La voile, un sport propre et écologique ? Pas vraiment. La majorité des voiliers de course sont polluants. Certains marins tentent pourtant de faire bouger les lignes, comme le Guadeloupéen Kéni Piperol et son bateau 100% (ou presque) recyclable. Zoom sur quatre autres projets soucieux de réduire leur impact sur la planète, à l’heure où la quête effrénée de la vitesse et de la performance semble avoir encore de beaux jours devant elle.

Fibre de lin

ROLAND JOURDAIN
We Explore (Rhum Multi)

Roland Jourdain
Photo ©Martin Viezzer / We Explore

« Elle présente beaucoup d’avantages puisqu’elle est produite en circuit court, a des propriétés proches de la fibre de verre et est beaucoup moins énergivore à produire »

Roland Jourdain

Double vainqueur du Rhum en Imoca (2006 et 2010), Roland Jourdain concède n’avoir cherché à l’époque que “vitesse et performance”. Mais Bilou affiche désormais la sobriété et le respect de l’environnement comme maîtres-mots de son nouveau projet. Sorti du chantier Outremer à la Grande-Motte (Hérault), son catamaran We Explore de 18 m de long s’avance comme le premier bateau de cette taille à intégrer autant de biomatériaux. Le pont, grand comme un terrain de tennis, est fabriqué à partir de fibre de lin, originaire de Normandie. « Elle présente beaucoup d’avantages puisqu’elle est produite en circuit court, a des propriétés proches de la fibre de verre et est beaucoup moins énergivore à produire, résume Jourdain. Je veux montrer que d’autres voies sont possibles, avec beaucoup d’humilité, car il y a encore tellement de choses à faire, notamment sur les résines. » Le skipper et ses équipes favorisent aussi la réutilisation à bord : winches, voiles, puits et dérives sont issus d’autres bateaux. Des pièces de carbone ont, elles, été réalisées à partir de carbone périmé venant de l’industrie aéronautique.

Voile solaire

MARC GUILLEMOT
Metarom MG5 (Rhum Multi)

« 95 % d’entre eux proviennent du recyclage de bateaux de course : mât, safrans et dérives des Imoca de Jean Le Cam, Jérémie Beyou et Damien Seguin, trampoline de Spindrift, ou encore gréements des multicoques De Rothschild ou de l’Imoca Safran. »

Marc Guillemot
MARC GUILLEMOT
Metarom MG5 (Rhum Multi)
Photo ©Héole / OneSails Atlantique

Comme Roland Jourdain, le navigateur chevronné Marc Guillemot (3e du Rhum en 2010 et en 2014, en Imoca), lui aussi Quimpérois, revient avec un projet écoresponsable à la barre de son catamaran prototype de 52 pieds (15,8 m) Metarom MG5. Pour la première fois, un voilier pourra produire sa propre électricité grâce à des panneaux photovoltaïques organiques incrustés dans la grand-voile.

Une prouesse technologique développée par la société Héole (basée à Vannes), qui permet la captation de l’énergie lumineuse des deux faces de la voile, grâce à 12 m2 de cellules photovoltaïques souples et translucides. Il est ainsi possible de produire le kilowatt d’électricité nécessaire quotidiennement pour alimenter le pilote, l’éclairage, le réfrigérateur et les ordinateurs de bord. En collaboration avec le cabinet d’architectes Barreau Neuman, Guillemot a également fait
jouer son carnet d’adresses pour dénicher de nombreux équipements dormant dans les chantiers de course au large, afin de réduire son empreinte carbone. « 95 % d’entre eux proviennent du recyclage de bateaux de course : mât, safrans et dérives des Imoca de Jean Le Cam, Jérémie Beyou et Damien Seguin, trampoline de Spindrift, ou encore gréements des multicoques De Rothschild ou de l’Imoca Safran. »

Nouvelle vague

ARTHUR LE VAILLANT
Mieux (Ultim)

Portrait Arthur Le Vaillant
Mise a l’eau de l’Ultim Mieux – Skipper : Arthur Le Vaillant – Lorient le 04/07/2022 – Photo ©Alexis Courcoux

Navigateur, artiste, entrepreneur et rêveur. C’est ainsi que se définit Arthur Le Vaillant, 34
ans. Rêveur ? « D’une société plus résiliente et rayonnante. » Porté par l’association Mieux, fondée par des entrepreneurs engagés dont il fait partie, le navigateur rochelais (4e en Class40, en 2018) prône une approche nouvelle de la course au large, plus responsable et respectueuse du milieu vivant, encourageant l’économie circulaire. « Le Rhum est un événement où plus de deux millions de personnes se déplacent, avec des milliers de spectateurs sur des bateaux à moteur. Un événement avec des allers-retours en avion aux Antilles pour les équipes et l’organisation, qui valorise toujours les bateaux neufs. Doit-on acheter des foils toujours plus longs pour rester compétitif ? Cette course doit se réinventer pour continuer à exister. »

Si ses prises de position peuvent en chatouiller certains, Arthur Le Vaillant, qui a lancé la coopérative Sailcoop destinée à récupérer les bateaux de course pour faire du transport, veut profiter des projecteurs braqués sur les Ultimes pour passer son message. À la barre d’un trimaran mythique, lancé en 2011 et skippé par Kersauson, Coville et Le Blevec, le bizuth espère trouver un certain écho, même en pointant loin du podium. Un podium qu’il aimerait à l’avenir voir établi en fonction de l’impact carbone du bateau et du skipper. Rêveur ?

Seconde main

ROMAIN PILLIARD
Use It Again! by Extia (Ultim)

Portrait Romain Pilliard
Portrait Romain Pilliard – Photo ©Matt Ashwell / Use It Again

Au pied du podium en 2018 sur le trimaran Use it again !, baptisé du nom du fonds de dotation qu’il a créé pour promouvoir l’économie circulaire, Romain Pilliard est de retour à la barre du légendaire multicoque d’Ellen MacArthur, construit en 2003. Engagé pour changer les habitudes de consommation, le skipper navigue à contre-courant. « Mon but n’est pas d’aller le plus vite possible, car ça coûte très cher et ça consomme énormément de ressources. Je veux montrer qu’un bateau bien entretenu peut tenir longtemps, car on construit des bateaux de course très performants, dans des matériaux composites, de carbone, etc, faits pour durer, mais ils ne sont utilisés que très peu de temps. »

Après les années folles de la Britannique, Pilliard récupère son trimaran à l’état d’épave en
2015, avant de le reconditionner. « Mes deux génois ont été dénichés au sein d’équipes, comme nos kilomètres de cordages afin d’éviter d’acheter neuf. On a aussi besoin de beaucoup d’énergie pour faire fonctionner le pilote automatique et toute l’électronique à bord. On s’est donc équipé d’une éolienne, de panneaux solaires et d’un hydrogénérateur, une petite hélice qui tourne dans l’eau », explique l’activiste de 46 ans qui a tenté en vain, cette année, de battre le record du tour du monde à l’envers.

Photo ©Matt Ashwell
Sachez-le
Grâce à l’opération Bouge ton livre, organisée à Saint-Malo par son équipe, Romain Pilliard embarquera à bord de son trimaran géant des livres de seconde main pour les distribuer à l’arrivée dans des écoles partenaires de Guadeloupe.