Pointe-à-Pitre, rue Abel Libany. Il est 16 heures ce mardi après-midi-là, la Maison Saint-Vincent a déjà fermé ses portes. Marie-Line Ludger Zenon nous invite à monter par une porte dérobée, au deuxième étage, dans son bureau. « Au moins, à cette heure-ci, il n’y a plus personne. Je ne serai pas sans cesse interrompue. » – Texte Anne-Laure Labenne

Car il est bien fréquent que la directrice de la Maison mette plus de deux heures à rejoindre son bureau le matin, en semaine. « Le temps de discuter avec les salariés et de m’immerger avec les usagers. » Autrement dit « les démunis marginalisés ». « Certains font partie des murs, on se connaît mutuellement. Ils m’appellent même Bibi. » 

Rien ne prédestinait la Pointoise à cette carrière dans le social.

« Petite, je souhaitais être journaliste. Finalement, ici, je suis bien à ma place. » Sa place, Marie-Line la doit à une succession de rencontres. Et une volonté de fer de trouver sa voie en étant plus utile.

Lorsqu’elle entend parler pour la première fois de la Maison Saint-Vincent, celle qui évolue dans le monde de la communication n’a que 35 ans. Elle assiste à quelques réunions avec les membres du conseil d’administration mais son regard extérieur lui pèse. Il lui faut plus. La fondatrice de l’association lui propose alors de prendre un poste à temps partiel, à l’accueil. « Pour voir comment ça se passe. » C’est le début de ce qu’elle appelle une aventure. « Jamais je n’avais été confrontée à ce public. J’ai rencontré l’usager dans toutes ses dimensions, le sans domicile fixe pur. C’est-à-dire, en état de consommation, pas lavé, pas habillé, violent… Je savais l’heure à laquelle je rentrais, mais ni quand, ni comment j’allais ressortir. Ça a été choc. »

Un simple sourire, accompagné d’un bonbon à la menthe, échangé avec un bénévole en guise de remerciement sera le déclencheur de son engagement, de sa passion. « Je n’oublierai jamais ce geste fort. Au fond de moi, j’ai senti que ma place était ici. Pourtant, j’en avais pris des bols de soupes et des menaces… » 

« J’ai un fort caractère. Avec les usagers, je suis dans de l’empathie distanciée. On ne peut pas être toujours dans l’affect… »

Marie-Line Ludger Zenon voit grand.

Il aurait été dommage qu’elle s’arrête sur ces détails. Elle veut rendre l’usager acteur de son devenir. Alors, au-delà de la centaine de repas distribués par jour, elle va impulser un travail de grande envergure sur l’estime de soi. « Il est vrai, je suis coquette. J’aime prendre soin de moi. Et cette image que je renvoyais a été un élément moteur de mon travail. Aujourd’hui, vous auriez du mal à reconnaître un usager d’un salarié. »

Au fil des ans, les services proposés par la Maison Saint-Vincent ont évolué. D’abord l’hébergement de nuit, avec 32 lits. « Et puis, un besoin identifié amène à une autre attente. L’usager a aussi besoin de se réinsérer dans sa vie, cela passe par la restitution des droits sociaux et médicaux, le logement… Nous sommes là aussi pour ça. On garde encore trop souvent la première image de la Maison qui est de donner à manger. »

« L’usager a aussi besoin de se réinsérer dans sa vie, cela passe par la restitution des droits sociaux et médicaux, le logement… Nous sommes là aussi pour ça. »

Il a fallu du temps pour que les regards changent. Il a fallu du temps aussi à Marie-Line pour faire comprendre qu’un humain ne rentre pas dans un cahier des charges. « Il y a un fossé entre ceux qui sont sur le terrain et ceux qui sont dans les bureaux. J’ai un fort caractère. Je ne vais pas hésiter à dire à quelqu’un ce qu’il n’a pas forcément envie d’entendre. Avec les usagers, je suis dans de l’empathie distanciée. On ne peut pas être toujours dans l’affect… »

Pour se détacher, sur son bureau, jamais loin, est posée une bible : Les 7 étapes du lâcher-prise. Essentiel pour rebondir, pour mieux appréhender une situation. Et pour un jour passer la main. « Je continuerai, c’est sûr, en tant que bénévole. C’est une telle énergie positive pour moi, je n’arriverai pas à tout couper. Je veux m’assurer de la transmission… Que l’engagement de la Maison Saint-Vincent ne perde pas de sens. »

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