Face au Covid-19, le CHU de Martinique se transforme et se réorganise

Mathieu Rached

Le pays est à l’arrêt, l’hôpital sur le qui-vive. Passage en revue de forces et faiblesses de l’hôpital avec Benjamin Garel, Directeur Général du CHU de Martinique (CHUM).

Il n’est pas médecin, ni infirmier, il ne prend pas son tour de garde, mais chaque matin, il passe aux urgences, pour « prendre le pouls » de la nuit.

Formé à Polytechnique, école militaire où, de fait, la gestion de crise fait partie des fondamentaux, Benjamin Garel est en première ligne opérationnelle et médiatique de la crise du coronavirus.

Le directeur général du CHU de Martinique (CHUM), jeune quadragénaire au visage encore juvénile, manœuvre pour que l’hôpital tienne le choc, au niveau logistique et humain. Depuis plusieurs semaines, à Fort-de-France comme à New York, Mulhouse, Madrid ou Dakar, l’hôpital est à la fois l’arme et le champ de bataille.

« Les soignants font tout le travail, mon rôle est d’assurer la logistique qui leur permette de travailler efficacement et en sécurité », reprend Benjamin Garel.

Nous sommes allés prendre le pouls, à notre tour, de cette étrange bataille qui s’étale dans le temps mais menace toujours. 

Communication de crise 

Faire face à une situation de crise est une chose, communiquer avec une équipe de 5000 personnes en est encore une autre.

« C’est un enjeu colossal », avoue Benjamin Garel. Le CHUM compte 5300 personnes dont 700 médecins  « avec qui nous devons réussir à communiquer chaque jour sur l’évolution de la situation et l’évolution de notre organisation ».

Pour faire face à la crise sanitaire, l’hôpital s’était préparé et organisé avec le « plan blanc », déclenché le 16 mars, et la suspension notamment des opérations de chirurgie non urgentes. En réalité, « il continue régulièrement de se transformer », en fonction des flux, des taux d’occupations.

Les échanges de mails et les notes de service ont été « multipliés par deux ou par trois » décrit le directeur général, pour pouvoir informer en temps réel de la meilleure organisation et réorganisation de tel ou tel service, telle ou telle unité.

Faute de pouvoir réunir 40, 50, 100 personnes dans une même pièce en respectant les distances de sécurité, l’hôpital a dû réinventer ses canaux de communication et même s’improviser station de radio, depuis le 6 avril.

« Notre web radio émet de 11 heures à 12h, les lundis, mercredis et jeudis pour faire le point sur tout ce qui est mis en place au sein de l’hôpital et donner la parole à un spécialiste, infectiologue, réanimateur, infirmier clé ou autre », décrit Benjamin Garel.

Un bulletin journalier numérique est également diffusé, là encore pour « expliquer, impliquer, encourager et être transparent ».

La chaîne Youtube de l’hôpital elle, illustre les scènes de la vie quotidienne et la réalité de l’application des bonnes pratiques dans les services du CHUM.

Le facteur humain 

Les personnels soignants, ceux qui sont applaudis chaque soir à 20h dans tous les foyers d’Hexagone et de Martinique, ou directement sur le parking de l’hôpital par la police et les pompiers, ce sont eux la clé de la crise.

« Je leur dis merci moi aussi », témoigne Benjamin Garel.

« Malgré les tensions, inquiétudes, questionnements sur le matériel, c’est parce qu’ils restent unis et motivés que l’hôpital tient bon. »

D’ailleurs, quel est le moral des troupes ? Le personnel mobilisé dans les unités Covid est plus serein par rapport aux autres services, explique le directeur général.

Surprenant ? En réalité, pour être mobilisés dans ces unités particulières, ils ont reçu une formation qui change leur approche, la perception de la situation, leur rôle et aussi, sans doute, leur vulnérabilité.

En médecine, rien ne s’improvise, les gestes, les protocoles, les matériels sont toujours précis. « Être infirmier en chirurgie, ce n’est pas le même métier qu’être infirmier en unité Covid », cite Benjamin Garel. « Il faut pouvoir s’adapter à cette nouvelle mission et à ses exigences ».

Masques gants et surblouses

L’autre défi est d’ordre matériel. Dans tous les pays, dans toutes les discussions, à chaque flash info, les équipements de protection individuels, les fameux « EPI », sont au cœur des inquiétudes, des coups de colère aussi.

Masques, gants, surblouses… L’hôpital réussit-il à équiper tout le monde chaque  jour depuis 5 semaines ? « Les protections sont rationnées », pour justement pouvoir garantir son matériel à chaque soignant : deux masques en journée, trois masques pour le service de nuit.

Dans les faits et les chiffres, « nous disposons d’un stock de masques inférieur à nos besoins pour une semaine », décrit sans trahir d’inquiétude le directeur général du CHUM.

« C’est un point sur lequel nous sommes extrêmement vigilants évidemment, mais pas inquiets à ce jour, confirme-t-il. Plus que le stock, ce qui compte c’est le flux de réassort. Ces flux, depuis les voies officielles, arrivent régulièrement. C’est important et c’est rassurant. Mais nous avons aussi des inquiétudes sur certains médicaments, notre prochain défi à réussir avec l’aide de nos partenaires officiels. »

Dons à l’hôpital

Au-delà de ces stocks officiels et des capacités de réquisition de l’ARS, une chaîne de solidarité est également à l’œuvre depuis le début de la crise.

« Les syndicats nous ont beaucoup aidé en activant leurs réseaux », décrit Benjamin Garel, « et nous avons reçu énormément de dons de gants, de surblouses et de masques. Ces dons de matériel représentent une part énorme de nos besoins dans une période critique », cite le directeur général, remerciant les entreprises et les particuliers qui ont fait cette démarche et « nous ont permis de tenir ».

Au moment de notre interview, la situation demeure encore tendue sur la question des surblouses. L’ARS a mis à disposition 5000 exemplaires, soit l’équivalent de trois jours de consommation à l’hôpital…

Les couturières du groupement des artisans d’art, à l’œuvre depuis plusieurs jours, vont soulager l’hôpital, « avec des surblouses en tissus, lavables et réutilisables ».

Le pire est-il évité ? 

La situation est fragile, on le comprend. Malgré tout, les yeux rivés sur le nombre de contaminations et surtout de lits de réanimation occupés, la Martinique semble avoir évité le pire.

Benjamin Garel reste prudent, « on est en train d’éviter le pire, c’est vrai,  mais le pire peut arriver à tout moment ». En effet, l’épidémie ralentit mais demeure une grande incertitude vis-à-vis du déconfinement, tant qu’aucun traitement efficace n’aura été validé et mis à disposition.

Aujourd’hui, on peut se féliciter que l’hôpital n’ait pas été débordé ni saturé, d’avoir toujours eu « un coup d’avance », qu’à partir des bonnes informations de l’Italie, il ait pu se préparer au mieux.

« On s’attendait à voir le nombre de patients doubler toutes les 72 heures… On s’attendait à une vague. Or, deux semaines après le confinement, on a commencé à noter une augmentation moins rapide du nombre de cas. Ce qui a fait que, jusque-là, nous avons pu préserver notre personnel et notre structure » résume, sans fanfaronner, le  directeur général, alerte et conscient.

Il sait trop bien la fragilité de ces situations, avec un virus qui circule très vite, et dont 80% des individus contaminés passent sous les radars, asymptomatiques donc, mais vecteurs de cette maladie qui, au 14 avril, a tué 119 482 personnes dans le monde. 

Combien d’unités Covid-19 en Martinique ?

  • 4 unités Covid-19 d’hospitalisation complète à la Meynard, avec 38 lits de réanimation disponibles 
  • 1 unité Covid-19 d’hospitalisation complète à Trinité
  • Les urgences de Trinité et de Pierre Zobda-Quitman sont scindées en deux parcours distincts : urgences classiques et urgences Covid-19
  • 1 unité de rééducation pour patients Covid-19 à Mangot Vulcin
  • Au total, au-delà des unités dédiées, une personne sur quatre à l’hôpital travaille directement ou indirectement sur le virus, logistique, médico-technique, administratif…

Besoins en matériel 

  • 35 000 masques par semaine
  • 10 000 SURBLOUSES PAR SEMAINE

Masques Decathlon à l’étude

En expirant, les patients sous ventilation non invasive (pratiquée afin de retarder l’intubation), vont disséminer dans l’air de leur chambre une forte charge virale.

Doté d’un double flux d’air (inspiration et expiration), des masques couvrants Easybreathe de Decathlon, pourraient empêcher cette diffusion anarchique du virus et permettre au personnel soignant de travailler plus sereinement.

Ils sont actuellement testés au niveau du service réanimation du CHUM en collaboration avec l’entreprise Karaib3d pour créer et produire des filtres adaptés en impression 3D.

Médecins Cubains en renfort ?  

« Oui, mais pas pour les unités Covid-19 du CHUM ». Benjamin Garel replace dans son contexte, l’annonce de la venue de médecins cubains en Martinique.

Le fait que des praticiens hors Union Européenne  puissent venir travailler sur le territoire national fait l’objet d’un projet de loi de juillet 2019. A la faveur de la crise, le décret a été signé, autorisant ainsi la venue de médecins cubains.

« S’ils sont en effet très attendus, ils ne seront pas affectés aux unités Covid-19, ce sont des spécialistes qui combleront nos déficits d’effectif dans certaines spécialités comme en néphrologie et hématologie ».


Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine « Les territoires se mobilisent » créé par EWAG. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.