Fait peu connu, on vous dit tout du travail des skippers afin d’aider la recherche scientifique.

Texte Yva Gelin – Photo ©Ifremer

Pour certains navigateurs de courses au large, le défi n’est pas uniquement de rester en course mais également de… relever des données océanographiques. Depuis 2007, l’Ifremer est en partenariat avec le milieu de la voile. Découverte d’une pratique qui gagne doucement en popularité dans le monde de la régate et a pour objectif de se développer aux plaisanciers, avec Lucie Cocquempot, coordinatrice de l’observation à l’Ifremer.

Comment en est-on arrivé à penser aux skippers pour aider aux prélèvements des données océanographiques ?

À l’heure actuelle, la principale façon pour un chercheur d’avoir des données scientifiques est de faire des campagnes en mer sur un bateau océanographique et ces expéditions coûtent environ 40 000 euros la journée. D’autre part, la covid a également empêché beaucoup d’équipage d’aller en mer. C’était donc intéressant de se tourner vers d’autres acteurs, en tout cas pour les données de surface. Les skippers vont dans des endroits peu fréquentés du globe et donc peu documentés, ils sont une véritable opportunité.

Concrètement, comment les skippers aident-ils le monde scientifique ?

L’océan est un monde très vaste et encore très méconnu et son implication dans l’évolution du climat est déterminante. Pour le préserver correctement, nous avons besoin de mieux le connaître. Cela revient à récolter beaucoup de données mais aussi et surtout sur le long terme. Prélever une donnée unique à un instant T sans pouvoir la comparer à d’autres ne nous dit pas grand-chose de l’environnement en question et son évolution. Plus une zone est prélevée, plus les résultats sont fiables.

Sur la Route du Rhum 2022, qui a prélevé des données océanographiques ?

Beaucoup de skippers sont investis dans la collecte de données océanographiques, aux côtés de l’Ifremer mais aussi d’autres instituts ou universités : Alexia Barrier, Boris Hermann, Fabrice Amédéo, Philippe Poupon, pour ne citer qu’eux. Pour cette transatlantique, nous avons débuté un partenariat avec la classe IMOCA qui nous permet d’impliquer des skippers comme Guirec Soudé ou encore Thomas Ruyant. À terme, on souhaite créer des partenariats génériques notamment avec l’ensemble de la classe Imoca dans l’idée de loger tout le monde à la même enseigne avec pourquoi pas l’évolution du règlement de la course. L’objectif du projet est de démocratiser la collecte de données océanographiques. Nous testons avec eux un programme que l’on pourrait ensuite élargir à la voile de plaisance. Nous cherchons à comprendre quelles sont les problématiques d’un skipper, en termes de consommation d’énergie, de charge mentale, d’encombrement…

Quels genres de mesures effectuent les skippers ?

Pour un skipper, il existe 3 façons de contribuer à la collecte d’information sur l’océan. En déployant des capteurs autonomes en pleine mer, comme les flotteurs du programme Argo. En effectuant des mesures à l’aide de capteurs, c’est le cas de ce que l’on appelle les mesures physico-chimiques, c’est-à-dire en lien avec la température, la salinité, le CO2. Enfin, ils peuvent prélever de l’eau de mer ou collecter des échantillons pour connaître les concentrations en microplastique. Nous fonctionnons dans une logique d’échange, basée sur une relation de confiance. Cependant, c’est au skipper et à son équipe de prendre en charge le matériel de prélèvement ou de mesure.

Quelles sont les contraintes pour un skipper de s’engager dans ce type de démarche ?

Effectuer des mesures océanographiques est un véritable choix. En fonction du type de données recherchées, le matériel et les protocoles associés sont plus ou moins contraignants. Globalement, le matériel correspond à une valise cabine de voyage. Dans le cas du déploiement d’un flotteur, il faut s’imaginer le navigateur déplacer ce matériel lourd de 40 kilos, en pleine mer avec les conditions environnementales associées. Le plus contraignant est le microplastique car il nécessite des prélèvements d’échantillons quotidiens avec un protocole strict qui implique de l’étiquetage et des changements de filtres.

Et une fois la course achevée ?

Nous prenons en charge le traitement des données et prélèvements qui se font en plusieurs étapes. Les prélèvements de microplastique sont analysés en laboratoire. Les mesures physico-chimiques sont classées en tant que séries temporelles géolocalisées. Elles sont filtrées, corrigées puis diffusées à la communauté scientifique. Elles sont utiles aux chercheurs du monde entier qui les utilisent pour leurs articles scientifiques. Ces données ont aussi permis la création d’un atlas mondial sur la répartition du CO2 dans les océans. Cela donne plus de précision sur le cycle du carbone, qui impacte l’acidification des océans.

En collaboration avec l’ingénieur-skipper marseillais, Mathieu Claveau (ici au départ de sa première Route du Rhum), Ifremer souhaite valider le concept Oceano Vox qui permettra de démocratiser la collecte de données météo-marines.