Transmettre la cuisine traditionnelle de chez nous, c’est l’engagement de Sissi depuis douze ans au sein des cuisinières de la Guadeloupe. – Texte Willy Gassion

Sissi a reçu la Guadeloupe dans la cuisine de sa grand-mère, et c’est aussi comme ça qu’elle est devenue guadeloupéenne. Il ne suffit pas d’être né en Guadeloupe pour appartenir à cette terre. Et c’est là, dans l’apprentissage des ingrédients nécessaires à la confection des plats, là (elle montre le lieu du doigt) « à Boissard aux Abymes » que le péyi lui est pleinement apparu et que Sissi s’est révélée à elle-même.

« J’ai été élevée par une mamie, dès dix ans je savais déjà cuisiner, la cuisine dit l’identité du territoire en même temps qu’elle dit mon identité. Ma mamie me faisait asseoir sur un tiban et quand elle cuisinait, elle m’envoyait chercher tous les ingrédients qui composaient le repas puis elle me disait : regarde, et c’est ainsi que j’ai appris à cuisiner. » 

« J’ai très vite compris que ma mamie me laissait quelque chose d’emblématique de la Guadeloupe, quelque chose d’important que je devais conserver précieusement. » 

Saveurs et cuisine ancestrales 

C’est un double héritage. D’abord celui de l’aïeule maternelle à sa petite-fille, ensuite peut-être un héritage plus grand. Ce ne sont pas que des recettes de cuisine que transmet la grand-mère, c’est plus que ça, c’est un peu de la Guadeloupe et de son patrimoine culinaire dont la jeune Sissi devient la gardienne. « J’ai très vite compris que ma mamie me laissait quelque chose d’emblématique de la Guadeloupe, quelque chose d’important que je devais conserver précieusement, elle me disait aussi : si tu te maries, tu dois savoir cuisiner. » 

Préserver ce qui n’a pas été écrit, qui a été reçu oralement, devant le kanari. Se rappeler des gestes, retrouver le goût originel : « je cuisine comme le font toutes les grands-mères, je n’ajoute rien à ce que j’ai appris. » Nos saveurs ancestrales. Et c’est avec d’autres comme elle, conscientes comme elle de la richesse de notre cuisine que Sissi œuvre à la préservation de nos trésors culinaires. « J’ai adhéré à l’association des cuisinières en 2010, lors de mon baptême j’ai été arrosée de rhum, c’est ce jour-là qu’on reçoit notre tablier, j’ai ressenti une immense fierté d’appartenir à une institution qui a aujourd’hui près de 106 ans et qui représente si bien la Guadeloupe. » 

« Les jeunes filles n’aiment pas cuisiner, c’est un combat de les intéresser à notre cuisine, on doit rééduquer leur palais, nous voulons aussi leur apprendre à être elles-mêmes, à être des femmes créoles. »

L’élégance et le maintien 

Selon Sissi, il ne s’agit pas que de cuisine, son engagement va au-delà de la préservation des traditions culinaires. Il est aussi question d’éducation, de l’image de soi, et de « certaines valeurs qui se perdent ». Une petite colère monte en la gouvernante (son grade au sein de l’association) quand elle évoque les jeunes filles d’aujourd’hui qui se détournent « de la vraie cuisine. Elles n’aiment pas cuisiner, c’est un combat de les intéresser à notre cuisine, on doit rééduquer leur palais, nous voulons aussi leur apprendre à être elles-mêmes, à être des femmes créoles, cela passe par le vêtement, en étant dans l’association des cuisinières, elles apprennent de fait l’élégance et le maintien, c’est tout cela que nous transmettons ». 

Le temps a fait de Sissi une grand-mère, et c’est elle maintenant qui transmet à ses petits-enfants, filles et garçons, ce qu’elle a reçu de sa propre grand-mère. Chaque année, au mois d’août, ils sont à ses côtés lors du célèbre défilé des cuisinières dans les rues de Pointe-à-Pitre. « Ils sont ma relève, quand je ne serai plus là, ils continueront le travail de transmission. » 

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