rires). »

« La communication autour de la production de visières nous a permis de démontrer l’intérêt de la conception et de l’impression 3D face à une problématique nécessitant réactivité et technicité. »

William Caster

Il est vrai que les possibilités offertes par ces technologies, en termes de fabrication sur-mesure et en série, sont infinies, d’autant plus que les deux fondateurs disposent de solides compétences en ingénierie.

L’entreprise réalise notamment des trophées, dépanne des particuliers souhaitant remplacer une pièce défectueuse dans un de leur équipement, ou encore, collabore avec Prochimie pour de la conception mécanique.

Pour répondre de façon toujours plus efficace aux demandes, Karaib 3D n’hésite pas à fabriquer ses propres machines. « Nous avons fabriqué une découpeuse numérique, dont la majorité des pièces ont été conçues en impression 3D. On n’arrête pas d’essayer d’innover et de suivre les avancées technologiques, par passion (rires), afin d’offrir des solutions originales aux clients, mais aussi pour pouvoir proposer des prix qui correspondent au marché. » Et ainsi, ne plus avoir à commander une pièce en Italie qui vaudrait 5 fois le prix de sa production 3D sur place et prendrait des jours à arriver.

La preuve par 3

William et Estelle nous détaillent, toujours très humblement, quelques réalisations notables de Karaib 3D : « Nous avons pu intervenir pour un fabricant martiniquais de salades qui a eu une pièce cassée et sa chaîne de production a donc dû être mise à l’arrêt. Dans la journée, nous avons pu recréer la pièce défectueuse, faire repartir la production et atteindre les objectifs de mise sous vide des salades, comme prévu par le fabricant. Cela n’aurait pas été possible sans une solution locale de fabrication de pièces. Cela a permis de faire une différence par rapport au schéma classique où les chefs d’entreprises martiniquais se tirent les cheveux en attendant une livraison pendant 3 semaines. »

Ou encore : « Un avion était bloqué sur le tarmac en Hexagone, une commande de Safran. N’arrivant pas à joindre de dépanneurs en ce vendredi soir, les responsables ont tiré parti du décalage horaire et ont fait appel à nous, pour qui il était encore midi. Nous avons pu fabriquer la pièce nécessaire dans la journée, celle-ci est partie le samedi matin en avion, a été reçue le dimanche et l’avion a pu être livré comme prévu grâce à cette pièce. Donc, notre réactivité nous a permis d’apporter une assistance même au-delà de notre île. »

Et pour rester dans l’actualité du moment : « En termes de visières, il n’y avait aucune offre locale et peu de stock car le besoin de ce type d’équipement ne se fait sentir qu’en cas de crise. Pouvoir fabriquer localement grâce à l’impression 3D est donc un atout. Même s’il ne s’agit que d’un volume de production de 200 pièces par jour, c’est déjà une réponse par rapport à un stock nu et cela contribue à la protection des populations. »

Alors que la production de visières bat son plein afin de répondre à la demande locale, les deux ingénieurs se penchent également sur la conception de valves destinées aux respirateurs hospitaliers. Ou comment, encore une fois, la conception et l’impression 3D peuvent concrètement venir en aide au territoire.

Qu’est-ce qu’être une entreprise résiliente ?

Quand on écoute William et Estelle, il n’y a aucun doute que l’on a trouvé en Karaib 3D un exemple pertinent d’entreprise résiliente ; une entreprise qui n’hésite pas à se remettre en question, à s’adapter et à faire tout cela constamment.

« Il y a eu beaucoup de changements depuis le lancement de Karaib 3D, surtout en termes d’organisation.

Au bout de 2 ans, on s’est posé, on a identifié nos problèmes, les solutions possibles, on a refait un nouveau business plan, on a changé nos tarifs là où nous avons vu que ça coinçait, il y a des choses que l’on a arrêtées de faire, de nouvelles que l’on a mises en place…

Avec l’utilisation de nouvelles technologies dans un domaine que les gens ne connaissent pas, on ne peut pas arriver avec une idée fixe et penser que cela va fonctionner. On a adapté le business plan initial à la réalité du marché, aux besoins locaux et à la réalité financière. »

Alors que les deux fondateurs anticipaient un grand intérêt de la part des secteurs médical et industriel à la création de Karaib 3D, ils ont rapidement ré-adapté leur service afin d’être en phase avec la réalité du marché.

Qu’à cela ne tienne, Estelle et William ont choisi d’orienter leur activité au service des applications techniques, des applications en communication et événementiel, du dépannage et de la formation.

« Nous avions une idée de fab lab à la base », nous dit Estelle, « nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas assez de public réceptif ici, mais nous ne nous sommes pas arrêtés pour autant. Nous avons juste changé le modèle. »

« Nous avons déjà changé notre modèle et nous sommes prêts à le changer de nouveau jusqu’à ce qu’il soit multipliable, voire franchisable. »

Estelle Hilaire

Pour proposer des tarifs toujours raisonnables et des solutions efficaces, le duo accorde une place de choix à la Recherche & Développement : « Nous sommes en constante veille technologique. C’est d’ailleurs ce qui nous a amené à remarquer qu’il existait des solutions d’impression 3D pour du matériel de protection pour les soignants, proposé par des entreprises.

Depuis la création de Karaib 3D, nous nous sommes également équipés d’un système de recyclage de nos filaments. Nous sommes obligés de tout importer mais cela nous permet de réutiliser les chutes de fabrication pour re-fabriquer de la matière.

Notre prochain défi est le broyage de matériaux afin d’être davantage autonomes sur l’approvisionnement en matière première.

Quand on voit les gisements de déchets plastiques produits sur nos territoires, nous aimerions pouvoir participer à leur recyclage. Cela suppose de la recherche pour trouver les bons paramètres pour la refonte, en fonction du type de matériau. »

Comment être plus résilient au niveau du territoire ?

Malgré une si riche expérience pour une entreprise encore jeune, Estelle et William ne souhaitent pas ériger Karaib 3D en expert de la résilience. Avec le recul, ils identifient toutefois trois comportements qui leur ont été utiles jusqu’à maintenant.

« Ce qui conduira la Martinique à être plus résiliente, c’est que chacun le soit à son niveau. »

Toujours anticiper

« On ne peut pas faire autrement sur une île. Il faut donc anticiper ses approvisionnements sans pour autant se constituer un stock énorme qui ne sera pas utilisé sur une longue période. En plus de l’anticipation, une bonne gestion est donc nécessaire. »

Avoir un objectif précis

« Il faut croire en ce qu’on fait et toujours garder son objectif à l’esprit. On a choisi de s’appeler Karaib 3D car on a envie que notre solution serve à toutes les îles et que, par exemple, on soit en mesure de produire des visières également pour la Guadeloupe, la Guyane, la Caraïbe… et pourquoi pas plus loin. Mais garder un objectif à long terme, c’est aussi savoir adapter la route pour y arriver. »

Faire preuve de patience

« Avoir de la patience, beaucoup de patience, car on n’y arrive pas d’un coup. Que ce soit au démarrage de l’activité, avec ses clients, les institutions… En Martinique particulièrement, on a toujours besoin de soutien de réseaux, de financeurs, des collectivités. Et pour en bénéficier, il faut être vraiment patient. »

Karaib 3D
contact@karaib3d.com
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Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine « Everyday We Act for Good | Les territoires se mobilisent ». Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.