Jamais rassasié, Francis Joyon remet son titre en jeu à la barre de son immuable trimaran Idec sport. Navigateur à l’ancienne, l’actuel détenteur du Trophée Jules Verne, 66 ans, s’avance une nouvelle fois en outsider, un statut qui lui sied à merveille.

Vous rempilez pour une 8e participation. À 66 ans, n’avez-vous jamais voulu arrêter au sommet, après votre sacre en 2018 ?

Ça m’a traversé l’esprit, je vous le concède, mais je me suis dit que ce serait sympa de naviguer encore, de retenter ma chance, de jouer à nouveau. Il y a vraiment ce côté aventure qui me plaît, dans des conditions à chaque fois différentes, qui nous obligent à prendre de nouvelles routes. Et puis, il est toujours intéressant de se mesurer à la concurrence, qui progresse très vite.

Justement, sportivement, pensez-vous pouvoir encore être dans le match, à la barre d’un bateau vieillissant, mis à l’eau en 2006 ?

On ne prétend pas être favoris face à des écuries dix fois plus importantes en nombre et en budget, avec des bateaux spécifiquement construits pour cette course. En plus, on n’a pas opéré de grandes transformations sur ce bateau. Une bonne partie de l’accastillage, comme les winches et les poulies, est d’époque. On a tout de même changé les voiles, comme tous les quatre ans, mais on ne peut de toute façon plus faire grand-chose pour l’améliorer, si ce n’est le fiabiliser encore. Mais il est dans sa meilleure forme aujourd’hui. On aura notre rôle à jouer, je serai encore outsider.

Votre bateau compte trois victoires consécutives sur la Route du Rhum (1), qu’a-t-il de plus que les autres ?

Il est bien né, bien construit, bien suivi et surtout polyvalent. Il possède aussi une belle ligne, c’est un beau bateau. Et comme on dit, les beaux bateaux sont ceux qui vont le plus vite ! 

Cela fait sept ans que vous barrez Idec Sport, n’a-t-il jamais été question d’en construire un nouveau avec votre sponsor ?

Si, vaguement, à l’arrivée du dernier Rhum, mais je ne me suis pas montré très agressif sur le sujet. J’aime ce bateau et je reste préoccupé par les questions environnementales, l’impact carbone, etc. Alors tant que ce bateau n’est pas déclassé par la concurrence, je ne vois pas l’intérêt d’en changer.

Quel regard portez-vous sur cette course à l’armement de ces dernières années, notamment chez les Ultimes ?

Je ne suis pas dans cette démarche. Je fais d’ailleurs souvent figure de dinosaure au regard de ces évolutions, mais je ne porte aucun jugement négatif. C’est comme ça dans tous les sports de haut niveau aujourd’hui.

L’affaire Gabart a révélé les très forts enjeux économiques qui se jouent aujourd’hui dans la course au large. Quel est votre sentiment sur cette polémique ?

J’ai toujours défendu la participation de François. Il s’entraîne dur et s’est donné beaucoup de mal pour avoir ce bateau de nouvelle génération. Les jaugeurs de la classe ont jugé qu’il était conforme, les experts aussi. Je suis monté à bord et je n’ai constaté aucun problème de visibilité ou de souci de sécurité. Nous sommes déjà peu nombreux, je pense qu’on devrait plutôt se serrer les coudes. Ça ressemble un peu à de l’acharnement.

Vous avez disputé votre première Route du Rhum en 1990, l’année du sacre de Florence Arthaud. Quels souvenirs en gardez-vous ?

La première fois, c’est toujours la plus intense. Faire partie de cette aventure, avec un tel plateau et la victoire de Florence à l’arrivée, quel plaisir ! Et pourtant, je me souviens qu’avant le départ, j’avais connu quelques soucis : mon bateau prenait l’eau, la voile s’était déchirée… Pourtant, malgré des conditions difficiles, je m’en étais plutôt bien sorti en mer puisque j’avais fini devant les Imoca (10e, en 17j., 13 h, 14 min.).

Quels liens entretenez-vous avec la Guadeloupe ? 

Des liens très forts, c’est toujours un grand plaisir d’y retourner. J’ai eu un très gros coup de cœur pour La Désirade. En 2018, après la course, nous sommes allés sur l’île rencontrer des écoliers qui nous avaient présenté les maquettes des bateaux qu’ils avaient fabriquées, avec du polystyrène et des bouts de bois trouvés sur la plage. C’était très joli, un vrai savoir-faire. Mais je me souviens avoir moins eu la cote que les skippers guadeloupéens !

(1) Le trimaran a remporté le Rhum en 2010 avec Franck Cammas (Groupama 3), en 2014 avec Loïck Peyron (Banque Populaire VII) et en 2018 avec Francis Joyon (Idec Sport).

Palmarès
2020 : Record de la Route du Thé (Hong-Kong – Londres)
2019 : Record de La Mauricienne (Morbihan – Île Maurice)
2018 : 1er Route du Rhum, record du tour du monde en solitaire (battu depuis)
2017 : Trophée Jules Verne (40 jrs, 23 h)
2015 : Record de l’Océan Indien
2010 : 2e Route du Rhum, 1er Tour de l’île de Wight
2004 : Record du tour du monde en solitaire (battu depuis)
2001 : 1er Fasnet Race
2000 : 1er Transat anglaise
1996 : 2e Transat Québec-Saint-Malo