De mornes en ravines, la rumeur se fait entendre. Un son grave et puissant venu des profondeurs de la mer, l’émergence d’une langue. L’appel de la conque. Rassemblement autour des maîtres souffleurs de conques marines du groupe Watabwi.

Texte Floriane Jean-Gilles

La conque est tout d’abord un outil de communication, commence Éric Hillion. Tous les peuples de bords de mer l’ont utilisée pour transmettre des messages. Aussi est-il réducteur de croire que la conque de lambi était l’apanage des pêcheurs, elle était aussi utilisée pour rythmer le quotidien : pour indiquer les mouvements de la marée, sonner l’heure de la récréation, rythmer le travail dans les champs, annoncer un décès ou donner l’alerte. Tout était codifié, malheureusement certains codes sonores ont à jamais disparu. Les codes soufflés régissaient la vie de l’île, et, croyez-le ou non, la manière de souffler n’était pas la même du nord au sud : au nord, les sons étaient plus longs, saccadés dans le centre et aigus dans le sud de la Martinique.

La conque, un outil populaire

La conque possède une dimension civilisationnelle indéniable, selon Serge Domi, c’est le trait d’union entre les peuples amérindiens et les populations insulaires de l’arc antillais. Outil fonctionnel pour les Amérindiens, symbolique du retour à la terre-mère pour les Africains de la région du Bénin réduits à l’esclavage ; on retient surtout aujourd’hui l’aspect festif de la conque lorsqu’elle est utilisée pendant le carnaval ou les courses de yoles rondes. Le jeu aussi fait société. Elle sera peut-être bientôt réduite à un simple instrument de musique, car elle donne du coffre, elle prolonge le tambour. Pour autant je pense qu’elle conservera toujours cet aspect galvanisant et revendicatif quand elle sonne dans les cortèges de manifestants.

Triton souffle dans une conque

Esthétique de l’objet… esthétique du son

Le façonnage des conques influence la gamme des sons. C’est là que le savoir-faire de Jean Pierre-Léandre prend tout son sens, il s’attache à trouver l’équilibre parfait, la conque se tient à la perpendiculaire, il est donc essentiel que l’instrument soit aligné sur son centre de gravité. J’ai également beaucoup travaillé à améliorer l’embouchure, poursuit Jean Pierre-Léandre. La conque possède déjà un son originel, quand elle est dans l’eau. Aucune conque ne sonne comme une autre. En revanche, chacune permet d’accéder à l’ensemble des notes de la gamme ainsi qu’à des notes qui ne figurent pas sur la partition occidentale. Ce qui confère à la conque ce son si particulier, et ce qui fait la spécificité des strombes marins, c’est que la colonne d’air est une spirale fermée émaillée, faite du même émail que nos dents. C’est une matière vivante et c’est sans doute aussi la raison pour laquelle le son de la conque porte si loin. Lorsque nous jouons sur le malecon, à Fort-de-France, il n’est pas rare qu’on nous entende jusqu’au Trois-îlets. Le son de la conque est un monde, il faut souffler doucement pour le faire émerger.

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Vibrations sonores

Le son de la conque interpelle toujours celui qui l’entend. Il contient une charge émotionnelle extraordinaire. Cette puissance vibratoire confère une dimension physique au son, une résonance viscérale qui nous dépasse, qui nous transcende aussi parfois. Chacun d’entre nous a répondu à un appel quand nous avons commencé à jouer, cela ne s’explique pas. Nous n’ignorons pas cette dimension magique ou mystique de l’objet, qui nous impose de manier les sons et les notes avec prudence, confie Léo Bolivard. Il reste beaucoup à explorer de ce côté-là, car pour certains, les anciens, le son de la conque suscite la crainte. La conque elle-même peut être source de spéculations si elle est placée pavillon ouvert ou fermé ou lorsqu’elle orne les tombes. Il y avait, lorsque nous étions jeunes, tout un imaginaire collectif autour de la conque.

CYRANO.

«  Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, – par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « C’est un roc ! … c’est un pic ! … c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … C’est une péninsule  »  […]
« Lyrique : Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? »

Cyrano de Bergerac, comédie d’Edmond Rostand, acte I scène 4, 1898.

Triton

Fils de Poséidon et d’Amphitrite, habitant avec ses parents au fond des océans, dans un palais en or. Sur l’ordre de son père, il souffle dans sa conque pour apaiser les flots déchaînés ; ainsi, après le déluge auquel survivent Deucalion et Pyrrha, les terres immergées peuvent reparaître au son de la charonia tritonis. Lors de l’affrontement entre les dieux et les Géants, Triton émet un son si extraordinaire avec sa conque que les ennemis, croyant avoir affaire à quelque monstre, battent en retraite.

Dictionnaire de mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 2005.

« Souffle
dans ta conque,
mafia. Appelle-les.
Fok nou rassembler tous nos
solda. »

Tè Mawon, Michael Roch, 2022