À quoi devrait ressembler une “ville caribéenne” ? Cela doit-il passer par un style architectural, des teintes de peintures, des espaces publics déterminés… ? À l’occasion du 26e anniversaire du jumelage entre le Lamentin et Santiago de Cuba, le socio-anthropologue Philippe Yerro a été invité à en poser les contours. Explications.

Texte Yva Gelin – Photo Jean-Albert Coopmann

C’est avant tout dans le regard que l’on porte sur nos villes que se joue la définition de la ville caribéenne

Philippe Yerro, socio-anthropologue

La ville caribéenne est une ville inclusive

Selon Philippe Yerro, la ville européenne aux Antilles est une ville coloniale. « C’est une définition grossière, mais qui a le mérite de poser les bases de la compréhension d’une ville caribéenne par opposition à autre chose. On parle ici de différence sociale et culturelle. » La ville coloniale implique ainsi la création d’un centre et d’une périphérie, mettant en marge une partie de la population. Pour sa part, la ville caribéenne est avant tout inclusive et populaire. « Prenons l’exemple de Fort-de-France. On sait aujourd’hui que l’architecte Vauban a construit Fort-de-France pour des raisons sécuritaires, autrement dit une ville militaire. Des endroits comme Texaco ou Terres-Sainville, en Martinique, se sont alors construits selon le “lakou” (la cour) au début du XXe siècle. Il s’agit d’une structure populaire, en cercle, faite d’habitats spontanés, autour d’une cour. » C’est une configuration propre à nos territoires caribéens, car « en marge de la loi et dans laquelle la notion d’intégration populaire est centrale. C’est donc sur ce modèle que se construit une ville caribéenne, en réintégrant le peuple ».

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C’est une ville archipel

La ville caribéenne porterait en elle une dimension d’archipels. « Nos ancêtres afro-caribéens ne considéraient pas l’île comme un berceau. L’archipel était leur habitat et chaque île était comme une pièce de la maison. » On retrouve cette dimension “d’archipel” dans nos modes de pensée – Edouard Glissant parle de “pensée archipélique” – et dans le bâti. C’est d’ailleurs ce qu’on retrouve avec la ville de Fort-de-France qui regroupe des styles architecturaux d’époques différentes et qui forment un ensemble. « Cette dimension d’archipel est un héritage qui marque encore aujourd’hui les modes de pensées des îles caribéennes, un mode de pensée qui crée un ensemble à partir de la différence. »

La ville caribéenne pour s’approprier l’existant

« C’est avant tout dans le regard que l’on porte sur nos villes que se joue la définition de la ville caribéenne », résume Philippe Yerro. Les projets d’urbanisme sont importants mais l’essentiel, selon lui, réside dans un meilleur dialogue entre les artistes et le public pour ainsi mieux comprendre l’existant des villes actuelles, les symboliques des statues et monuments. À l’image de la statue Neg Mawon, au Lamentin, « elle rend hommage aux esclaves partis en marronnage et si on l’observe de loin, elle ressemble à un arbre et est une référence au fait que pour réussir ils devaient se fondre dans la nature. Ce sont aussi les symboles, et leur compréhension, qui constituent la dimension caribéenne de nos villes ».

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