Un skipper, un bâteau, un océan. Un ti’punch à l’arrivée. Si du rhum, beaucoup de rhum, a coulé sous les coques depuis quarante, la recette originelle de la plus célèbre des transatlantiques reste inchangée. Malgré l’évolution des bâteaux et des hommes, la magie opère toujours. Du duel d’anthologie qui oppasa le Canadien Mike Birch au Français Michel Malinovsky en 1978 à celui tout aussi palpitant entre Francis Joyon et François Gabart lors de la dernière édition, de l’avénement des premiers trimarans aux bateaux volants dernière génération, embarquez à travers les folles épopées de ces marins de légende qui ont marqué de leur empreinte les 3 542 milles nautiques (6 560 km) reliant Saint-Malo à Lapwent, en Guadeloupe. En attendant d’écrire les prochaines lignes d’un livre à nul autre pareil.

1978

Mike Birch - 1978
Le Canadien Mike Birch acclamé à son arrivée à Pointe-à-Pitre – Photo ⓒD.R.

« Cette course a changé ma vie, ma victoire a été une grosse surprise. Elle a aussi marqué début de l’ère du multicoque »

Mike Birch

Première traversée et premier dénouement légendaire à Pointe-àPitre. Parmi les 38 solitaires au départ de la cité corsaire, deux acteurs marquent l’histoire de la course, engagés dans une bataille au suspense inouï. Surgi de nulle part dans le canal des Saintes, le Canadien Mike Birch et son petit trimaran jaune de 11 mètres, Olympus Photo, dépose son rival tricolore Michel Malinovsky, à la barre du grand cigare bleu de 21 mètres Kriter V.

Sur la ligne, le chrono affiche 98 secondes entre les deux hommes, après 23 jours de traversée, un écart infinitésimal à jamais gravé dans les archives de la transatlantique. « Cette course a changé ma vie, ma victoire a été une grosse surprise. Elle a aussi marqué début de l’ère du multicoque », déclara, plus tard, le vainqueur. Malheureusement, ce premier Rhum laisse un goût amer avec la disparition mystérieuse du navigateur Alain Colas, à bord de son trimaran Manureva (« Oiseau de voyage » en tahitien). Cette histoire tragique a donné naissance, un an plus tard, à la célèbre chanson écrite par Serge Gainsbourg pour Alain Chamfort.

Le podium :
1. Mike Birch (Olympus Photo), 23 jours 6 h 59’35”
2. Michel Malinovsky (Kriter V), 23 jours 7 h 01’13”
3. Philip S. Weld (Rogue Wave), 23 jours 15 h 51’32”


1982

Marc Pajot - 1982
Après 18 jours de traversée, Marc Pajot regagne la terre. Photo ⓒAFP

« J’avais la trouille que mon bateau se casse en deux dans les vagues. »

Marc Pajot

Quatre ans ont passé et le Rhum se professionnalise. Plus technologique — pour la première fois en course au large, les marins sont positionnés par satellite grâce à leur balise Argos —, plus populaire, plus médiatique, l’épreuve séduit davantage de sponsors. À la barre d’Elf Aquitaine (plan Sylvestre Langevin), Marc Pajot file vers le sacre devant un trio composé d’Éric Loiseau, Mike Birch et Bruno Peyron. Mais le Baulois découvre une fissure dans la poutre centrale de son catamaran de 20 mètres. « J’avais la trouille que mon bateau se casse en deux dans les vagues. » L’ancien second d’Éric Tabarly (abandon pour avarie sur le trimaran Paul Ricard), opère une réparation de fortune avant de s’offrir une escale technique en Martinique. Son avance est suffisamment confortable pour inscrire son nom au palmarès de cette deuxième édition, marquée par l’avènement des grands multicoques océaniques. Marc Pajot a tenu bon et peut oublier sa mésaventure vécue en 1978, contraint à l’abandon après avoir heurté un bateau spectateur au cap Fréhel (Manche).

Le podium
1. Marc Pajot (Elf-Aquitaine), 18 jours 1 h 38’00”
2. Bruno Peyron (Jaz), 18 jours 11 h 46’22”
3. Mike Birch (Vital), 18 jours 13 h 44’06”


1986

Philippe Poupon - 1986
Philippe Poupon s’octroie la victoire sur son trimaran Fleury-Michon VIII. Photo ⓒ AFP HENRI ROUDIL

Un dernier cliché capté par l’hélicoptère après le départ montre Loïc Caradec filer à bord de Royal II, son maxicatamaran de 26 mètres doté d’un énorme mât-aile. « Dans le vent fort, peut à lui seul faire chavirer le bateau », craignait-il sur les pontons. Une malheureuse prophétie pour le skipper de 38 ans, en tête au large de la péninsule ibérique avant de disparaître des radars le 13 novembre.

Deux jours plus tard, Florence Arthaud repère le bateau retourné, sans signe de vie. Philippe Poupon l’emporte finalement et dédiera savictoire au marin disparu, le dernier en date. 7e en 1978, 9e en 1982, le futur triple vainqueur de la Solitaire du Figaro est alors au sommet de son art à la barre de son fidèle étalon Fleury Michon. Il coupe d’ailleurs la ligne avec deux jours d’avance sur ses poursuivants. Des grands noms du large tels qu’Éric Tabarly, Loïck Peyron et Olivier de Kersauson ne verront, eux, jamais Pointe-à-Pitre, victimes, comme beaucoup cette année-là, de conditions météo dantesques. Seuls 14 marins franchissent la ligne.

Le podium :
1. Philippe Poupon (Fleury Michon VIII), 14 jours 15 h 57’15″
2. Bruno Peyron (Ericsson), 16 jours 17 h 04’43″
3. Lionel Péan (Hitachi), 17 jours 7 h 04’43″


1990

Florence Arthaud - 1990
Florence Arthaud, première femme à gagner le Rhum, bat le record de la traversée en 14
jours. Photo ⓒAFP MARCEL MOCHET


Une femme en or perchée sur un Pierre 1er en or. Ce 18 novembre, Florence Arthaud, 33 ans, entre triomphalement dans la baie de Pointe-à-Pitre. Elle entre surtout dans l’histoire de la transat en solitaire. Cette première victoire d’une femme dans une course océanique a un retentissement médiatique considérable et va inspirer toute une génération de skippers et de skippeuses comme Samantha Davies et Alexia Barrier. Pourtant, la Petite Fiancée de l’Atlantique n’a pas vogué sur un long fleuve tranquille. Outre ses douleurs cervicales, “Flo”, au bord de l’évanouissement, souffre durant trois jours d’une terrible hémorragie. Dans son carnet de bord, elle raconte aussi les pannes de son télex et de sa BLU (radio), la privant de tout contact avec la terre. Malgré cette série noire, la navigatrice mate les favoris qu’étaient Bourgnon, Birch, Poupon et Peyron avec un nouveau record de traversée à la clé : 14 jours et 10 heures.

Florence Arthaud perd la vie le 9 mars 2015 dans un accident d’hélicoptère en Argentine, alors qu’elle participe au tournage de l’émission de télé-réalité Dropped, pour TF1.

Le podium :
1. Florence Arthaud (Pierre 1er), 14 jours 10 h 08’28″
2. Philippe Poupon (Fleury Michon IX), 14 jours 18 h 39’36″
3. Laurent Bourgnon (RMO), 14 jours 18 h 46’31″

1994

Laurent Bourgnon - 1994
Laurent Bourgnon, skipper du voilier “Primagaz” arrive en tête de classement de la “Route du Rhum”, le 20 novembre 1994, à Point-à-Pitre. Photo ⓒAFP MARCEL MOCHET

C’est à son arrivée en Guadeloupe que le grand public découvre véritablement Laurent Bourgnon, vainqueur de la Solitaire du Figaro six ans plus tôt. La presse est ravie, blondinet au visage d’ange entreprend un poirier sur le flotteur de son 60 pieds et percute ses feux de détresse en guise de consécration. Le jeune loup fait le show. Troisième lors de l’édition précédente sur RMO, le Suisse l’emporte à la barre de ce même trimaran sorti du cabinet VPLP, mais sous un autre nom : Primagaz, sistership (bateau construit suivant le même modèle, NDLR) du Pierre 1er de Florence Arthaud. Profitant notamment du démâtage de Loïck Peyron (Fujicolor), le Petit Prince boucle l’épreuve auréolé d’un nouveau record de la traversée, mis sous pression par son dauphin Paul Vatine.

Pour la première fois, le règlement établit un classement dissocié pour les monocoques. Yves Parlier et Alain Gautier terminent en embuscade. Halvard Mabire, lui, chavire et sera secouru après avoir attendu une dizaine d’heures dans l’eau glacée.

Le podium :
1. Laurent Bourgnon (Primagaz), 14 jours 6 h 28’29″
2. Paul Vatine (Région Haute-Normandie), 14 jours 9 h 38’56″
3. Yves Parlier (Cacolac d’Aquitaine), 15 jours 19 h 23’35″

1998

Laurent Bourgnon - 1998
Laurent Bourgnon, skipper du voilier “Primagaz”, est le premier marin à remporter deux fois le Rhum.. Photo ⓒ AFP MARCEL MOCHET

Favori légitime à sa succession, Laurent Bourgnon doit partager la faveur des bookmakers avec une bonne demidouzaine d’autres rivaux, en cette fin des années 90, qui marque l’apogée des trimarans Orma de 60 pieds. Toujours cramponné à la barre de son Primagaz, fiabilisé à l’extrême et qu’il n’a eu de cesse de faire évoluer, Bourgnon coiffe au poteau Alain Gautier et le jeune Franck Cammas, qu’on retrouvera quelques années plus tard en haut de l’affiche. Pour les 20 ans du Rhum, le Petit Prince devient le premier marin à remporter deux fois l’épreuve dans la catégorie reine, grâce notamment à des choix météo des plus éclairés.

Véritable touche-à-tout, le skipper suisse, qui a participé sept fois au Paris-Dakar, disparaît en 2015 à l’âge de 49 ans, lors d’une plongée aux Tuamotus, en Polynésie française. Du côté des monocoques, Thomas Coville, sur 60 pieds, lève les bras le premier après avoir remplacé au pied levé Yves Parlier, victime d’un accident de parapente. À noter le joli succès à bord de son 50 pieds de la Britannique Ellen MacArthur, 22 ans, une performance annonciatrice d’une très grande carrière.

Le podium :
1. Laurent Bourgnon (Primagaz), 12 jours 8 h 41’06″
2. Alain Gautier (Brocéliande), 12 jours 11 h 54’32″
3. Franck Cammas (Groupama), 12 jours 19 h 41’13″

2002

Michel Desjoyaux 2002
Malgré une météo apocalyptique, Michel Desjoyeaux l’emporte face à la jeune Britannique
Ellen MacArthur. Photo ⓒ AFP MARCEL MOCHET

Deux ans après leur duel mémorable durant le Vendée Globe, Michel Desjoyeaux et Ellen MacArthur, devenue la chouchoute du public français, trustent à nouveau les avantpostes. Si le navigateur tricolore l’emporte dans la catégorie reine, c’est bien la jeune Britannique, à la barre de son légendaire Kingfisher (Imoca) qui pointe en tête en Guadeloupe, les monocoques étant partis un jour plus tôt que les multi. Une classe Orma (multicoques de 60 pieds) décimée par une météo apocalyptique dans le golfe de Gascogne (plus de 60 nœuds), qui voit 15 de ses 18 trimarans mis sur la touche ! Cammas sur Groupama au large de l’île de Batz (Finistère nord), puis Lemonchois, Joyon, Le Cam et d’autres, aucun ne verra Pointe-à-Pitre. Contraint d’opérer deux escales et profitant du chavirage du Suisse Steve Ravussin à l’approche de l’archipel, le “Professeur” Desjoyeaux devance Marc Guillemot et Lalou Roucayrol, le seul à ne pas s’être arrêté. Avec 58 bateaux au départ, le cru 2002 fut celui des records. En participation — à cette époque — et surtout en nombre d’abandons, avec seulement 28 skippers rescapés.

Le podium :
1. Michel Desjoyeaux (Géant), en 13 jours 7 h 53’00″
2. Ellen MacArthur (Kingfisher, Imoca), 13 jours 13 h 31’47″
3. Marc Guillemot (Biscuits La Trinitaine), 13 jours 19 h 36’18″


2006

Lionel Lemenchois 2006
Lionel Lemonchois (à G.) pulvérise le record de l’épreuve après un peu plus de 7 jours de
traversée. À ses côtés, Roland Jourdain remporte son premier Rhum en Imoca. Photo ⓒ AFP MARCEL MOCHET

À la manière d’un coureur de 100 m, Lionel Lemonchois (Gitana 11) ne prend pas le temps de jeter un œil dans son rétro. Pour cette dernière de la classe Orma, le double vainqueur du Trophée Jules Verne (Tour du monde en équipage, 2005, 2010) prouve qu’il est tout aussi à l’aise en solitaire en pulvérisant le précédent record de Laurent Bourgnon de près de cinq jours, à une vitesse moyenne de 19 nœuds ! Cette huitième édition est aussi marquée par un duel d’anthologie sur le front des Imoca, entre deux légendes : Roland Jourdain (Sill & Veolia) et Jean Le Cam (VM Matériaux).

Contraint d’abandonner à mi-course lors du Vendée Globe 2005, le premier se console avec cette belle victoire pour 28 minutes d’avance, malgré une bôme endommagée. Comme “Bilou”, Franck-Yves Escoffier (Crêpes Whaou!) frappe fort, lui aussi, et signe le doublé sur Multi 50, après son titre en 2002. Pour la première fois dans l’histoire, les Class40 sont au départ (25 bateaux), une nouvelle catégorie qui permet de mixer professionnels et amateurs. Le Britannique Phil Sharp est le premier à inscrire son nom au palmarès.

Le podium :
1. Lionel Lemonchois (Gitana 11), 7 jours 17 h 19’06″
2. Pascal Bidegorry (Banque Populaire), 8 jours 4 h 25’07
3. Thomas Coville (Sodebo), 8 jours 13 h 39’02″

2010

Franck Cammas 2010
Franck Cammas à bord de son Ultime Groupama 3, remporte la 9e édition. Photo ⓒSimax Communication

Il fallait y penser, Franck Cammas l’a fait. En équipant le pont de son Groupama 3 d’un cadre de vélo pour hisser les voiles, le surdoué du large choie ses biceps. Suffisament pour lever les bras à l’arrivée, en vainqueur ! À la barre de son trimaran de 31,50 m, Cammas entre dans la légende mais ne bat pas le temps de référence établi quatre ans plus tôt, malgré la fin de la limitation de la taille des bateaux à 60 pieds (18,28 m), imposée depuis 1990. Sur son mastodonte taillé pour les tours du monde en équipage (il bat le record du Trophée Jules Verne quelques mois plus tôt avec neuf équipiers à ses côtés, NDLR), mais revisité pour l’occasion (poids allégé de 3 tonnes, mât raccourci de 4 mètres), l’Aixois s’offre un vrai exploit pour sa quatrième participation. Deux marins réalisent, eux, le doublé : Roland Jourdain (Veolia Environnement) pour son deuxième sacre consécutif en Imoca et Lionel Lemonchois (Prince de Bretagne), vainqueur en Multi50 après son titre en Orma, quatre ans auparavant.

Le podium :
1. Franck Cammas (Groupama 3), 9 jours 3 h 14’47″
2. Francis Joyon (Idec), 9 jours 13 h 50’48″
3. Thomas Coville (Sodebo), 10 jours 3 h 13’11″

2014

Loïck Peyron - 2018
Loïck Peyron, remplaçant d’Armel Le Cléac’h, remporte la course à la barre du Banque Populaire VII . Photo ⓒAlexis Courcoux

Inconsolable après s’être blessé à une main, deux mois avant le départ, Armel Le Cléac’h a pu puiser un brin de réconfort dans la joie de son remplaçant. Son nom ? Un certain Loïck Peyron, qui devait, à l’origine, concourir à l’ancienne (avec sextant, compas et cartes marines) sur un petit trimaran de 11 mètres, sistership d’Olympus Photo, premier sacré en 1978.

Mais la Team Banque Populaire a rappelé l’ancien de la maison à la rescousse. Et malgré une préparation forcément tronquée, le vieux loup de mer perce la nuit pointoise avec un nouveau temps de référence, sur l’ancien Groupama 3 (sacré en 2010) : 7 jours, 15 heures, 8 minutes et 32 secondes, ajoutant une ligne de plus à son palmarès déjà clinquant. Vainqueur du Vendée Globe l’année précédente, François Gabart (Macif), lui, confirme en Imoca son incroyable talent, à seulement 31 ans. Un talent dont était aussi pétrie Anne Caseneuve, titrée sur son trimaran Aneo dans la catégorie Rhum. La navigatrice, amoureuse de la Guadeloupe et surtout des Saintes, sa terre d’adoption, décède d’un cancer l’année suivante, à 51 ans.

Le podium :
1. Loïck Peyron (Banque Populaire VII), 7 jours 15 h 08’32″
2. Yann Guichard (Spindrift 2), 8 jours 5 h 18’46″
3. Sébastien Josse (Gitana XV), 8 jours 14 h 47’09″