Vous en connaissez sûrement, des personnes de votre entourage qui ont saisi jardinières et pots, pelle et râteau, graines et terreau, et se sont mises à l’art du bouturage, de la plantation, du paillage à la faveur du confinement. 100% zeb s’est justement donné pour mission d’aider tout un chacun à faire fructifier son petit bout de terre, selon les principes du jardin créole.

100% zeb, c’est 50% de Hugues, détenteur d’un BTS agricole, d’une licence en biologie, d’une seconde licence en développement durable, d’une maîtrise en enseignement auprès des enfants et d’un master en pilotage de projets éducatifs ; et 50% d’Astrid, ancienne blogueuse voyage ayant travaillé dans la vente et la communication.

Créée en 2017, 100% zeb, c’est surtout une association guadeloupéenne qui s’attache à vulgariser les connaissances autour du jardin créole par l’animation d’ateliers de transmission, de webinaires et de conférences, la production de produits cosmétiques, de tisanes et d’épices à base de produits de chez nous et la création d’activités autour des plantes caribéennes avec un réseau de partenaires engagés dans le même sens.

Rencontre avec Hugues Occibrun.

Pourquoi pensez-vous qu’il est important de réapprendre à planter ?

Nous avons créé nos ateliers pour répondre à un besoin que l’on entendait souvent autour de nous : savoir comment planter ?

Concrètement, en généralisant, les personnes qui assistent aux ateliers de 100% zeb me disent qu’elles ont un espace de jardin, qu’elles souhaitent y faire des plantations mais que rien ne pousse et que quand c’est le cas, les fourmis maniocs attaquent tout et les escargots mangent tout sur leur passage.

Pourtant, ces personnes se souviennent que quand elles étaient enfants, il suffisait de lâcher une graine derrière la maison pour que ça pousse. J’essaie de contextualiser cette problématique : savoir planter ne consiste pas qu’à mettre une graine en terre. C’est tout un ensemble.

Il faut comprendre comment préserver la richesse de son sol, savoir comment vivre en bonne intelligence avec les nuisibles, connaître les besoins de chaque plante, leurs cycles…

Pour la plupart d’entre nous aujourd’hui, lorsque l’on a une maison, on arrache toutes les herbes, on ajoute de la terre de profondeur puis on essaie de planter sur une surface qui est pauvre en minéraux. Forcément, rien ne pousse.

« Mon objectif est de montrer l’incompatibilité de ce que l’on fait au quotidien avec nos envies de plantations et d’essayer de ramener du naturel et du sens dans nos actions afin de pouvoir planter à nouveau. »

Quelles sont les plantes que l’on devrait tous avoir dans notre jardin selon vous ?

De façon classique, les gens veulent surtout planter des tomates, des aubergines et un peu de salade. Grosso modo, cela correspond à ce qui est le plus consommé un peu partout dans le monde.

Il y a également un grand intérêt pour les plantes médicinales historiquement utilisées sur nos territoires et les “plantes miracles” dont on entend beaucoup parler, telles que le Moringa ou la Trois tasses.

Souvent aussi, ils souhaitent planter des plantes qu’ils ont connues dans leur enfance mais qui ont plus ou moins disparu depuis. Quand ils se souviennent des noms vernaculaires, des senteurs et odeurs, on peut essayer de retrouver de quoi il s’agit.

Mais si je devais faire un top des plantes à avoir dans le jardin du paresseux, c’est-à-dire, un jardin avec des plantes locales qui poussent facilement, qui sont très riches en éléments minéraux et pour lequel on n’aura pas besoin d’épuiser le sol, je partirais sur la base suivante :

En termes d’arbres de plus de 2 mètres, je mettrais des plantes qui donnent des fruits et qui ne nécessitent pas beaucoup d’entretien :

  • Des papayers, qui portent au bout de 6 mois et pendant au moins 6 ans, à partir du moment où l’on a un papayer femelle avec un mâle à côté. On peut quasiment tout consommer chez le papayer, que ce soit le fruit (en légume ou en dessert), les graines ou les feuilles (en cataplasme quand on a des douleurs ou pour faire des purges quand on est malade)
  • Des bananiers, pour avoir des poyo notamment (dits ti-nains en Martinique)
  • Des avocatiers

En vivrier :

  • Des patates douces, dont on peut à la fois manger les feuilles et les racines
  • Des christophines, qui apparaissent au bout de 4 mois et que vous pourrez avoir pendant 2 ans
  • De la tomate, plutôt la variété créole Tomadose, qui peut être mangée crue, cuite, transformée en tomates séchées, etc
Illustration Gros Thym

En médicinal, je resterais sur des classiques, notamment :

  • Le gros thym
  • La citronnelle
  • La Trois tasses (lippia alba ou Brisée en Martinique)
  • Le dartrier (Cassia alata en Martinique)
  • Le Fonbazen (ou Framboisin)

Comment le jardin créole peut-il participer à la résilience d’un foyer et du territoire ?

« Si l’on met bout à bout les espaces verts dont disposent les particuliers chez eux, on se rend compte que cela représente davantage de terrain que ce qu’ont les agriculteurs. »

Les particuliers ont donc également un rôle à jouer dans l’approvisionnement de nos territoires, on ne peut pas dire qu’il ne revient qu’aux agriculteurs de maintenir la biodiversité et d’assurer l’apport en denrées vertes.

Le jardin créole est une grande source de biodiversité, car, par essence, c’est un jardin composé de plusieurs espèces de plantes différentes, qui ont par ailleurs l’avantage d’être multifonctionnelles.

Si on prend l’exemple du bananier, on peut en manger les fruits, se soigner avec les feuilles, faire du papier ou des revêtements avec la fibre… On peut aussi prendre l’exemple du patchouli, qui est une plante médicinale, utilisable en interne ou en externe, et avec laquelle on peut également faire du parfum ou encore du savon.

La multifonctionnalité des plantes du jardin créole peut donc permettre au quotidien d’aller moins régulièrement faire ses courses en magasin. Et cela peut permettre, au niveau d’un foyer, de rebondir un peu plus facilement en cas de catastrophe qui bloquerait les importations, afin d’avoir rapidement à disposition de quoi se nourrir et se soigner (hors maladies chroniques) et assurer l’hygiène du quotidien.

Il n’y a qu’à voir également avec l’exemple de l’aloe vera, que tout le monde connaît, et qui permet aujourd’hui de fabriquer des gels hydroalcooliques à la maison. Tout cela est source d’autonomie.

illustration panier de fruits et légumes

« Au niveau du territoire, le jardin créole peut sans aucun doute contribuer à la résilience de la population, à condition de mettre sur pied des filières, des AMAP, des coopératives, qui recueilleraient le surplus des produits des jardins créoles de particuliers. »

Prenons un exemple simple : en pleine saison des fruits à pain, il n’est pas possible, même pour un foyer de 12 enfants, de manger tous les fruits de son arbre à pain, tout le monde ne pouvant pas faire de farine de fruit à pain pour conserver le surplus par exemple.

Si une structure ou coopérative récupère les surplus des jardins créoles de particuliers pour revendre et transformer en farine, tisanes, épices, etc, la biodiversité des jardins créoles peut alors aider à combler les manques de l’économie locale.

Cela peut être mis en place à la fois par le biais d’un mouvement citoyen pour impulser les idées et par l’implication des acteurs professionnels locaux, qui disposent de terrains et de financements plus importants.

Il s’agit alors de trouver les arguments pour orienter les grands acteurs dans ce sens. Car, c’est beau les mouvements citoyens, mais lorsque chacun reprend son boulot, le mouvement peut s’essouffler. Alors que quand c’est fait avec les professionnels, c’est du long terme.

Il y a de nombreux mouvements citoyens et c’est super, c’est quelque chose que l’on soutient, mais je pense qu’il ne faut pas se tromper dans la stratégie ; il y a des professionnels en place, plutôt que chercher à reproduire leur activité, je pense qu’il faut les mobiliser et travailler avec eux.

Avez-vous observé de nouvelles tendances dans les besoins exprimés, en cette période de crise sanitaire liée à la pandémie ? 

Le retour au naturel est une tendance mondiale depuis déjà plusieurs années. Depuis le début de la crise, en plus de nos clients habituels, nous sommes également contactés par de nouvelles personnes qui n’étaient pas forcément sensibilisées mais pour qui les concepts de jardin créole, de résilience, de production autonome commencent à résonner.

Le confinement a aidé, car avec le ralentissement de l’activité globale, on avait plus le temps d’écouter et d’être réceptif à de nouvelles choses.

Il y a cependant un travail d’éducation à faire, car nous constatons que pour ces nouveaux convertis, souvent, ce qui est local doit être donné, gratuit. Alors que “naturel” ne veut pas dire qu’il n’y a pas de travail de développement derrière.

« Il faut poursuivre le travail d’éducation et continuer à développer tout ce qui est local et qui a du sens, afin d’accompagner ce retour au naturel. »

Je pense que l’on nous n’avons plus le choix, nous sommes obligés par la force des choses à nous tourner vers ça. On le voit bien maintenant, même si on a beaucoup d’argent, on ne peut pas en faire grand-chose quand on est confinés. Cela pousse à réévaluer notre système de valeurs.

Donc, prenons le bon virage et faisons les choses bien. A ce sujet, nous allons prochainement lancer des formations certifiantes.

En matière d’éducation justement, avez-vous des actions particulières destinées aux enfants ?

Nous avons créé, en février 2020, Le Club Nature, qui propose une version enfants des ateliers que nous proposons aux adultes, en partenariat avec l’Archipel des sciences, qui est un centre de culture scientifique en Guadeloupe.

L’idée est de fournir des notions de nature aux enfants, des notions très simples telles que savoir comment pousse une graine, quels sont les animaux que l’on trouve dans le jardin, comment fait-on une bouture, comment reconnaître certaines plantes dans la forêt…

Illustration enfant dans la nature

« Nous voulons montrer aux parents que les ressources naturelles peuvent aussi être un support pour éduquer leurs enfants. »

Notre image des enfants peut être un peu biaisée, on pense qu’ils n’aiment que les jeux vidéos, etc, mais il suffit de les mettre en pleine forêt pour se rendre compte qu’un enfant reste un enfant.

Des parents m’ont dit qu’ils ont été surpris, leurs enfants voulaient revenir au Club Nature pour aller se salir dans la boue, ils ont même appelé l’espace où on travaille “Gadoue Land” (rires).

Pendant le confinement, nous avons également lancé un petit challenge herbier. J’ai donné, sur notre page Facebook, la technique pour faire un herbier et j’encourage tous ceux qui ont des herbes et des plantes à côté de la maison à créer un herbier, afin que l’on puisse collaborativement construire une base de données des plantes qui entourent les maisons guadeloupéennes. Car, mieux on connaît, mieux on protège !

Ceux qui ont du mal à reconnaître certaines plantes peuvent nous contacter afin que l’on trouve ensemble.

“Je souhaite que le regain d’intérêt pour le naturel que l’on observe actuellement continue à résonner dans la tête des gens et que l’on prenne le bon virage. Je suis motivé, il y a pas mal de gens motivés, c’est maintenant qu’il faut construire !”

100% zeb
centpourcentzeb.fr
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Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine EWAG | Nos sociétés s’adaptent. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.