Guadeloupéen d’adoption, Jacques Palasset reste le premier skipper local à avoir inscrit son nom au palmarès, dès la première édition, en 1978. Mais ce fut loin d’être un long fleuve tranquille.

Jacques Palasset
Porté disparu un temps, en 1978, Jacques Palasset a pu retrouver sa femme Aleth, l’un de ses fils Bruno et ses amis, à Deshaies, pour partager un bon repas, avant de repartir. Photo ©François Mercader

« Ressentir la chaleur de cette population était incroyable. C’est ce qui m’a le plus touché. »

Jacques Palasset

Dès 1978, pour la première édition du Rhum, le flambeau de la Guadeloupe éclaire déjà la course grâce à l’engagement d’un premier skipper local. « Je parlerais plutôt d’une aventure que d’une course à cette époque ! » En quête d’un challenge un peu fou pour fêter sa quarantaine, Jacques Palasset se présente à Saint-Malo la fleur au fusil, parmi les 38 inscrits. « Je n’avais aucune expérience avant de boucler la qualif entre Pornichet et la pointe ouest de l’Espagne ! » Débarqué dans l’archipel juste après la guerre, du haut de ses 10 ans, le Guadeloupéen d’adoption démâte à mi-parcours et se traîne avec un gréement de fortune, fabriqué par ses soins. « Mon silence après le démâtage inquiète l’entourage de la course », se souvient-il.

Dépourvu de moyens de communication, le navigateur est même porté disparu. Sa femme reçoit des messages de condoléances, mais Palasset refait surface à Deshaies, chez lui, un dimanche matin. « Je suis arrivé juste après la sortie de la messe. L’info a vite circulé et beaucoup de monde
est venu m’encourager. » Fatigué, souffrant de deux côtes cassées, le régional de l’étape profite de ses proches et de sa famille, mais décide de remonter le soir même à bord de son Gladiateur, un monocoque de 10 m taillé pour la croisière. Il accoste à Pointe-à-Pitre le lendemain, bon dernier du
classement, dix jours après le Canadien Mike Birch. « Ressentir la chaleur de cette population était incroyable. C’est ce qui m’a le plus touché. » Aujourd’hui âgé de 85 ans, l’ancien employé du groupe Despointes a quitté la Guadeloupe à la retraite et vit désormais à Puy-l’Évêque, dans le Lot. « Je garde toujours un œil sur la course, mais depuis le départ de mon ami Bistok (Claude Bistoquet), en 1990, je ne suis jamais retourné à Saint-Malo. Je préfère rester dans l’ombre. »

Palmarès
1978 : 24e (dernier), Champagne Delafon, 34 jours 8 h 30’00”
1982 : 31e (dernier), Brise, 28 jours 3 h 9’00”
Jacques Palasset
Photo ©François Mercader
Jacques Palasset
Victime d’un démâtage à mi-course pour sa première participation, Jacques Palasset s’était
fabriqué un gréement de fortune. Il quitte ici Deshaies pour reprendre la mer et rejoindre
l’arrivée. Photo ©François Mercader

Le témoin de l’époque
François Mercader,
ex-directeur de France-Antilles

« Jacques fit un véritable exploit digne des grands navigateurs, car il avait démâté après les Açores. Il est arrivé pile sur la Guadeloupe à la marque de parcours du Nord Basse-Terre avec un gréement de fortune, sans aucune assistance, seul au milieu de l’Atlantique, sans instrument moderne, en faisant le point au sextant par rapport au soleil. Plus personne n’avait de ses nouvelles, ça a duré une bonne semaine. Son épouse Aleth venait régulièrement à France-Antilles en espérant que j’aurais des nouvelles, mais au bout de quelques jours je ne savais plus quoi lui dire. Je me souviens de l’angoisse qui régnait, d’autant qu’Alain Colas était également recherché lors de cette traversée, mais lui n’a jamais été retrouvé. Je me rappellerai toujours de ce dimanche matin, quand Jacques est réapparu à Deshaies. Il n’y avait pas de téléphone portable à l’époque alors il est allé à terre pour appeler sa femme, je crois depuis la gendarmerie. Depuis la veille, il entendait parler de sa disparition sur les ondes de RFO. Ce fut un gros soulagement pour nous, ses amis et surtout sa famille. On a passé la journée ensemble, on a dû boire deux, trois, voire quatre punchs et puis, têtu comme il était, il a voulu repartir le soir même après dîner en nous disant : “Je suis parti de Saint-Malo, la ligne est à Pointe-à-Pitre, je n’ai pas encore fini ! »

François Mercader
François Mercader remet ici le trophée France-Antilles à Michel Malinovsky. 2e de cette première édition, en 1978. Photo ©François Mercader