Comment sera déclinée la feuille de route « économie bleue en France » ? Rencontre avec le Préfet de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, Vincent Berton.

Texte Ann Bouard – Photo Raphaël Novella

La France est le deuxième espace maritime mondial avec 11 millions de km2 d’espaces marins. Des immensités de bleu que beaucoup voudraient exploiter mais que d’autres souhaitent préserver. Comment faire cohabiter économie et préservation de l’environnement ? C’est tout l’enjeu, abordé de manière juridique, technologique, économique ou environnementale, de l’ouvrage « économie bleue en France » édité par le secrétariat général de la mer qui liste tous les champs d’applications. Mais on le sait, tous ne sont pas adaptés au territoire.

L’économie bleue est-elle une planche de salut pour les territoires d’outre-mer ?

Vincent Berton : Le sujet est effectivement stratégique pour nos îles qui vivent essentiellement du tourisme, et font face à une situation aujourd’hui très concurrentielle. Le changement climatique avec toutes les incertitudes qu’il engendre, les risques naturels importants parmi de nombreux autres facteurs contraignent désormais le développement du tourisme tel qu’on le concevait jusqu’à présent. Saint-Martin fait partie des territoires qui seront les plus impactés par ces changements. La montée des eaux, la hausse des températures de l’ordre de +/-
3° C, une saison des pluies de plus en plus courte, etc., rendent nécessaire une adaptation vers un tourisme moins impactant, plus respectueux. Et sur ce point, Saint-Martin dispose de beaucoup d’atouts qui ne demandent qu’à être développés.

Le développement du nautisme peut-il être une première piste ?

Oui, mais il manque beaucoup d’anneaux. Entendez par là le manque de places dans les marinas pour accueillir en nombre les plaisanciers. Il faut, de mon point de vue, trouver une solution plus efficace pour gérer les marinas. Pourtant il y aurait de la place pour de nouveaux anneaux. Saint-Martin est une porte d’entrée sur les caraïbes, c’est la première escale transatlantique et offre un plan d’eau exceptionnel. L’activité nautique ne demande qu’à se développer.

Sur le transport maritime aussi il y a des choses à faire qui ont des impacts directs sur l’emploi des jeunes. Pour exemple, la formation des marins-pêcheurs a permis à trois jeunes de trouver un emploi à bord du Voyageur qui assure le transport de passagers entre Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Qui dit accueil de bateaux dit bateaux de croisières ?

Il y a de la place pour une offre de croisière, mais haut de gamme. Cela pose cependant la question de la requalification du front de mer. Il faut revoir également la gestion du port qui à ce jour, faute de bateau, n’assure pas le contrôle des mouillages sauvages entre Marigot et Grand Case, ce qui relève pourtant de sa compétence. Cela semble prioritaire pour faire respecter les données environnementales comme l’interdiction de jeter l’ancre à certains endroits, de rejeter les eaux usées non traitées, etc.

La pêche peut-elle contribuer au développement économique ?

Oui, mais il faut que les pêcheurs continuent à se structurer. Aujourd’hui un peu moins de 20 pêcheurs sont déclarés à Saint-Martin et répartis entre trois associations, sans comité de pêche. À titre de comparaison, ils sont plus d’une cinquantaine à Saint-Barthélemy fédérés au sein d’un Comité de pêche qui insuffle une dynamique. C’est d’ailleurs sur une idée qu’ils m’ont suggérée que j’ai décidé d’organiser les « Premières assises de la pêche » en décembre prochain (voir encart).

Il manque de vrais projets à Saint-Martin pour développer le secteur. Seulement 7 % des fonds européens accordés ont été dépensés sur la dernière programmation des fonds européens. Pourtant, avec quelques 4 millions d’euros on pourrait construire une usine frigorifique ou un laboratoire de transformation, envisager un vrai marché aux poissons, un quai de déchargement…

Que manque-t-il à Saint-Martin selon vous pour développer cette attractivité maritime ?

Sans nul doute l’absence de grands événements nautiques. Saint-Barth qui a une culture maritime forte a su développer et faire vivre des rendez-vous nautiques internationaux comme les Voiles de Saint-Barth, la Transat Paprec (régate Concarneau – Saint-Barth) ou la Bucket Regatta. La Heineken Regatta elle, profite surtout à Sint Maarten. D’autres îles ont compris l’importance de ces événements. La Route du rhum en Guadeloupe, ou dans un registre plus traditionnel le tour de le Martinique des Yoles rondes, sont des événements qui ont des retombées à la fois économiques et en termes d’image. Saint-Martin avait une vocation de voiles traditionnelles qui pourrait être relancée. Il faut s’orienter également vers de nouveaux loisirs nautiques écoresponsables.

Vincent Berton, Préfet de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

Premières assises de la pêche de la zone caraïbe à Saint-Martin

La pêche constitue l’une des pistes de développement de l’économie bleue à Saint-Martin. Le Préfet Vincent Berton a décidé de convier les représentants des pêcheurs de Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Anguilla, Saint-Eustache, St Kitts, Antigua et Saba pour ouvrir les discussions notamment sur la ressource elle-même et sa rareté. Les premières Assises de la pêche se dérouleront le 12 décembre à Saint-Martin.

Après un point de l’IFREMER sur la ressource elle-même, l’objectif de ces assises sera de faire un premier état des lieux afin d’envisager à l’avenir des relations bilatérales entre les îles que ce soit pour la pêche, pour la commercialisation du poisson ou de produits transformés. À l’heure actuelle, il n’y a pas de délimitation des zones de pêches dans cette partie du globe. Il s’agira de trouver des accords sur les zones de pêche et d’aborder le droit de pêche dans les eaux territoriales de chaque état.

Pouvoir envisager d’acheter de manière légale, du poisson à Anguilla, où toute la pêche n’est pas consommée sur place, fait partie d’un cercle vertueux et contribue à une consommation plus locale et plus respectueuse de l’environnement.

Les pêcheurs de six îles seront donc invités à venir à Saint-Martin le 12 décembre 2023 pour ces premières Assises de la pêche, organisées par le cabinet du Préfet. Tout est lié ! Quand l’économie bleue contribue au tourisme d’affaires, une nouvelle carte est jouée !