Dans le contexte actuel où l’autosuffisance alimentaire d’un territoire se pose comme une question vitale face à une crise sanitaire majeure, il paraît inconcevable d’imaginer nos territoires sans filières d’élevage solides et volontaires. La propagation de l’épidémie de Covid-19 a eu des conséquences sur les professionnels de l’élevage. Il en va de notre responsabilité d’aider à l’écoulement de leur production, en consommant local. Rencontre avec Gérard Blombou, Président de l’Interprofession guadeloupéenne de la viande et de l’élevage – IGUAVIE.

L’IGUAVIE regroupe 8 filières de production – bovins, caprins/ovins, porcins, lapins, volailles de chair, œufs de consommation, ouassous/poissons, miel et un peu plus de 2000 emplois. Comment allez-vous aujourd’hui ?

Gérard Blombou, Président de l’IGUAVIE : Contrairement au reste de la population, nous sommes comme les mobilisés du secteur de la santé, sur le terrain pour voir si tout se passe bien pour notre cheptel.

Nos métiers ne nous permettent pas d’être confinés à la maison mais dans nos champs, dans nos exploitations agricoles et nous sommes souvent seuls. Nous faisons donc face, du mieux que nous pouvons, en prenant en compte les mesures de prévention et de sécurité demandées par le gouvernement.

Bien que vous soyez mobilisés depuis le début de la crise pour prévenir tout risque de pénurie et maintenir l’approvisionnement de la population en produits de l’élevage frais de qualité, vous rencontrez aujourd’hui une situation compliquée. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Il est vrai que nous avons tout mis en place pour que la population puisse convenablement s’approvisionner dès le début du confinement. Il était impensable de faire autrement car nous avons à cœur de permettre à tous les Guadeloupéens de se nourrir et de nourrir leurs familles.

Malgré nos efforts, les éleveurs se retrouvent aujourd’hui dans un contexte très délicat puisqu’ils n’arrivent plus à écouler leur production. Sur le court et moyen terme, cela peut avoir des conséquences désastreuses pour nos filières. 

Des conséquences désastreuses qui remettraient en cause votre capacité à produire, cela semble impensable étant donné le risque de ne pas être approvisionnés en quantité suffisante. Pensez-vous que la population guadeloupéenne soit consciente que leur soutien est aujourd’hui indispensable pour vous, comme pour eux ?

Je pense que les consommateurs guadeloupéens sont de plus en plus conscients de la nécessité de consommer localement, des produits qui viennent de chez nous. Ils ont compris qu’en achetant du porc, du bœuf ou de la volaille en local, ils s’engageaient au-delà d’un simple acte d’achat : en achetant local, ils achètent de qualité et ils contribuent aussi à plus de 2000 emplois sur l’île.

Depuis quelques années, on observe une augmentation de cette demande. On l’explique par la possibilité de tracer les produits et par l’évident respect des règlementations auxquels nous nous astreignons : ce sont des gages de qualité pour les Guadeloupéens.

« Après cette crise, nous espérons voir apparaître un sursaut de conscience : si l’importation venait à ne plus être possible, nous serions les premiers à nourrir la Guadeloupe. »

Nous ne souhaitons absolument pas d’autres crises de ce type, mais force est de constater que tous les scénarios sont à envisager.  Et pour y arriver, nous avons besoin d’écouler nos produits pour continuer à perdurer.

Si on fait un bilan de la situation de votre filière au 15 avril 2020, est-il concrètement possible de nourrir les 390 000 habitants que compte la population guadeloupéenne ? La question implicite est évidemment : pourrions-nous, un jour, envisager d’être autonome en viande fraîche ?

La question ne se pose pas en ces termes car, en période normale, la production locale est la variable d’ajustement. La réponse est donc oui car la Guadeloupe doit pouvoir nourrir sa population.

Nous pourrions couvrir la Guadeloupe en viande fraiche si nous le décidons et s’il y a des commandes. Néanmoins, pour envisager cet approvisionnement, il faudrait relancer toutes les filières.

Nous, producteurs, décideurs, devons revoir notre approche du développement. Nous devons planifier et arrêter les politiques de coups, les spéculations. Si on nous passe des commandes fermes et non des intentions d’achat, nous saurons répondre ! Les agriculteurs guadeloupéens ne demandent que cela.

Avec les professionnels du secteur mais aussi les non professionnels, on estime que la filière bovine – qui est aujourd’hui en sous-production – pourrait se développer en 5 ans. En porc, en viande fraiche, nous avons deux coopératives déjà structurées. Les lapins, c’est facile à gérer.

Mais aujourd’hui, si l’on prend l’exemple de la filière volaille de chair, ce n’est pas normal que sur certaines exploitations qui devraient contenir 6 000 poulets par semaine, nous ne soyons qu’à moitié car le consommateur préfère acheter du poulet qui parcourt 7 000 kilomètres alors qu’il pourrait avoir une volaille de qualité, ici.

« En deux plans de relance, si tout le monde est mobilisé, d’ici 5 ans, on devrait pouvoir y arriver ! Mais pour développer ce schéma, tout le monde doit jouer le jeu. »

Si la population guadeloupéenne nous aide, nos collègues de la distribution que sont les artisans-bouchers ainsi que les grandes enseignes mais aussi les partenaires institutionnels comme la collectivité régionale, avec qui nous discutons beaucoup, on devrait pouvoir repenser le modèle.

Encore une fois très concrètement, pouvez-vous nous expliquer pourquoi la viande coûte plus cher que d’autres produits qu’on trouve dans nos supermarchés ?

Pour produire de la viande fraiche et de qualité, nous devons répondre à de nombreuses réglementations notamment sur l’hygiène, l’alimentation ou encore sur les conditions d’abattage. Cette mise aux normes des infrastructures coûte chère mais elle est nécessaire pour assurer aux consommateurs, un contrôle garanti de ce qu’ils consomment.

Aujourd’hui, au-delà des coûts structurels fixes (infrastructures, emplois, machines…) que peut avoir toute entreprise, c’est la matière première pour nourrir les animaux qui coûte cher. Celle-ci est importée et nous ne pouvons pas faire autrement.

Il n’est aujourd’hui pas possible de produire du maïs ou des céréales chez nous. Et sur ce point, nous dépendrons de l’extérieur. La viande fraiche coûte plus cher car les conditions de sa production coûtent cher. Néanmoins, le consommateur est assuré de sa qualité.

Par ailleurs, très souvent, le consommateur dit qu’un produit est cher car sa référence est la viande importée de qualité médiocre qui est vendue moins cher dans les Outre-mer que dans les zones de production de France ou d’Europe.

Les aides européennes suffisent-elles aujourd’hui pour faciliter un projet d’autonomie alimentaire sur le territoire guadeloupéen ?

Nous recevons de la part de l’Europe une enveloppe du POSEI qui contribue aujourd’hui à nous aider à faire face et à permettre à nos activités de perdurer. Les projets d’autonomie sont réellement à creuser.

Si tout le monde joue le jeu, du distributeur au consommateur en passant par l’Europe, nous sommes prêts à nous retrousser les manches et à relever le défi.

Cependant, la production n’est pas uniquement une affaire d’aides, il faut d’abord produire et vendre pour obtenir des aides qui arrivent entre 12 et 18 mois plus tard. Entre-temps, il faut continuer à produire.

Produire c’est bien, mais c’est surtout vendre qui est important car s’il n’y a pas l’acte d’achat du consommateur, nou ké rété kon konkonm san grenn !

IGUAVIE
0590 26 47 30
FB @IGUAVIE

Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine “Les territoires se mobilisent” créé par EWAG. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.