Quand l’action de l’Ordre des avocats du Barreau de la Martinique bouscule jusqu’au Ministère. Retour sur deux mois de mobilisation aux côtés de Philippe Sénart, bâtonnier de Martinique, Isadora Alves, avocate en droit des affaires et Sandrine Désiré, avocate spécialisée en droit des sociétés. 

Dans une ordonnance rendue le 4 avril dernier, les juges du tribunal administratif, saisis en référé par l’Ordre des avocats du barreau de la Martinique, avaient contraint le centre pénitentiaire à fournir des masques aux détenus. Pouvons-nous revenir ensemble sur les débuts de cette affaire ?

Philippe Sénart : L’Ordre des avocats a souhaité agir au profit de la population de la Martinique dans sa globalité y compris celle des détenus dont la situation ne permettait pas la mise en œuvre des gestes barrières et de sécurité.

En pleine période de Covid-19, le centre pénitentiaire de Ducos constituait en germe une véritable bombe sanitaire pour ceux qui s’y trouvaient et pour toute la population.

Nous avons souhaité disposer de réponses concrètes sur la situation des détenus et que des mesures utiles soient prises pour assurer leur protection.

Face au risque de propagation de la Covid-19, significativement plus élevé au sein du centre pénitentiaire de Ducos que pour le reste de la population, les juges du tribunal administratif de la Martinique ont finalement statué sur la nécessaire distribution d’équipement. Une première victoire ?

Le Tribunal administratif de Martinique s’est livré à un examen approfondi de la situation, a constaté la vulnérabilité particulière des détenus et, dans une démarche empreinte de pragmatisme tenant compte du stock limite de masques, a enjoint l’administration pénitentiaire de distribuer des masques disponibles en priorité aux détenus les plus exposés et à procéder à des tests en cas de suspicion d’infection.

Cette action a par ailleurs permis une amélioration de la situation de l’ensemble des intervenants et notamment des surveillants pénitentiaires qui sont intervenus pour informer de la situation réelle. Donc cela a été une véritable victoire au profit de tous et cela a peut-être évité une catastrophe.

L’affaire ne s’est pas arrêtée en Martinique puisque le Conseil d’État a été saisi et a fini par demander à la Ministre de la Justice de fournir à compter du 11 mai, des équipements de protection à tous les détenus appelés à rencontrer des intervenants extérieurs. 

En effet, le Conseil d’État qui est la plus haute juridiction administrative française a été saisi d’un recours de la Ministre de la Justice qui demandait d’annuler l’ordonnance du tribunal administratif de la Martinique.

Au regard de l’importance de ces questions sur le plan national le Conseil national des Barreaux, les Barreaux de Paris et de Guyane et l’Observatoire international des prisons, le Syndicat des avocats de France se sont joints à l’action.

Le Jeudi 7 mai, le Conseil d’État a résisté puisqu’il a maintenu l’injonction faite à la Garde des Sceaux de fournir des masques aux détenus en relation avec des personnes venant de l’extérieur.

Dans sa décision, le conseil d’État note qu’à compter du 11 mai, « tous les intervenants extérieurs (avocats, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, assesseur extérieur de la commission de discipline) se verront imposer le port d’un masque de protection non sanitaire lors de leurs contacts avec les personnes détenues » et que le personnel pénitentiaire devra également porter un masque. C’est une grande victoire car c’était réellement une carence de nature ! 

Pendant le confinement, le barreau de l’ordre des Avocats de Martinique a été plus qu’actif, c’est le moins qu’on puisse dire. Comment vous êtes-vous adaptés aux contraintes de la crise géo-sanitaire ? 

Isadora Alves : Il a fallu mettre en place de nouveaux procédés pour faciliter le suivi des contentieux et toutes les procédures urgentes comme les instructions, les audiences ou les comparutions immédiates. Pour cela, il a fallu équiper tous nos confrères volontaires qui ont dû se déplacer en présentiel.

Ensuite, nous avons pu en avancer en suivant les dossiers de manière dématérialisée. Pour toutes les procédures où le présentiel n’était pas obligatoire, nous avons privilégié les visioconférences et téléconsultations

Dès le début de cette crise, Le Bâtonnier Philippe Sénart a décidé de débloquer les fonds de l’aide juridictionnelle pour permettre aux confrères de s’organiser et de tenir pendant le confinement.

« Nous sommes un barreau solidaire. L’objectif était de soutenir tous les confrères en étant le plus proactif possible avec les outils dont nous disposions. »

Très vite, vous avez aussi décidé de mettre en place une permanence de médiation. A quoi répond cet outil au service de la population ? 

Sandrine Désiré : Oui, il s’agit d’une plateforme téléphonique gratuite assurée par des avocats volontaires du barreau de Martinique. Depuis le 14 avril 2020, nous proposons à tous ceux qui souhaiteraient obtenir des informations de nous appeler au 0696 365 801, du lundi au samedi.

« L’objectif pour nous est d’expliquer ce qu’est la médiation et ses avantages puisque cette alternative permet d’éviter les tribunaux dont l’activité est à l’arrêt vu le contexte de crise. »

Elle permet de renouer le dialogue et mettre les parties prenantes autour d’une table ou d’une visioconférence pour tenter de résoudre des situations conflictuelles : problèmes familiaux, de voisinage, d’ordre professionnel entre clients et fournisseurs… Le champ est vraiment très large. La promiscuité est propice aux litiges.

La plateforme de médiation peut également rediriger vers le Centre Départemental d’Accès au Droit (CDAD), une émanation du tribunal. Elle offre la possibilité d’être mis en relation avec des professionnels du Barreau. Ces derniers proposent également d’autres accompagnements juridiques aux côtés de notaires et de psychologues.

Tout type de contentieux y sont réglés et ce sont des consultations gratuites. 

L’annonce du déconfinement change-t-elle la donne du côté du Barreau de la Martinique ? 

Sandrine Désiré : Non, bien au contraire ! Les consultations au CDAD sont maintenues et une permanence est proposée pour accompagner les entreprises.

Du 15 mai au 5 juin, l’Ordre des Avocats en partenariat avec la Chambre de Commerce d’Industrie de Martinique accompagne les TPE et PME qui font face à de nombreuses difficultés à la fois financières et juridiques.

Par ailleurs, nous continuons de rattraper tous les dossiers pour ne pas laisser les clients pâtir des délais retardés avec la crise géo-sanitaire et nous travaillons à distance avec nos clients.

Ce confinement nous aura obligé, en tout état de cause, à revoir nos méthodes de travail. C’est un plus. De cette manière, nous continuerons à être présents pour tous ceux qui ont besoin d’être informés de leurs droits.