À 32 ans, l’avocate girondine, rattachée au Barreau de la Guadeloupe depuis 2017, se soulève contre un droit fondamental non respecté sur notre territoire : le droit à l’eau potable. – Texte Anne-Laure Labenne

Dénonçant un système dans lequel on a laissé s’instaurer quelque chose qui n’est pas de l’ordre du fonctionnement en France, elle mène depuis deux ans une bataille pour nous tous, résident guadeloupéen. Pour qu’on arrête de nous imposer cet outrage à notre liberté. Ne souhaitant plus être spectatrice de ce fléau, elle livre, sans détour, sa vision de “l’affaire de l’eau”.

Racontez-nous ce hasard qui vous a fait entrer au cœur de ce sujet qui est la problématique de l’eau en Guadeloupe…

C’était le 14 mai 2020, j’étais commis d’office sur la permanence pénale du Barreau. J’ai été appelée après la garde à vue des deux militants arrêtés sur le barrage de Mare-Gaillard. C’est un barrage qui m’empêchait certes, depuis trois jours, de me rendre sur mon lieu de travail, mais je considérais que cette lutte en valait la peine. Comme tout le monde, je n’avais pas d’eau à mon robinet. Mais j’étais dans l’acceptation, et cela fait partie d’un ADN, en Guadeloupe, de dire qu’il faut savoir accepter et s’adapter. Devant le procureur, je découvre donc deux militants qui appartiennent à Moun Gwadloup, un groupe que je ne connaissais absolument pas à l’époque. 

« L’eau est un droit. Il est impensable, en 2022, sur le sol français, de ne pas avoir accès à l’eau. En Métropole, cette situation ne passerait pas. »

Immédiatement, vous portez ce problème à bras-le-corps, acquérant au passage la confiance de tous les militants de Moun Gwadloup. De nature révoltée, vous vous dites que ce combat est le vôtre ?

J’aime me lever contre les choses aberrantes et là, c’est le cas. En me saisissant de “l’affaire de l’eau”, je prenais ainsi part à quelque chose qui était de l’ordre du fondamental, de l’essentiel. L’eau est un droit. En Guadeloupe, nous connaissons une véritable injustice, avec un grand « i ». Il est impensable, en 2022, sur le sol français, de ne pas avoir accès à l’eau.

J’ai adressé des courriers aux ministères, je me suis rapprochée d’ONG pour alerter. En Métropole, cette situation ne passerait pas. Ce problème est tellement spécifique à notre territoire, c’est un cas extrême, installé sur le long terme, qu’on en conclut bêtement « c’est la Guadeloupe ». C’est bien trop léger. L’ONU a mis en demeure le gouvernement mais cela n’a pas suivi de sanction. Sans sanction, il n’y a pas d’action.

« L’ONU a mis en demeure le gouvernement mais cela n’a pas suivi de sanction. Sans sanction, il n’y a pas d’action. »

En 2021, vous vous présentez au concours national de plaidoiries. Votre prestation est applaudie par vos pairs. Le sujet du droit à l’eau était une évidence ?

Il fallait choisir un sujet de violation de droit fondamental vis-à-vis de quelqu’un, un cas particulier. Je me devais de porter à la connaissance de tous ce sujet du droit à l’eau, au-delà de la Guadeloupe. De faire ouvrir les yeux sur un problème qu’on ne vit même plus comme un problème, car il est accepté, il est institutionnalisé avec des tours d’eau. Le système est rodé. Aller le clamer, tel un lanceur d’alerte, en disant « regardez, voilà ce qui se passe ».

Tout le monde connaît la Guadeloupe, y vient pour des vacances. Mais, en vacances, on n’a pas le temps de s’en apercevoir. Dans ma plaidoirie, j’ai voulu montrer le quotidien, qu’est-ce que c’est, quand on prend une journée du réveil au coucher, de ne pas avoir d’eau dans sa vie. On ne peut pas l’imaginer tant qu’on ne l’a pas vécu.

« C’est une image de pays du tiers-monde. C’est de l’insalubrité. Dans le quotidien des Guadeloupéens, est inscrit l’achat permanent de pack d’eau. C’est un désastre écologique. »

Quelle image donne-t-on ainsi de la Guadeloupe ?

Il ne faut pas avoir peur de le dire, c’est une image de pays du tiers-monde. On laisse la vaisselle traîner dans l’évier, on trouve des solutions pour son hygiène intime. C’est de l’insalubrité. Et en plus, dans le quotidien des Guadeloupéens, est inscrit l’achat permanent de pack d’eau. C’est un désastre écologique, surtout sur une île.

La privation d’eau amène à une chaîne de conséquences qu’on n’imagine pas toujours. La Guadeloupe est reléguée, avec ses 8000 kms de distance, au second plan, trop souvent laissée pour compte.

« Je suis sûre qu’il y a des portes à franchir en droit européen, en droit international. Sur l’accès à l’eau, on peut envisager de mener des actions qui seraient au-delà de nos juridictions locales. »

Quelles solutions proposez-vous pour enfin faire avancer le dossier du droit à l’eau ?

Il faut faire sortir le sujet de Guadeloupe et lui donner des moyens. On ne réglera pas le problème de l’eau en restant sur le pouvoir local ou en faisant bouger la préfecture. Ça n’a plus d’impact. On ne peut plus laisser faire et laisser à l’abandon quelque chose que l’on voit au quotidien en dysfonctionnement.

Il y a une priorité sur Terre, qui est vitale, qui est de boire, de manger et de dormir. Le problème de l’eau doit être mis au premier rang pour la santé. C’est une priorité vitale, un droit essentiel. Je suis sûre qu’il y a des portes à franchir en droit européen, en droit international. Sur l’accès à l’eau, on peut envisager de mener des actions qui seraient au-delà de nos juridictions locales.

«Aimé Césaire disait qu’une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.»

Extrait de la plaidoirie de Maître Clémentine Plagnol le 21 mars 2021, à Caen.

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