En temps de crise et d’urgence, stratégie nationale et réalité locale sont-elles toujours en phase ? Charge au préfet de trouver le bon équilibre pour le bien collectif. Rencontre avec le Préfet de Martinique, Stanislas Cazelles.

La sortie du confinement soulève beaucoup de questions. A tâtons, chaque pays tente de choisir et adpater la meilleure stratégie qui permette à chacun de reprendre une “vie normale” et à l’économie de repartir.

Un groupe de travail interministériel a été chargé de construire les différents scénarios de déconfinement.

Sommes-nous soumis en Martinique aux mêmes difficultés que l’Hexagone ? Y aura-t-il « M. Déconfinement » local, nommé en Martinique, pour accompagner cette phase ?

Stanislas Cazelles : C’est une étape à ne pas minimiser, vous l’avez bien compris. En effet, nous souhaitons tous que le déconfinement intervienne dans les meilleurs délais, mais surtout dans les meilleures conditions.

Sur l’expertise locale de cette phase, c’est le conseil scientifique local constitué début avril, qui fournira des éléments tangibles, propres au contexte sanitaire local pour envisager tel ou tel scénario.

Il y a donc une stratégie nationale que nous respectons et adaptons à la réalité du territoire avec nos atouts et nos faiblesses.

Pour l’instant, au vu des chiffres, la stratégie du confinement telle qu’elle est mise en œuvre depuis le 17 mars semble porter ses fruits ?

Les chiffres sont à la fois bons et pas bons, chaque malade est un malade de trop. Reste que pour l’heure, au cours des 5 premières semaines de confinement en Martinique, c’est vrai nous n’avons pas eu de pic, pas eu de vague.

C’est l’objectif du confinement, donc la stratégie fonctionne. C’est un résultat collectif, mais ne l’oublions pas, c’est aussi un résultat fragile qui repose sur la discipline quotidienne et les efforts de chacun, de chaque famille, de se conformer aux contraintes de distanciation sociale et de limitation des déplacements.

Le porte-hélicoptère Dixmude est arrivé dans les eaux martiniquaises, est-ce le signe d’un risque de reprise de l’épidémie ?

Attention, ce n’est pas un hôpital militaire, c’est un navire de guerre, le plus gros bâtiment de la marine nationale; il a été mobilisé en appui logistique pour les Antilles Françaises.

Le personnel militaire à son bord n’a pas vocation à soigner les patients éventuels, mais à répondre aux besoins d’approvisionnement, de déplacement d’hommes et de matériel si la situation le nécessitait.

Par ailleurs, ces hommes et ces femmes ne représentent pas de risque d’importation de cas, la traversée de 14 jours depuis Toulon ayant servi de quarantaine.

Vous avez pris vos fonctions le 24 février dernier. A ce moment l’Italie comptait 219 personnes infectées et un cinquième décès, la France elle, avait connu 12 cas (11 guérisons et un décès). Quand vous arrivez en Martinique, êtes-vous conscient de la crise qui va se jouer dans les prochaines semaines ?

Absolument. A cette date, personne ne mesure précisément l’ampleur de l’épidémie et la situation qui va en découler, mais j’ai conscience, à ce moment-là, de la menace et de ce qui est en train de se jouer à l’échelle nationale et à l’échelle de la Martinique. 

Des conditions assez particulières pour une prise de fonction… 

C’est vrai. J’arrive en Martinique et la crise est déjà là. Le 27 février s’est tenu le premier Conseil Territorial de Crise qui réunit depuis, chaque jeudi, la préfecture, l’Agence Régionale de Santé et la Collectivité Territoriale de Martinique.

Il a fallu tout de suite entrer dans le vif du sujet, c’est l’essence de notre métier. La préfecture c’est un métier de terrain, de discussion, de rencontre de tous les acteurs et représentants d’un territoire, pour pouvoir apporter les bonnes réponses et prendre les bonnes décisions.

Comme lorsque cela est nécessaire, durcir le confinement et décider d’un couvre-feu ?

Je mesure que ces dispositifs ont beaucoup d’impact sur la vie de la population, toutes ces décisions se font en intelligence pour le bien du territoire.

« Le confinement a été adapté aux spécificités de terrain, nous suivons de près les effets de son application pour que, à la fin, cette stratégie bénéficie à tous. »

Le confinement a été prolongé par le président de la République, quel est votre état d’esprit face aux prochaines semaines ?

Je reste très concentré sur ce qu’on attend de moi, sur notre capacité à identifier nos points de vulnérabilité et trouver des solutions. Au cœur de nos actions, il y a l’objectif de satisfaire aux missions de service public pour toutes les Martiniquaises et tous les Martiniquais en toutes circonstances.

Qu’en est-il de la pénurie et des coupures d’eau qui touchent un grand nombre de communes et de foyers ?

C’est la crise dans la crise ! La situation actuelle de menace d’épidémie et de confinement aggrave encore l’impact des coupures d’eau actuelles. Le manque de pluie des dernières semaines se fait certes sentir, cependant le problème ne vient pas de la production mais de la distribution de l’eau.

La situation n’est pas tenable, nous nous en rendons tous compte, nous allons tenir un Comité Territorial de l’Eau dans les prochains jours pour poser le problème sur la table avec les acteurs concernés.


Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine “Les territoires se mobilisent” créé par EWAG. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.