Céline Malraux est une personne de lettres au sens large. Journaliste de formation, auteure et traductrice, elle place, depuis toujours, la culture à portée du plus grand nombre. Héritage direct d’André Malraux, son grand-père, qui voyait en la culture un élément constituant de notre société. Installée depuis 20 ans en Guadeloupe, Céline Malraux déploie, depuis un an, les actions de l’association Lire pour en sortir. Une corde de plus à son arc qui résonne en elle telle une preuve d’humanité. – Texte Anne-Laure Labenne

Lire pour en sortir est une association qui prône la réinsertion par la lecture. Était-il fondamental qu’elle trouve sa place en Guadeloupe ?

Apporter des livres en prison est, selon moi, la première étape de la culture. C’est la porte du savoir, de la connaissance de soi, du monde, de l’autre. Depuis toujours, je porte un fort intérêt sur la question de l’illettrisme. Je suis intriguée par le « comment on peut dire le monde quand on n’a pas les mots ». Pas les mots pour le comprendre, l’analyser, l’exprimer. Élargir son vocabulaire, c’est la base de tout.

Que ce soit au centre pénitentiaire de Baie-Mahault ou à la Maison d’arrêt de Basse-Terre, Lire pour en sortir – reconnue d’intérêt général – s’inscrit dans une logique de service public. Comment s’insère-t-on sans les savoirs de base, lire, écrire, compter, qui sont essentiels ?

« En fait, nous ne sommes pas en face d’une personne détenue, mais d’un lecteur qui vient partager une conversation autour de la lecture. »

Quel constat avez-vous fait la première fois que vous avez passé les portes d’un établissement pénitentiaire ?

J’ai eu ce qu’on peut appeler un choc carcéral, avec tout le panel d’idées reçues sur le monde de la prison. Il y a un fantasme résumé en « c’est un autre monde ». Mais les personnes à l’intérieur sont les mêmes qu’à l’extérieur. Personne n’a vocation à passer sa vie en prison. Ce sont des gens qui vont ressortir tôt ou tard. 

Les entretiens menés avec le détenu se font de manière individuelle pendant 30 minutes. Nous sommes seuls dans une salle, nous échangeons autour du livre. En fait, nous ne sommes pas en face d’une personne détenue, mais d’un lecteur qui vient partager une conversation autour de la lecture.

Le détenu se porte volontaire à ce programme de lecture. Racontez-nous comment se passe une séance…

Nous présentons un catalogue de livres, classés par niveau de lecture et par thématique. À la suite de la première rencontre, le bénévole repart avec une commande de livres que l’association achète. En 2021, 406 livres ont été lus par 85 lecteurs-détenus. Chaque livre est offert et est fourni avec la biographie de l’auteur et une fiche de lecture.

Toutes les semaines, nous nous voyons pour parler du livre. Le livre, en tant qu’objet, devient alors un véritable trésor. Il faut savoir que le dictionnaire est l’un des livres les plus demandés. Il y a des lacunes qu’on rattrape. Nous sommes là pour faire en sorte que le lecteur gagne en autonomie, améliore sa culture générale, élargisse son horizon et ait ce contact humain dont il a tellement besoin.

« Grâce aux livres, les détenues sont beaucoup plus apaisées. Nous essayons de leur faire comprendre que leur liberté d’esprit est inatteignable. »

Qui sont les femmes lectrices que vous accompagnez ?

Dans le groupe actuel, elles ont pour la plupart un très bon niveau de lecture et portent un grand intérêt pour la spiritualité et la connaissance de soi. Grâce aux livres, les détenues sont beaucoup plus apaisées. Nous essayons de leur faire comprendre que leur liberté d’esprit est inatteignable. Et c’est une grande découverte pour certaines.

Quelles leçons tirez-vous de cette première année passée aux côtés de détenus ?

Je vis ces séances avec beaucoup d’intensité. La culture, au sens de l’expérience humaine, par le livre, est un recours pour trouver un éclairage, pour comprendre, pour mettre des mots sur des situations, comprendre un passage de l’histoire. C’est ce que j’appelle l’évasion par l’esprit. Chacun des 14 bénévoles donne à la personne détenue une position où lui-même est en position de donner. 

Lire pour en sortir doit être compris par tout le monde. Nous sommes heureux que le tissu local, notamment économique, s’intéresse à ce sujet majeur de société, puisque Lire pour en sortir s’inscrit en plein dans la lutte contre la récidive. Il faut s’intéresser à ces personnes qui ont, bien souvent, des parcours de vie fracassés depuis le départ. La case prison n’est pas la case finale.

Plus d’informations sur www.lirepourensortir.org

« Il faut s’intéresser à ces personnes qui ont, bien souvent, des parcours de vie fracassés depuis le départ. La case prison n’est pas la case finale. »

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